Billet de blog 4 janvier 2025

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Jrm Morel

Essayiste en sciences politiques.

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Législatives 2024, front républicain – Entre votes de témoignage et votes efficients…

Autant le front républicain se définit commodément par les consignes de vote, autant il est plus difficile à discerner dans le foisonnement de réactions populaires. Data Realis a fait le choix de tordre les choix des électeurs, mais quelles options se dégagent des reports observables ? Le peuple souverain ouvre-t-il la voie à une définition du républicanisme qui puisse faire autorité ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Avec les manipulations de résultats pour les triangulaires, nous avons précédemment décelé des hors-sujet dans la simulation des législatives 2024 sans désistements que Data Realis a livrée à Boulevard Voltaire. Il s’agissait de montrer que la médiatisation qui s’en est suivie pouvait constituer une fausse nouvelle, sans forcément avoir été une information sciemment falsifiée. Si les études quantitatives de sciences politiques étaient fiables, si la couverture médiatique des résultats électoraux était globalement de qualité, de telles approximations ne trouveraient pas un terreau fertile parmi nos élites médiatico-politiques.

Cette production de Data Realis reflète le niveau général des analyses électorales dans notre démocratie, partant la fragilité du processus censé légitimer l’exercice du pouvoir. Prouver l’intentionnalité des invraisemblances présentées comme crédibles requerrait l’accès aux calculs détaillés de l’entreprise, mais ce problème est dérisoire au regard des enjeux de société soulevés par leur acceptation crédule dans l’opinion publique. Pourtant, nous allons avoir un aperçu des formules utilisées en auscultant les comportements effectifs des électeurs…

  • Vers un front républicain militant ?

Revenons sur le tableau des résultats des triangulaires abusivement modifiées par Data Realis, car certains enseignements en ont été passés sous silence.

Illustration 1
Front républicain © J. Morel

Sources : ( par commodité ) https://www.francetvinfo.fr/elections/resultats/ + G. Pallottino, « [Notre carte ineractive] Quelle assemblée sans front républicain ? », Boulevard Voltaire avec Data Realis Conseil, 10 décembre 2024, disponible en ligne : https://www.bvoltaire.fr/decouvrez-lassemblee-de-lunion-des-droites-et-des-patriotes/#

Dans la version précédente de ce tableau, j’avais interverti les résultats de la 5e et la 7e circonscriptions du Maine-et-Loire ; l’erreur est ici corrigée. Pour la 5e, j’ai pris soin de faire apparaître une série de 0 avant les voix de la candidate de gauche qui s’était maintenue au second tour ( après tergiversations : https://www.angers.villactu.fr/une-vague-de-reactions-contre-le-maintien-de-la-candidature-de-france-moreau/ ). Ce faisant, elle a été désavouée par la quasi-totalité de ses quelques 11 220 électeurs de premier tour.

Bien sûr, les électeurs ont pu être influencés autant par les signaux contradictoires que par les enjeux locaux de ce second tour. Le résultat n’en est pas moins un plébiscite sans égal du front républicain. Non seulement les électeurs l’ont choisi malgré l’offre politique, mais encore l’élu, D. Masseglia ( ENS ), n’a eu besoin d’aucun report pour l’emporter sur son rival G. Bourdouleix ( UXD ). En effet, à quelques voix près, ce dernier n’est pas parvenu à égaler au second tour le score du favori au premier tour.

Ce vote est l’archétype du vote de témoignage, où l’efficacité passe après le message électoral. Aucun report n’a été décisif pour emporter l’élection. Bien sûr, cela est plus facile à établir après le scrutin qu’avant, et une relative incertitude pouvait infléchir les volontés. Cela offre à Data Realis une session de rattrapage, car sa simulation pourrait conforter les doutes de l’instant décisif.

Parmi les éliminés, seul un candidat pouvait apporter quelques centaines de voix à la gauche, en l’occurrence 821.  Entre les voix LR ( 4e ), souverainistes ( 5e ) et Reconquête ( 7e ), le candidat d’extrême droite pouvait viser un maximum de 6 767 suffrages ( 5 362 + 822 + 583 ). En désespoir de cause ou par choix alternatif, seules 1 244 ont effectivement suivi cette trajectoire. A l’inverse, en admettant que l’élu centriste ait reçu le reliquat de toutes les voix de gauche, il tiendrait nécessairement des droites les 3 515 voix surnuméraires.

