Billet de blog 11 avril 2022

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Joseph Siraudeau

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Les morts (bientôt) vous saluent

Pendant les deux semaines qui s’ouvrent, encore une fois, une énième fois, il faudra se résigner. Laisser cancaner les fachos sur nos ondes et nos écrans, entendre l’autre-sans-âme gueuler et sourire-carnassier comme si tout était plié... Les élections élisent nos bourreaux, les programmes programment notre mort.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

      Pendant des mois, nos espaces furent saturés par les débats. Leurs colporteurs n’ont pourtant pas su éviter la débâcle. Morte préméditée, inéluctable Chute.

     Je ne serai pas long. Ils ne le méritent pas. Ils n’en valent pas la peine. Au fond, seule notre attention résignée mais pas enragée, le fait que nous nous agrippons mordicus aux élections comme si elles pouvaient encore changer la vie, pave le chemin de notre condamnation politique.

     Pourquoi s’échiner à fouler la page, plus blanche que blanche - plus cadavérique tu meurs -, plutôt que de fouler leurs oripeaux puants ? Pourquoi martyriser mes dernières forces, puisqu’ils s’acharneront à les épuiser jusqu’à la transfusion ? Où porter mon regard et mes espoirs dans ce ciel aux parfums délétères ?

     Une chose est sûre : ils voudront nous en rendre tributaires. Après tout, c’est le propre de ce système politique. Toujours réduire, toujours réduire, toujours réduire. Jamais déduire de leurs innombrables échecs et s’avouer vaincus. Ils nous rongeront les os jusqu’à en briser le squelette, ça fera crac retentissant, ça fera corrosion de toutes parts. On brûlera alors dans le charnier des anti-réformes.

     Il y a la question du curseur. A qui attribuer la responsabilité du désastre en cours, des calamités en présage ? La plupart des commentateurs sont toujours prompts à fustiger un ou une candidat.e qui n’aurait pas su élargir sa base, parler à certaines voix, proposer les mesures les plus souhaitables ou en phase avec leurs attentes. Le hic, c’est que, comme je le décrivais déjà ici, notre pensée est encombrée et paralysée par ce qui fondamentalement la restreint. Pour certain.es, cette posture est privilégiée, inconsciente, hors-sol même. Mais, je le dis et je le redis, tant que l’imaginaire électoral, quoique conspué de partout, continuera à mystifier nos esprits, tout potentielle sortie de l’atonie s’affadira. Les élections élisent nos bourreaux, les programmes programment notre mort.

     Pendant les deux semaines qui s’ouvrent, encore une fois, une énième fois, comme tout le temps, la grande capture de nos actions et de nos devenir-révolutionnaires poursuivra son cours. De-ci de-là, quelques tentatives plus ou moins audacieuses bourgeonneront, les appels à l’union et à la concertation foisonneront. Mais à quoi bon ? Organiser la suite ? La suite, l’après, comme vous voudrez, aura l’allure insipide des lendemains de soirée - électorales. Barbouillé.es de chocolat, nous aurons la nausée de la créativité. En témoigne, l’état des mobilisations actuelles. Le fait qu’une part conséquente des militant.es les plus chevronné.es, les plus à même de faire advenir ce futur désirable, a elle aussi franchi le pas du bureau de vote n’augure aucune festivités. Si les revendications et les craintes avancées sont de toute évidence légitimes, l’impression de descendre six pieds sous terre devient de plus en plus prégnante. Les vivas n’émeuvent plus, les émeutes ne chantent plus.

     Pendant les deux semaines qui s’ouvrent, encore une fois, une énième fois, il faudra se résigner. Laisser cancaner les fachos sur nos ondes et nos écrans, entendre l’autre-sans-âme gueuler et sourire-carnassier comme si tout était plié, voilà ce que nous allons bouffer. Ah, ces médias qui nous martèlent que “Le Pen, c’est les chats et le pouvoir d’achat”, rien que ça - le reste, des pacotilles -, que “la République multicolore et de la sagesse, c’est lui” ; ah, cette gauche qui a trahi, qui a failli et qui plaidera ingénument la cause de celui qu’elle a combattu avec férocité verbale pendant toutes ces années.

     Et puis, il y a tous ces amis. Les amitiés fondent, se dispersent, les dix doigts finissent par suffir. Cette masse de plus en plus étriquée. Cette petite masse, donc, constitue un autre “élément rageant dans la rage générale”. Des amis qui peuvent encore écrire, malgré que je les tienne en immense respect, que “celui qui a le pouvoir d’éviter la catastrophe c’est Emmanuel Macron lui-même”, en appellant par suite à voter pour lui. D’autres, moins catégoriques, tergiversent. L’extrême-droite, c’est une ligne rouge. Mais, chers amis, chères amies, j’aimerais savoir le tracée de votre cartographie politique. La ligne rouge, n’est-ce pas le quotidien calaisien, la place de la république évacuée sans humanité, le calvaire de la frontière italienne, les corps déchiquetés, les terres dévastées - pardon de ne pas tout citer ? Le regret fait figure de repoussoir à gauche ; il s'agirait de ne pas se morfondre pendant les cinq ans qui s’annoncent… 

     Un mot sur la lutte, les luttes. Le candidat-à-500-000-voix-près l’a lui-même scandé hier : “la lutte continue !”. La lutte ne doit pas flancher, c’est une chose. Qu’elle continue comme avant, c’est une erreur à ne pas reproduire. Cela commence par ne pas se fourvoyer dans ce tombeau d’illusions qui avalent tous nos espoirs. Surtout, cela invite à penser d’autres formes de lutte. Conspirer plus, éprouver durement les passages obligés de l’activisme, apprendre à faire sans eux. A l’appel, il faut aussi savoir raccrocher. Tout en laissant un répondeur, au cas où les désireux, les désireuses du contre-bloc hégémonique se décidaient à renoncer à leurs chimères.

     Je vous demande de ne pas voter, de déblayer, d’émeuter. De pleurer à la gloire de ce que nous n’aurons jamais. Cela fait parfois du bien, d’abandonner ses utopies et de jeter toutes ses forces dans la bataille du présent. Alors laissons faire, laissons parler. Les élections, peu importe ce que les nouveaux prophètes prédisent, ne seront pas annulées. Pas pour le moment, en tout cas. Orchestrons la fuite, saccageons le saccage. Il persiste de la joie, là-bas. L’époque se meurt et nous avec. Mais bientôt…

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