Chantal Evano

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Billet de blog 18 octobre 2010

Chantal Evano

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Presse et éducation populaire. Compte-rendu de l'atelier de Buoux

Ce billet rend compte d'idées qui ont circulé avec une grande vivacité lors de l'atelier. Mais la contraction et le découpage synthétiques, l'emploi de termes généraux au lieu des mots réellement prononcés, trahissent la chaleur et la profusion de l'échange oral. Les participants peuvent ne pas y retrouver ce qu'ils ont dit et pensé sur le moment ou depuis. Ils sont vivement invités, ainsi que tous les lecteurs, à apporter précisions, contradictions, nouvelles idées et à faire sonner leurs vraies voix.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce billet rend compte d'idées qui ont circulé avec une grande vivacité lors de l'atelier. Mais la contraction et le découpage synthétiques, l'emploi de termes généraux au lieu des mots réellement prononcés, trahissent la chaleur et la profusion de l'échange oral. Les participants peuvent ne pas y retrouver ce qu'ils ont dit et pensé sur le moment ou depuis. Ils sont vivement invités, ainsi que tous les lecteurs, à apporter précisions, contradictions, nouvelles idées et à faire sonner leurs vraies voix.

La démocratie n'est pas un acquis mais un processus, qui nécessite une élaboration constante par les citoyens. Elle ne vit que dans la mesure où les citoyens sont conscients de leurs responsabilités et ont les moyens de les exercer, c'est-à-dire ont accès à une information véridique et aux savoirs de toutes natures, sont formés à la vigilance critique, libres d'imaginer l'art de vivre ensemble, d'en discuter et de le réaliser.

Rappelons le questionnement que nous avons proposé, Marielle et moi, pour conclure notre billet du 3 septembre 2010 :

« Dans ce cadre, la question peut donc se poser du rapport entre presse et éducation populaire : En quoi cette presse peut-elle devenir un agent d'ouverture culturelle, un recours démocratique ? Quel est le rôle du journaliste ? Comment envisage-t-il sa posture ? Quelle est « la colonne vertébrale » de son travail ? Comment les lecteurs, à leur tour, conçoivent-ils leur place, leur rôle ? Quel est le processus commun à favoriser dans le but d'une émancipation plus radicale de chacun et d'une réappropriation de la fabrique de la pensée ?...

Ainsi, en explorant la logique du journalisme participatif, dont se réclame Médiapart, on gagne à se poser ces questions, à élaborer collectivement autour d'elles. »

L'éducation populaire...

L'expression éveille quelques connotations qui grincent aux entournures : des relents paternalistes ? Une approche « ringarde » ?

Le domaine est devenu un « point aveugle » dans le débat public, alors même que de nombreuses instances s'en réclament, telles que la Fédération Léo Lagrange, la Ligue de l'enseignement, l'Office central de la coopération à l'école, les Francas, les Eclaireuses et Eclaireurs de France, ATD Quart Monde, la Fédération Française des maisons de jeunes et de la culture, l'AROEVEN, les universités populaires, Attac, etc.

Nous n'avons pas pris le temps de définir ce que nous entendons précisément par « éducation populaire » - ce travail reste à faire et la tâche n'est pas mince.

Nous nous en sommes tenus à l'idée directrice que la démocratie ne peut se passer d'un peuple éclairé.

Nous avons dégagé quelques propositions.

  • Ouvrir aux citoyens, dans les médias et les espaces publics, l'accès aux faits, aux savoirs et aux débats de fond.

Ils en sont trop souvent exclus par les professionnels, les experts, les lobbyistes et les élus qui ne donnent pas de retour à leurs électeurs. Il s'agit non de se passer des personnes compétentes, mais de ne pas les laisser décider à la place de tout le monde. Ainsi, le débat scientifique doit éclairer la politique publique, mais c'est au débat démocratique de décider de la politique publique.

  • Cela suppose des lieux où les citoyens questionnent la culture et la politique :

- Les espaces publics et privés dédiés à la curiosité, à l'initiative et au débat, les organisations et associations...

- Le système scolaire et universitaire, les lieux d'éducation populaire pourvu qu'ils soient orientés vers l'émancipation de tous et de chacun.

Par exemple, les « forums hybrides » constituent des expériences démocratiques importantes que Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe exposent dans un livre de référence [1]. En présence d'un public profane concerné par quelque question d'intérêt général - par exemple, les malades du sida soucieux de traitements efficaces - les spécialistes doivent donner des informations et expliquer leurs points de vue contradictoires. Non seulement les spécialistes instruisent les profanes, mais les profanes instruisent les spécialistes - qui auraient tendance à ignorer les objections des vivants réels, à leurs préconisations désincarnées. Les profanes construisent leur compétence et leur représentativité dans cette confrontation et forment une « communauté de recherche » avec les spécialistes.

- Une presse telle que l'a voulue le programme du conseil national de la résistance, qui s'engageait à garantir : « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l'égard de l'État, des puissances d'argent et des influences étrangères. »

  • Cela suppose des pratiques éducatives conçues pourformer les citoyens éveillés : interactives, basées sur l'initiative des participants, leur questionnement, leur délibération, leur participation aux décisions.

Faute de telles pratiques, l'instruction civique à l'école est décevante. Faute de telles pratiques, quelle que soit la discipline, l'étudiant n'accède qu'à une « demi-culture » qui « peut devenir le moyen même de son asservissement, de son enrégimentement, de l'installation en lui de tous les conformismes. » [2] Alors, la publicité et la communication peuvent remplacer la réflexion. Alors les gens, n'étant pas investis du pouvoir de discuter et de décider, ne ressentent pas le besoin de lire et de s'informer. Ils s'abandonnent au « Monstre doux [qui] veut des interlocuteurs puérils» et des cerveaux disponibles pour Coca Cola.