Autrement dit, pour emporter cette circonscription, le candidat d’extrême droite devait réunir les conditions suivantes : aucune défection au détriment de la candidate de gauche ( qui aurait atteint 12 041 voix contre 88 ) ; aucune sortie d’abstention en faveur du favori centriste ; un électeur de droite se reportant vers l’extrême-droite pour trois choisissant l’abstention ( là où plus d’un sur deux a choisi le centriste, ce qui rend le ratio impossible faute de pouvoir compenser chaque voix acquise à l’adversaire ). En fait, pour rappel, même si l’élu n’avait eu aucune capacité de rassemblement au second tour, ce qui semble aberrant pour un parti centriste, les quelques ralliés à l’extrême droite ne lui permettaient pas de triompher.

C’est le nœud central des pronostics électoraux, et des estimations de Data Realis. Qu’on le cauchemarde avec J. Cagé et T. Piketti ( Cf Une histoire du conflit politique ) ou qu’on le fantasme avec Boulevard Voltaire, le « bloc patriotique » ( https://www.bvoltaire.fr/decouvrez-lassemblee-de-lunion-des-droites-et-des-patriotes/ ) n’existe pas à l’heure actuelle. Autrement dit, Data Realis se fourvoie sur les points suivants : occultation complète du front républicain d’initiative militante ( ici, voir également les circonscriptions suivantes : 7e de Maine-et-Loire, 1ère et 10e des Yvelines, 3e de Haute-Vienne ) ; postulat d’une union des droites qui ne saurait être généralisée à tout le territoire ; ignorance des difficultés historiques des extrêmes droites à élargir leur base électorale. Concernant ce dernier point, la portée de l’alliance ciottiste est sans doute encore minorée, car pendant que les médias couvraient massivement l’union des gauches, l’union des extrêmes droites se répartissait efficacement les circonscriptions.

En résumé, nombre de victoires des extrêmes droites qui semblent possibles sur papier contreviennent aux cultures politiques locales, aux personnes réelles qui occupent les territoires. Nous avons pu observer à l’échelle des bureaux de vote que les populations ramenaient volontiers leur choix de second tour à une alternative binaire, quitte à rejeter leur premier choix maintenu en finale ( pour approfondir : https://blogs.mediapart.fr/edition/chroniques-electorales-france/article/081224/legislatives-2024-front-republicain-sources-et-methodes-mesures-et-def ; https://www.youtube.com/watch?v=6LQL7cr5UGw ). C’est moins par la modélisation de seconds tours sans désistements que l’on aboutit à une majorité écrasante d’extrême droite en 2024, que par la négation des électorats, de leur histoire et de la géopolitique partisane.

Certes, des réalignements sont possibles, mais nous verrons que les départements les plus perméables aux extrêmes droites ont souvent… Une tradition électorale de gauche. C’est là que l’étude des présidentielles est autrement plus instructive que celle de scrutins intermédiaires, dont les meilleures participations égalent péniblement les plus médiocres mobilisations du scrutin à la clef de voûte de nos institutions.

  • Quelles circonscriptions de front républicain peuvent paraître « sûres » ?

Les divergences d’estimations avec Data Realis étant désormais explicitées, voyons quels en sont les résultats pour les sièges que j’ai classés comme « sûrs » dans le graphique récapitulatif de l’assemblée issue des urnes :

Illustration 2
Front républicain © J. Morel

Réalisation du document, sources détaillées : https://www.youtube.com/watch?v=u3J8bWZWiIY

Typologie détaillée : https://www.youtube.com/watch?v=rmDo8yLXQxs

          Ces sièges de victoire assurée impliquent que, presque inévitablement, les élus de front républicain les auraient acquis, même en l’absence de front républicain. Cela regroupe deux sous catégories qu’il va falloir justifier, en partie à l’aide des divergences d’estimation avec Data Realis, mais aussi grâce à d’autres séries de calculs et graphiques.

