Ses liens avec l'Amérique et sa proximité géographique avec l'Afrique font en partie comprendre l'immigration que l'Espagne s'attire. Légale comme illégale, celle-ci dynamise sa croissance économique et démographique, mais quelles perspectives d'avenir s'offrent aux populations immigrées qui s'y trouvent en situation irrégulière ?
Après avoir d'abord évoqué la potentielle légalisation du statut migratoire des travailleurs et des travailleuses en situation irrégulière, cette contribution a ensuite abordé le cas des mineur·es non accompagné·es. Cette dernière partie est quant à elle consacrée au contrôle des frontières.
3. Le placement en détention, l'externalisation et le déplacement des flux migratoires
En dépit du contexte sanitaire de l'année dernière et de la conséquente fermeture des frontières, le Ministère de l'Intérieur estime avoir intercepté 41 860 personnes qui pénétraient clandestinement le territoire sur l'année 2020, parmi lesquelles plus de 40 000 arrivaient par voie maritime, soit une hausse de 53,6% par rapport à 2019 et les données pour l'année en cours confirment cette tendance (OIM).
En effet, environ 36 000 personnes sont arrivées en situation irrégulière entre janvier et la mi-novembre 2021 (plus de 34 275 par voie maritime). C'est 7% de plus que sur la même période en 2020. Dans le détail, les îles Canaries et l'enclave de Ceuta connaissent la plus forte affluence des onze derniers mois : 18 000 arrivées aux Canaries, –soit une hausse de 9,5%–, et 600 à Ceuta, –une augmentation de 275% (chiffres qui ne prennent pas en compte l'afflux soudain d'une dizaine de milliers de personnes en mai 2021, suite à l'hospitalisation à Logroño de l'actuel dirigeant du Front Polisario, Brahim Ghali).
L'Organisation Internationale pour les Migrations constate cependant que les reconduites vers les pays d'origine diminuent constamment depuis 2018, une tendance en partie explicable par des choix politiques structurels et un changement de gouvernement (la coalition de gauche est au pouvoir depuis la mi 2018), mais aussi par la volonté de contrôler davantage les départs depuis le Maroc, le Sénégal et la Gambie. Pour exemple, en 2019, le Royaume du Maroc a reçu 140 millions de fonds européens et 30 millions d'euros du Ministère de l'Intérieur espagnol pour renforcer les contrôles du détroit de Gibraltar et de la mer d'Alborán.
Récemment encore, le Fonds fiduciaire d'urgence de l'UE pour l'Afrique du Nord a par ailleurs financé divers contrats passés entre les Ministères de l'Intérieur des deux pays, notamment pour fournir Rabat en caméras thermiques et à vision nocturne (pour un montant d'environ 10 millions d'euros) et en véhicules de type 4x4 (pour environ 14 millions d'euros). Cette coopération bilatérale qui s'inscrit dans le cadre du renforcement de la Stratégie Nationale d’Immigration et d’Asile (SNIA) du Maroc, s'adapte aussi au récent pacte sur la migration et l'asile de l'Union européenne de 2020, dont les premiers bilans confirment l'intensification de la coopération internationale des États membres de l'Union avec d'autres États concernés par l'exil transfrontalier et les migrations.
Néanmoins, si les moyens financiers déployés paraissent sur ce point supérieurs à ceux de précédentes mandatures, les garanties qu'exige l'Espagne quant au respect des droits fondamentaux des migrant·es retenu·es dans ces pays sont peut-être moindres, notamment en matière de détention. D'ailleurs, bien loin de la fermeture des centres d'internement de personnes étrangères (CIE) que défend Podemos dans son programme, elle-même s'inscrit dans la droite lignée de la directive 2008/115/CE de la Commission européenne (laquelle fixe les contours juridiques du fonctionnement des centres de rétention et de privation des libertés), et multiplie la création de centres de ce type.
Après le maintien de 2600 personnes sur le quai d'Arguineguín durant l'été 2020 (Mogán), dans des conditions d'hygiène déplorables selon Médecins du Monde car la capacité d'accueil initiale était de 400 places, le Plan d'urgence pour les Canaries comportait ainsi la création de 7 000 places d'accueil et/ou de rétention supplémentaires, –généralement dans des tentes–, comme par exemple 300 dans un vieux collège fermé en 2018 en raison de son insalubrité comme le reportait Mediapart en décembre 2020, 1 450 à Las Raíces ou encore 700 places à El Matorral. Ces mesures d'urgence, l’État espagnol s'est vu contraint de les prendre par manque d'anticipation, car chaque fois qu'une voie est davantage contrôlée, c'est une autre route, souvent plus dangereuse, qu'empruntent les candidat·es à l'immigration clandestine, comme l'illustrent les exemples du littoral marocain, où le contrôle exacerbé des frontières de Melilla et de Ceuta provoque une augmentation des arrivées par voie maritime via Gibraltar, donc par la mer, jusqu'à ce que la militarisation du canal (EUROSUR) reporte à son tour les voies d'accès à l'Europe vers d'autres canaux.
En effet, ce renforcement du contrôle des frontières communautaires maritimes et terrestres au Maroc entraîne une réorganisation du trafic des migrant-es vers le sud-ouest du pays, via l'archipel des Canaries. Située à 475 kilomètres de ses côtes, Dakhla (Sahara occidental) est ainsi en passe de devenir un des nouveaux épicentres de ces migrations clandestines, avec des voyages de plus de 72 heures par conséquent plus dangereux, comme le programme Missing Migrants de l'OIM l'a récemment signalé en communiquant à l'agence de presse EFE que 1 255 personnes avaient perdu la vie en Méditerranée cette année en essayant d'atteindre les côtes espagnoles (dont une centaine d'enfants et environ 250 femmes). Parmi elles, 75% tentaient justement de rejoindre les îles Canaries et ces chiffres ne tiennent compte que des corps effectivement retrouvés.
Comme le reporte l'ONG Caminando Fronteras, les décès entre le Sahara occidental et les Canaries seraient bien plus fréquents, causés principalement par le manque d'expérience des navigants et la précarité des embarcations, les noyades et le manque d'équipements de sauvetage, la déshydratation, l'hypothermie, l'intoxication aux vapeurs d'essence voire l'asphyxie liée au nombre de passagers et de passagères à bord, sans compter les conditions météorologiques.

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