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Carnets d'Europe

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Billet de blog 13 avril 2024

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Le national-populisme dénoncé à Marseille à l'occasion d'un débat sur le Brexit

Le 4 avril dernier, Thomas Reilly, responsable des politiques publiques britanniques (Head of UK Public Policy), ancien ambassageur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et Daniel Ractliffe, Chef du bureau du Parlement européen à Marseille, étaient les invités de choix d’un débat public sur le Brexit et ses conséquences, ainsi que sur la nécessité de préserver la démocratie.

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De gauche à droite : Thomas Reilly - Daniel Ractliffe - Monique Beltrame - Michel Caillouët montre au public l'essai sur le Brexit de Jean-Gérard Lieberherr. © Courtoisie UEF-France Sud.

- Billet mis à jour le lundi 15 avril 2024.

L'événement s'est déroulé à la Cité des Associations et a été suivi à distance  grâce à l’application Zoom. Il était organisé par le Comité Européen Marseille que préside Monique Beltrame. À la tribune, l'ancien ambassadeur du Royaume-Uni, Thomas Reilly, responsable des politiques publiques britanniques chez Covington à Londres et membre clé du groupe de résolution des problèmes mondiaux et du groupe de travail sur le Brexit ;  Daniel Ractliffe, Chef de bureau du Parlement européen à Marseille depuis février de cette année  ; Monique Beltrame ; Michel Caillouët, président de l'Union Européenne des Fédéralistes - France Sud. Le Mouvement européen était représenté par le Professeur Jean Vergès qui est intervenu au sein du public. Parmi les personnalités présentes, Jane Mead,  ancienne directrice du Musée de  Lourmarin, très proche  du cercle intime de Jean-Gérard Lieberherr et de la Fondation Jean Monnet.

Thomas Reilly a d’abord montré la singularité de la Grande-Bretagne et le prestige dont jouissaient les institutions démocratiques au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Une situation très différente prévaut aujourd’hui. Le référendum sur le Brexit a fait la part belle aux populistes et nationalistes de tous crins. Comment en est-on arrivé là ?  Selon Thomas Reilly, « le gouvernement a posé une question… les Britanniques ont répondu à une autre question ! Ce référendum a bouleversé la tradition selon laquelle il revient au Parlement de faire la loi...  mais en citoyens respectueux des institutions démocratiques, les Britanniques essaient de s’adapter au couperet du référendum. Ils attendent les prochaines élections ou quittent le pays. »