          Pour rappel, dans cette étude du front républicain par circonscriptions, j’ai opté pour les scores de chaque candidat, au lieu de regrouper les voix par mouvances, comme c’était le cas avec les analyses à l’échelle des bureaux de vote. L’un des objectifs était de pouvoir déterminer quels candidats ont été élus sans nécessité du moindre report d’entre-deux tours. C’est la première catégorie ici considérée, qui se chiffre à 64 sièges ( 60 en métropole plus 4 en outremer ).

Les 27 sièges qui comblent la différence mentionnée en conclusion de l’article précédent ( entre 260 circonscriptions de front républicain avéré et 169 circonscriptions de front républicain plus ou moins efficient ) ont été obtenus par un calcul moyennement complexe, mais déjà expliqué et pouvant prétexter une longue digression. Le mieux est de se reporter à l’article où j’expose le document récapitulatif du potentiel de progression des extrêmes droites, avec la formule précise : https://blogs.mediapart.fr/edition/chroniques-electorales-france/article/111224/legislatives-2024-front-republicain-impacts-en-sieges-selon-comporteme ; pour approfondir : https://www.youtube.com/watch?v=rmDo8yLXQxs.

          Avec ces catégories, une chose est certaine : les non spécialistes ont peu de chances de détecter des incohérences, là où un hors-sujet est normalement perceptible par n’importe qui. Quoi qu’il en soit, voici la localisation et la couleur politique des 64 circonscriptions où le front républicain a eu une stricte fonction de témoignage :

Illustration 3
Front républicain © J. Morel avec Khartis

Réalisation du document, sources détaillées : https://www.youtube.com/watch?v=CxvGvBkAohM

          A titre indicatif, voici celles qui sont l’objet de divergences avec Data Realis, lesquelles représente un ratio d’une sur dix ( compte tenu de l’impossibilité de vérifier les propositions de Data Realis pour l’outremer ) :

Illustration 4
Front républicain © J. Morel

Sources : ( par commodité ) https://www.francetvinfo.fr/elections/resultats/ + G. Pallottino, « [Notre carte ineractive] Quelle assemblée sans front républicain ? », Boulevard Voltaire avec Data Realis Conseil, 10 décembre 2024, disponible en ligne : https://www.bvoltaire.fr/decouvrez-lassemblee-de-lunion-des-droites-et-des-patriotes/#

          Tout au plus peut-on relever que Data Realis surestime à chaque fois considérablement les reports de droite vers l’extrême droite. Selon toute vraisemblance, il s’agit bien de biaiser, pour ne pas dire fausser, les cultures populaires dans le sens des préférences des auteurs. Néanmoins, sur ce point, on ne peut pas leur reprocher d’avoir fait autre chose que ce qu’ils ont annoncé dans leur méthodologie, avec la définition d’un bloc patriotique très élargi. A cet égard, les cas les plus litigieux ont déjà été traités, et nous avançons pas à pas vers les diagnostics les plus consensuels.

Dans les territoires suivants, où l’extrême droite est tendanciellement plus attractive, les gains d’entre deux tours sont également plus élevés, y compris du fait d’une radicalisation des droites dans certains départements. La 5e circonscription de Meurthe-et-Moselle a ainsi vu l’émergence d’un dissident d’extrême droite au pied du podium, ce qui contribue à des reports très favorables. De même, d’après les logiques partisanes des reports et la réciprocité très relative du front républicain déjà abordée ailleurs ( https://blogs.mediapart.fr/edition/chroniques-electorales-france/article/301124/legislatives-2024-documents-principaux-video-5-front-republicain-1-2 ), les extrêmes droites rassemblent mieux face aux gauches que face aux autres mouvances.

Illustration 5
Front républicain © J. Morel

Sources : ( par commodité ) https://www.francetvinfo.fr/elections/resultats/ + G. Pallottino, « [Notre carte ineractive] Quelle assemblée sans front républicain ? », Boulevard Voltaire avec Data Realis Conseil, 10 décembre 2024, disponible en ligne : https://www.bvoltaire.fr/decouvrez-lassemblee-de-lunion-des-droites-et-des-patriotes/#

Désormais, avec des extrêmes droites structurellement plus puissantes, les divergences avec Data Realis se montent à plus d’un tiers des circonscriptions possibles ( toutes situées en métropole ) ; mais s’agit-il encore d’estimations contradictoires, sachant qu’il s’agit de la strate où les échecs du front républicain commencent à devenir un peu plus probables ? Une probabilité d’un succès d’extrême droite sur trois circonscriptions « sûres » me semble trop forte, mais Data Realis peut la juger juste, voire trop faible.