Les pratiques pédagogiques émancipatrices au contraire permettent à chacun de se réapproprier la fabrique de la pensée, qui se nourrit des échanges pour comprendre, réfléchir, critiquer, imaginer.

... et la presse ?

Le programme de la résistance est fortement mis à mal dans ce domaine comme dans les autres par les oligarchies et les puissances financières qui ont investi l'Etat. Il ne reste pas grand-chose de la presse d'opinion qui échappe au système marchand. De plus, l'expression d'opinions pose le problème du prosélytisme. La propagande n'est pas l'éducation.

C'est pourquoi un journal comme Médiapart est si précieux dans son souci d'indépendance et d'investigation.

Et surtout, Laurent Mauduit nous a précisé que Médiapart a été conçu dès le départ comme ayant une fonction d'université populaire. Il ouvre un lieu interactif de confrontation et d'élaboration des savoirs entre journalistes et lecteurs exigeants.

Pour examiner s'il répond bien à cette ambition, reprenons les propositions formulées à propos de l'éducation populaire :

  • L'accès aux faits, aux savoirs et aux débats de fond.

Médiapart prend sa place dans un basculement technologique majeur, plaisamment énoncé par un participant : « Depuis l'invention du feu, il y le lien hypertexte ». « L'outil multimédia nous fait réapprendre notre métier » (Laurent Mauduit).

Médiapart s'empare de ces moyens pour pratiquer un journalisme documenté et référencé, avec le souci non des opinions mais « des faits, des faits et encore des faits » (Edwy Plénel).

- Tout lecteur peut procéder à des vérifications en ayant accès aux documents d'origine, faire des recoupements, constituer des dossiers. Les professeurs documentalistes, qui forment les élèves à vérifier leurs informations, à les référencer, à les recouper, peuvent trouver dans Médiapart les incitations et les moyens de le faire.

- Tout lecteur peut fournir ses propres informations, diffuser ses connaissances, s'engager dans des débats en cours.

- Des doutes sont émis sur l'objectivité, la neutralité de l'information, considérée comme un mythe. Toute information suppose de sélectionner des aspects de la situation, d'en mettre certains en évidence, d'en passer certains sous silence : les faits sont une construction. Vaste question que celle-ci, qui n'a pas été poursuivie. Mais nous tomberons peut-être d'accord sur l'idée qu'en effet, il ne s'agit pas de prétendre atteindre une vérité absolue, définitive et close, mais de travailler à la chercher ensemble.

  • Un lieu où les citoyens questionnent la culture et la politique.

Médiapart en propose un. L'important est l'existence de ce lieu, ce n'est pas l'audience.

Mais l'audience quand même. Qui peut lire Médiapart ?

Ceux qui ont accès à internet à haut débit et ont appris à lire en ligne.

Cela signifie que bien des personnes, pourtant très intéressées par la qualité de son contenu, elles-mêmes porteuses d'informations et d'idées, ne peuvent pas accéder directement au journal en ligne.

Quels relais construire pour leur permettre de lire et d'avoir la parole?

Et comment s'y retrouver dans le foisonnement interactif ? Cela suppose des lecteurs entraînés à chercher du sens dans une masse d'écrits et de documents, à sélectionner rapidement ce qui les intéresse, en fonction d'indices et de repères familiers ou en construction. Tout montre que les nouveaux abonnés tâtonnent avant d'avoir ces repères. Une fois habitués, ils recherchent telle signature de journaliste ou de blogueur, ils apprennent les cheminements pour accéder aux thèmes, aux titres, aux ressources du journal et à celles du club. Ils apprennent à poster un commentaire, un billet, une photo. Un vrai effort.

  • Des pratiques interactives, basées sur l'initiative des participants, leur questionnement, leur délibération, leur participation aux décisions.

Les commentaires et le club fonctionnent sur ces interactions dont la fécondité se vérifie continuellement. On sort de l'idée qu'il y aurait un message à transmettre (à sens unique) pour aller à l'idée de construire ensemble une recherche, une réflexion.

Comment faire pour que des gens très différents par leurs modes de lecture et de parole y participent ?

Médiapart est-il l'affaire d'une bande d'intellectuels que le grand public n'entend pas ?

La plupart des articles et des billets s'adressent à un large lectorat. Des spécialistes de certains domaines peuvent mener entre eux des dialogues pointus sans pour autant confisquer le discours. Tous les registres sont ouverts et chacun peut chercher ses interlocuteurs.

Les moyens ?

- Les commentaires : un article qui paraît difficile, ou a donné lieu à une interprétation personnelle hâtive au premier abord, se voit éclairé par les commentaires, les mises au point, le dialogue. Les commentaires enseignent à supporter l'incompréhension comme provisoire et à revenir sur les significations.

- L'écoute : entendre et pouvoir énoncer d'autres mots et d'autres expériences que l'audible hiérarchiquement admis. C'est essentiel que chacun puisse aller au bout de sa pensée, qu'il écrive comme il écrit, qu'il dise comme il dit.

- La coopération : construire, en ligne et en présence, des collaborations éphémères ou durables, entre abonnés et journalistes, entre spécialistes et profanes. Se fédérer sur des thèmes ou des actions.

L'atelier est grand ouvert.

1 - Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain (Seuil, septembre 2001)

2 - Jean Guéhenno Sur le chemin des hommes (Grasset 1959)


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