Après les belles promesses, l'envers du décor des nationaux-populistes anglais

Replaçons les propos de Thomas Reilly dans le contexte actuel du Royaume-Uni. Tous les sondages le confirment :  pour une majorité de Britanniques, le Brexit est un échec. « Une nette majorité de l'opinion publique estime désormais que le Brexit a été néfaste pour l'économie britannique, a fait monter les prix dans les magasins et entravé les tentatives du gouvernement de contrôler l'immigration », souligne « The Guardian ».
On peut toujours ironiser sur les promesses non tenues et intenables des partisans du Brexit. Pas d’éléphants roses pour tondre les pelouses !  Pas de sous-marin jaune et de flonflons pour accompagner joyeusement sur la Tamise des bambins joufflus et rieurs, à califourchon sur de gracieux cygnes blancs remontant le fleuve sous les acclamations de la foule en délire. Les jours heureux ne sont pas de retour, hélas !  Le Royaume de Charles III n'est pas l'enfer mais la situation est difficile pour beaucoup de Britanniques. 
Les ménages se retrouvent plus pauvres qu'avant la pandémie : « on ne vit pas... On survit ». Le Royaume-Uni est le seul pays du G7 où le budget des ménages n'a pas retrouvé son niveau d'avant la pandémie de Covid-19, affirme un rapport de la fédération syndicale britannique TUC (Trades Union Congress) du 8 janvier 2024.
Thomas  Reilly a raconté comment « le Royaume-Uni  équilibre son budget par les restrictions sociales ». Il a exprimé ses inquiétudes par des exemples concernant les membres de sa famille qui doivent attendre... 6 mois pour accéder à une consultation ! Un des arguments caricatural des Brexiters a été de faire croire  que l'Europe pompait, entre autres, l'argent  de la sécurité sociale des Britanniques. C'était faux, bien sûr. Mais beaucoup de britanniques ont avalé tout crus les bobards de Johnson, Farage et Cie.
Les travailleurs européens, considérés comme étrangers, ont dû quitter le Royaume-Uni. Aussitôt remplacé par des migrants sans exigence salarial ni social. 
C'est à ce prix que la Grande-Bretagne post Brexit reste la 2e économie européenne (après l’Allemagne) et la sixième  mondiale avec une reprise économique dynamique en 2021 (8,7%) et prolongée en 2022 (4,1%). Le Royaume-Uni avait dépassé son niveau d’activité prépandémie de 1,8%  selon les chiffres que nous avons relevés sur le site de la Direction générale du Trésor. Chiffres en trompe l'œil car l’inflation reste élevée, presque 10% en moyenne jusqu’en mars de cette année. Le Brexit est aussi considéré comme responsable du déficit de la productivité en raison d’un investissement faible du privé et des dépenses en R&D inférieures à la moyenne européenne. Pour le gouvernement de sa Majesté, la dette publique reste aussi un sujet de préoccupation, cette dernière ayant dépassé 100% du PIB au cours de l’été 2023.
Ten Downing Street veut  plus de croissance, afin de créer plus d’emplois fournissant de meilleures rémunérations.
Il s’agit aussi de réduire le temps d’attente pour bénéficier des soins fournis par le secteur médical public (NHS).
Le gouvernement du Premier ministre Rishi Sunak (il a fait campagne en faveur du Brexit)  tiendra-il ses promesses ? Les Britanniques en doutent. On comprend, comme l'a déclaré Thomas Reilly, que les Britanniques respectueux des institutions prennent leur mal en patience en attendant les élections législatives prévues pour le second semestre de cette année, hypothèse la plus probable. Elles pourraient voir le Labour faire son grand retour à Downing Street.
Le gouvernement veut aussi faire adopter une loi afin de mettre fin à la traversée illégale la Manche via les « small boats ».  Si des « bateaux » coulent, entrainant des tragédies insupportables, la Grande-Bretagne est  surtout submergée par l’immigration clandestine. Là aussi les promesse des populistes et nationalistes ont fait  pschitt.
L’immigration s’est amplifiée à un point tel que Londres a mis au point avec Kigali un accord pour  expulser les immigrés clandestins vers le Rwanda !
Enfin, selon les travaux du gendarme budgétaire britannique (OBR), publiés en mars 2023, la baisse du commerce avec l’UE provoquée par le Brexit aura pour conséquence une productivité plus faible de 4% à l’horizon 2030… Cela ne sera pas, une fois de plus, sans conséquences négatives sur les échanges et le niveau de vie des Britanniques. Les vagues du Brexit n'ont pas fini d'éroder « la Terre des Angles ».

De l'importance de participer aux élections européennes du 9 juin prochain

Daniel Ractliffe, le représentant du Parlement européen à Marseille a succédé à la tribune à Thomas Reillys. Comme lui, il est d'origine irlandaise et né à Londres, la capitale qui a voté contre le Brexit.
Il a insisté sur l’importance des citoyens à participer en juin prochain (le dimanche 9 pour les Français) au renouvellement des sièges du Parlement européen: « Environnement, sécurité, migrations, politiques sociales, droits des consommateurs, économie, État de droit et bien d’autres domaines encore. Aujourd’hui, chaque sujet important à l’échelon national a également un angle européen. » 

Le nationalisme attise toutes les craintes

Le Chef du bureau du Parlement européen à Marseille a souligné le contexte dans lequel s’inscrivent ces élections : « une montée générale et dangereuse du populisme et du nationalisme ». On peut craindre en effet que  face aux « souverainistes » se rejoue le scénario britannique, mais il y a pire…
 Chacun se rend compte que la doctrine nationaliste a aujourd’hui le vent en poupe. Et ce vent est mauvais. Le réveil nationaliste s’est révélée particulièrement mortifère au 20e siècle. Il a entraîné deux guerres mondiales et plongé dans « la Nuit et le Brouillard » des millions d'hommes, de femmes et d'enfants, ainsi que les valeurs spirituelles, humaines, culturelles et civilisationnelles, sur toute l’étendue du continent et au-delà.
Aujourd'hui, le nationalisme est de retour. Il croît avec son cortège d'atrocités sur la planète et singulièrement en Europe où il a retrouvé vigueur avec le conflit qui oppose la Russie et l’Ukraine.

La France dans la ligne de mire des nationalistes - sabotages près d'Aix-en-Provence

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Le sabotage a fait grand bruit dans le monde. Plusieurs continents étaient concernés par le sabotage.