Peu importe, ce problème semble impossible à trancher sans entrer dans le détail des conjonctures locales : crédibilité des candidats… A moins que les deux graphiques ci-après apportent des arguments crédibles.

  • Mesures du front républicain à l’échelle des circonscriptions et des étiquettes politiques:

 Les mesures qui suivent sont à la fois concurrentes et complémentaires de celles produites précédemment à l’échelle des bureaux de vote.

L’inconvénient de ces nouveaux calculs, c’est qu’ils indifférencient presque totalement les reports de proximité partisane avec ceux de front républicain. En effet, en fondant toute les formules sur les scores obtenus à chaque tour par chaque candidat, même si les électeurs d’un candidat de gauche disqualifié ne se reportent pas inéluctablement vers celui de gauche qui accède au second tour, un tel report relève sans doute plus de la convergence politique que du contexte de montée d’extrême droite ; idem pour les autres mouvances politiques, cela va de soi.

La proximité partisane n’est ici prise en compte que dans le cas des triangulaires où les électeurs se sont reportés vers un candidat affilié à un parti de front républicain sans avoir été a priori favori, en tout cas sans avoir été élu a posteriori ( voir les valeurs en bleu dans les graphiques ci-après ). Cela aboutit à des estimations maximalistes du front républicain, à l’inverse de mesures fondées sur les mouvances politiques, sur les ralliements contre-intuitifs, où le facteur contexte prime les affinités idéologiques.

L’avantage de considérer chaque voix acquise par l’élu du premier au second tour, c’est que cela permet de discerner les proportions de reports décisifs et surnuméraires. Bien entendu, comme nous l’avons déjà dit, les électeurs n’ont pas de certitude absolue sur le résultat du second tour à venir. Néanmoins, considérons qu’ils connaissent un minimum leur circonscription et s’interrogent sur les résultats du premier tour, leurs potentialités au regard des précédents. Dès lors, une double motivation peut être évaluée : décider de l’élection d’une part, envoyer un message d’autre part. Au regard du précédent de 2002, la fonction de témoignage est centrale dans les dynamiques de front républicain. Connaissant déjà le paroxysme originel du phénomène en 2002 ( Cf https://blogs.mediapart.fr/edition/chroniques-electorales-france/article/301124/legislatives-2024-documents-principaux-video-5-front-republicain-1-2 ), il s’agit de voir ce qu’il est devenu avec son dernier développement.

Illustration 6
Front républicain © J. Morel

* ci-après, valeurs corrigées après publication d’une première version du document ; sources détaillées et réalisation du document : https://www.youtube.com/watch?v=6LQL7cr5UGw

Les pourcentages fournis dans ce graphique peuvent déstabiliser des observateurs. En fait, le principe en est simple. Prenons les reports décisifs évalués à 10,63 % des inscrits des 84 circonscriptions de duels gagnés par front républicain. Si l’on considère ces mêmes électeurs dans l’ensemble des 196 circonscriptions où des reports ont été décisifs, le corps électoral de référence est forcément recalculé. Ainsi la valeur finale baisse-t-elle mécaniquement puisque ces reports sont les plus prégnants dans les 84 circonscriptions considérées en premier. C’est pourquoi la totalité des reports de front républicain représentés ici ( y compris ceux de proximité partisane, ce qui est objectivement abusif mais aboutit à une valeur plafond ) se monteraient à *12,74 % des citoyens habitant dans les circonscriptions concernées ( soit *83,07 % du corps électoral de 2024 ).

Cette présentation des résultats a pour finalité d’évaluer le poids local des transferts de front républicain. Si l’on revient aux 27 circonscriptions dont nous parlions, notamment pour la proportion d’une sur trois auraient incliné pour les extrêmes droites sans front républicain ; il apparaît que ces transferts décisifs se limitent en tout ( reports de proximité partisane compris ) à 1,62 % des inscrits locaux. Autrement dit, ils n’ont presque pas pesé dans le processus de désignation des députés. Une observation attentive permettrait de dégager des valeurs supérieures et inférieures dans le détail des circonscriptions, mais pour l’ensemble, cela reste un total dérisoire.

Avec les 85 circonscriptions exposées à un « risque RN », c’est-à-dire à une probabilité plus forte de conquête d’extrême droite en l’absence de front républicain ( rappel : terminologie trop longue pour les graphiques à réaliser ) ; 5,55 % des inscrits locaux ont indiscutablement fait barrage aux extrêmes droites. Un examen plus attentif de cet ensemble de circonscriptions ( voir graphique récapitulatif : https://blogs.mediapart.fr/edition/chroniques-electorales-france/article/111224/legislatives-2024-front-republicain-impacts-en-sieges-selon-comporteme ) permet de discerner tout un dégradé de situations. Il s’avère que les 20 premières confrontations offrent des rapports de forces très proches des 84 circonscriptions acquises par front républicain, tandis que les dernières tendent vers les 27 circonscriptions de faible incidence du front républicain.

A propos de reports décisifs dans les victoires locales, il faut garder à l’esprit les masses affiliées aux principales mouvances politiques à l’échelon national. Cette référence s’établit pour tous vers 20 % d’inscrits nationaux ; un peu au-dessus pour les extrêmes droites, un peu en dessous pour les gauches, et dans l’intervalle pour les centres et droites ( Cf https://blogs.mediapart.fr/edition/chroniques-electorales-france/article/291124/legislatives-2024-documents-principaux-video-3-gagner-partie-2-qui ). Si l’on se focalise sur les seuils d’élection, la grande majorité des élus de gauche au second tour ont obtenu un minimum de 30 % d’inscrits locaux, contre environ 35 % pour ceux du centre et de droite ( Cf https://blogs.mediapart.fr/edition/chroniques-electorales-france/article/291124/legislatives-2024-documents-principaux-video-3-gagner-partie-1-comment ) ; leurs alliés, moins nombreux à s’élever à la députation, ont obtenu des scores plus diversifiés. Pour information, les élus d’extrême droite qui sont entrés de justesse au palais Bourbon ont obtenu environ 27 % des inscrits de leur circonscription.

C’est à l’aune des seuils respectifs d’élection qu’il faut estimer les 10,63 % d’inscrits locaux ayant directement permis des victoires de front républicain dans les 84 circonscriptions les plus disputées. Il est évident que ces apports sont indiscutablement plus décisifs que lorsqu’ils ne dépassent pas les 2 % d’inscrits locaux… Mathématiquement, la probabilité de succès des extrêmes droites dans ces circonscriptions en l’absence de front républicain y approche le taux de réélection des députés d’extrême droite de 2022 ; sans pour autant l’égaler. Ce sont les territoires où se conjuguent le plus efficacement la tactique des appareils et le front républicain militant. Même en l’absence de désistement au niveau de l’offre politique, une volonté d’union trans-partisane aurait pu émerger de la base populaire.

  • Que reste-t-il de républicain dans le barrage aux extrêmes droites ?

En 2002, c’est presque la moitié du corps électoral qui s’est ralliée à J. Chirac au second tour. Il s’ensuit que ce modèle de front républicain joignait un certain unanimisme à une volonté de témoignage plus que de victoire, tant celle-ci était acquise d’avance. Les valeurs du front républicain 2024 en pourcentages d’inscrits permet de constater ce qu’il en reste ; sachant que c’est la totalité du corps électoral appelé aux urnes au second tour qui est ici prise en compte, soit 87,82 % du corps électoral du premier tour*. Ce total national inclue une combinaison absente ici, à savoir les duels dépourvus de finaliste d’extrême droite ( d’où la différence avec le graphique précédent ).