L’orateur n’est pas entré dans les détails de ce conflit qui concerne aussi les pays de l’UE, autant  sur le plan commercial et financier que pour les actions déstabilisatrices menées à leur encontre : « fake news », provocations, chantage, corruption, espionnage …
À ce sombre tableau, il conviendrait d’ajouter les tentatives de déstabilisation de l’Europe avec l’instrumentalisation des migrants et réfugiés… la guerre hybride avec des cyber attaques à répétition sur nos organismes publics et grandes entreprises. Le sabotage des gazoducs et de câbles internets sous marins mais aussi terrestres. Un câble de fibre optique a été sectionné en 2022 près d’Aix-en-Provence. Trois lignes de télécommunication majeures, Marseille-Lyon, Marseille-Milan et Marseille-Barcelone, ont été affectées.
C’est aussi un fait que des puissances étrangères trouvent des relais de choix dans la classe politique, jusque dans les Parlements nationaux, voire le Parlement européen, dans la société civile et, bien sûr, dans les médias et les réseaux sociaux…

Comme l’a souligné Daniel Ractliffe en substance  en terminant son intervention : « la démocratie ne devrait jamais être considérée comme acquise. Elle relève d’une responsabilité collective dans laquelle nous avons tous un rôle à jouer, notamment au moment des élections européennes. Les décisions prises au Parlement ont une incidence sur nos vies. Si on s’abstient de participer, on perd l’occasion de façonner l’avenir. On fait courir le risque à la démocratie parlementaire européenne  de perdre de sa vigueur, de laisser pervertir nos valeurs. Ces élections qui vont renouveler prochainement les sièges du Parlement européen sont donc particulièrement cruciales. Elles vont décider de nos conditions de vie, de notre avenir et celui de nos enfants, mais aussi de celui du continent et au-delà… »

Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord renvoie l'image d'une puissance dézinguée par les Brexiters

Pour Monique Beltrame, présidente du Comité Européen Marseille, « la manifestation sur la Grande Bretagne sans l'Europe est l'occasion de réfléchir à la métamorphose entraînée par  la désunion… ou l’union. Dans les deux cas, c’est toujours un changement profond, notamment pour les relations avec le reste du monde… Il est évident qu'on est plus fort à 27 qu'en restant seul... au « grand large ». La vision de Boris Johnson selon laquelle le Royaume-Uni redeviendrait une grande puissance à l'horizon 2030 grâce au  « Global Britain » à visée mondiale, notamment avec l'Asie, était totalement fantasmée ! Le Royaume n'a su que conclure un accord de libre-échange avec le Japon... qui reproduit en grande partie l’accord UE-Japon. En Europe, personne ne veut s'associer avec lui. La Norvège refuse son adhésion à l'Association européenne de libre-échange (AELE). Seul contre tous, Il en est réduit à jouer petit jeu, à conclure des traités de libre-échange peu ambitieux.
En se retranchant de l'Union européenne , le Royaume Uni ne renvoie plus une image de puissance… alors que l’île minuscule de Malte, au large de la Tunisie, porte le message européen sur toute la planète grâce à Roberta Metsola, présidente du Parlement européen. Cette jeune Maltaise, euro-députée, à la tête de 720 de ses collègues, représente notre continent en quête d’unité et de relations pacifiques. Les euro-députés disposent de pouvoirs bien plus importants que ceux des députés nationaux. Leur assemblée est une puissante caisse de résonance planétaire dont beaucoup de citoyens chez nous n’ont pas conscience. »
« En premier lieu, poursuit Monique Beltrame, les euro-députés ne se posent pas en s’opposant. Ils ne jouent pas au petit jeu de  se confronter dans un combat souvent stérile et vain parce qu’ils ne sont pas du même bord politique… Recherche du consensus avant tout ! Il s’agit d’agir tous ensemble à la résolution d’un problème… Pas de se combattre ! Il s'agit d'avancer tous ensemble vers la solution ».
Selon quelle procédure ? « Sur un problème, une commission ad hoc se constitue. Elle réunit des députés issus de tout l’échiquier politique  de l’hémicycle ou presque. On ne force personne. Il en résulte une question précise qui sera soumise au vote de l’assemblée. On n’est pas surpris d’apprendre que les euro-sceptiques figurent rarement dans ces commissions…

Ce ne sont pas non plus les députés de grands partis mais souvent de partis plus modestes mais convaincus de l’importance de leur mission qui accomplissent le travail qui fait avancer l’Europe. »

Brexit... à quand le retour ?