Illustration 7
Front républicain © J. Morel

* une faute de frappe a été rectifiée : 87,82 % des inscrits du T1 au lieu de 88,82 % ; sources détaillées et réalisation du document : https://www.youtube.com/watch?v=6LQL7cr5UGw

          Premièrement, il faut relever ce que le graphique dit en creux : les trois quarts, voire quatre cinquièmes des effectifs de 2002 ne se mobilisent plus pour le front républicain ; voire contre lui. Certes, les conditions d’élection ne permettent pas une implication optimale lors des législatives, mais à l’évidence l’unanimisme n’est plus de mise à l’échelon national. Autrement dit, soit une part importante de l’électorat français a basculé dans l’antirépublicanisme, soit il faut admettre que, désormais, diverses visions de la république s’affrontent ( Cf https://blogs.mediapart.fr/edition/chroniques-electorales-france/article/071224/legislatives-2024-documents-principaux-videos-63-72-republicanismessyn ). Les situations d’échec du front républicain relèguent ainsi dans le vote de témoignage des démarches électorales destinées à infléchir un résultat incertain.

Deuxièmement, alors que les masses électorales impliquées dans les fronts républicains peu utiles voire inutiles sont très faibles, rapportées aux inscrits nationaux, elles représentent localement près de 15 % des inscrits ( voir graphique précédent ). Autrement dit, malgré des fractures secondaires qui traversent chaque circonscription, il existe une tendance forte à la régionalisation des idéologies en présence, donc à la formation de relatifs unanimismes locaux en faveur de l’une ou l’autre compréhension du régime, de ses valeurs, de son fonctionnement…

Troisièmement, il apparaît que, dans un scrutin entre mouvances politiques discréditées, dépourvues d’une véritable envergure nationale, le pouvoir se joue à d’infimes variations électorales. Les élections deviennent une sorte de loterie, là où la réforme constitutionnelle de 1962 avait ouvert la voie à une ordalie. D’un point de vue strictement tactique, les directions nationales des partis peuvent espérer infléchir le comportement des électeurs décisifs par des campagnes de communication ou d’autres artifices ordinaires. Le vrai défi est cependant d’incarner une vision réellement mobilisatrice pour la nation.

J’en reviens ainsi au problème soulevé du républicanisme et de l’antirépublicanisme. En l’état des sources quantitatives, quelques pistes sont ouvertes et ont été sommairement défrichées ( Cf https://blogs.mediapart.fr/edition/chroniques-electorales-france/article/071224/legislatives-2024-documents-principaux-video-6-extremismes ). En dernière instance, si l’on admet que république et citoyenneté sont consubstantielles, le meilleur moyen pour chaque parti de se révéler dans son républicanisme ou son antirépublicanisme serait de proposer une définition constitutionnelle de la citoyenneté, comme il en existait durant les années 1790 ; cela en envisageant toutes ses implications civiles, pénales, organiques, voire constitutionnelles…

Une telle redéfinition du contrat social ( à supposer que la citoyenneté reste de nos jours un contrat social… ) esquisserait une vision pour la nation. Sa refondation serait tardivement engagée pour un siècle dont l’éclosion politique se fait encore attendre, et pourrait encore avorter. Bien au-delà de la France, nos sociétés démocratiques semblent tentées de se refermer sur les contradictions du siècle précédent. Or, tous ces régimes libéraux ont sapé les fondamentaux juridiques et sociétaux de leur citoyenneté, sans sérieusement envisager d’adapter cette dernière ; comme si l’invoquer pouvait suffire, comme si ânonner un idéal en faisait une réalité.

Pour en revenir à la notion ici décortiquée, sans critère officiel fiable, le front républicain renverra, au mieux, à la confusion des repères institutionnels, au pire à un verbiage vain, dépourvu de consistance politique, sinon de matière grise. On dit souvent que la nature a horreur du vide ; sans doute cette vacuité institutionnelle et intellectuelle est-elle le principal appel d’air pour les extrêmes droites et leurs progrès de la dernière décennie.

Dans les articles suivants, les comparaisons avec la simulation de Data Realis n’auront plus lieu d’être, puisque nous nous concentrerons sur les circonscriptions les plus sujettes à des majorités d’extrême droite. Tout au plus en sortira-t-il des gouvernements potentiels sensiblement distincts de ceux proposés pour Boulevard Voltaire. Désormais, leur crédibilité et leurs limites ont été exposées de manière détaillée par cet article et les précédents. A chacun de juger de la probabilité d’occurrence de tels scénarios, sachant que les acteurs politiques ont encore la possibilité d’infléchir le cours des événements dans l’éventualité d’une autre dissolution.

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