Le président de l’Union Européenne des Fédéralistes - Sud France, Michel Caillouët est intervenu sur le thème du Brexit et ses conséquences pour l’Europe, en allant à l’essentiel, avec pédagogie comme il en a l’habitude. Tout en donnant un témoignage de première main sur le comportement des Britanniques dans les institutions européennes, « il les connaît bien pour avoir œuvré à la Commission pendant 32 ans. Il y a côtoyés notamment les commissaires Chris Patten et Sir Leon Brittan… »
Il qualifie d’une manière générale ses collègues britanniques de « motivés, convaincus, compétents», mais les juge « rebelles à la construction européenne ».  Il discerne en eux « une certaine absence de solidarité européenne », à tout le moins il s’interroge.
Il cite l’euro-député François Bourlanges qui déclarait avec humour en 2017 à propos du  référendum sur le Brexit  : « la Grande-Bretagne a un pied dedans, un pied dehors. Après, ce sera l’inverse ». Une anecdote qu’on retrouve  dans l’ouvrage  « Brexit… à quand le retour ? » de Jean-Gérard Lieberherr, économiste et auteur aujourd’hui décédé, auquel Michel Caillouët a rendu hommage.
Jean-Gérard Lieberherr n’est pas un inconnu à Marseille. Il avait été invité à l’occasion de la journée de l’Europe du 9 mai 2018 par Lisette Narducci, alors maire des 2e-3e arr.
Sur le thème, « l’Europe : rêve ou désenchantement ? », il  avait eu l’occasion de rappeler que le Premier ministre David Cameron, au mépris des traditions britanniques, avait soumis l'avenir de son pays à un referendum ambigu. Tout en exigeant  pour son pays un statut qui dénaturerait les Traités et mettait l'Union en péril.
Jean-Gérard Lieberherr déclarait à l'époque  : « le Royaume-Uni va faire l'expérience de l'isolement, d'une diminution significative de son influence en Europe et dans le monde. » Les faits lui ont donné raison. Il considérait que ce pays, riche d’une grande histoire, reviendrait naturellement un jour vers le continent, « car seule une Europe Unie lui permettra d'exister face aux mastodontes qui progressivement domineront la scène mondiale. »

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Brexit... à quand le retour ? Auteur jean-Gérard Lieberherr - Éditions Decartes et Cie

L'ouvrage donne de précieuses informations « sur les hauts et bas, les sous-entendus des ‘négociations d’adhésion’ du Royaume-Uni  aux communautés européennes, depuis les années 50 jusqu’à l’adhésion effective en 1973 » précise  Michel Caillouët. On y retrouve le rôle clé joué par le  « Comité Monnet  pour les Etats-Unis d’Europe », mais aussi des précisions sur les refus gaullistes et les atermoiements au sein de la classe politique britannique.

On y trouve des anecdotes savoureuses, comme celle où de Gaulle déclarait que « Jean Monnet avait voulu le marier avec la reine d’Angleterre ! » [Ndr ; c’était au début des hostilités avec le 3e Reich nazi ; le gouvernement de Winston Churchill projetait d’accorder la nationalité britannique aux Français poursuivant le combat pour les soustraire aux représailles de l’État Français de Pétain.  Les Français complices des nazis les considéraient comme des traîtres et les auraient fusillés séance tenante. La réciproques était aussi vraie…  La preuve avec ces douze jeunes Français,  convaincus par les sbires de Laval et Pétain de la nécessité « européenne » de combattre le bolchévisme. Ils s’étaient portés volontaires pour être incorporés aux Waffen SS du régiment Hershé. Faits prisonniers, ils ont été fusillés sur le champ par d'autres soldats français, appartenant à la 2ème DB… sans aucun jugement d’un tribunal militaire ! L’ordre d’exécution  a été donné par le général Leclerc…  On était le 8 mai mai 1945, jour de la signature du traité qui marque la fin de la guerre en Europe ! Ces faits plutôt dérangeants se sont déroulés non loin de Bad Reichenhall, une bourgade au sud de Munich.]
Selon Michel Caillouët, « le livre de Jean-Gérard Lieberherr, même rédigé avant la sortie définitive du Royaume-Uni de l’UE et avant les crises ( covid, guerre en Ukraine, défis liés à la destruction de l’environnement… ), donne des pistes intéressantes, possibles, quant à l’évolution de l’Union européenne après le Brexit. »
On peut retrouver le texte de l’ intervention de Michel Caillouët sur la page Facebook de son association, l’Union Européenne des Fédéralistes - France Sud.

On a apprécié l’atmosphère chaleureuse de la réunion même si les échanges entre personnes du public ont parfois été animés. C’est la loi du genre. On ne tarissait pas d'éloges sur les orateurs , « clairs, concis et bien documentés ». Beaucoup sont ressortis convaincus qu'il fallait aller voter le 9 juin en entraînant d'autres électeurs.

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