De A comme Ambiguïté à V comme Vie quotidienne, c’est à la découverte d’un Lexique nomade que nous convient les Assises du roman 2009(Lyon, du 25 au 31 mai). A un voyage dans et par les mots, « gros » de tant de sens, des mots qui débordent au sens de longer des marges, flirter avec les précipices : « pour eux, rien n’est impossible, ou trop grand ou trop beau ». Mots choisis, mots amis ou honnis parfois, ils sont les clés de l’imaginaire, de la fiction, du romanesque, l’alpha et l’oméga, le graal, aussi, sans doute.
Les écrivains invités à la Villa Gillet pour ces troisièmes Assises du roman ont, comme leurs prédécesseurs, choisi et défini un mot, pour former ce dictionnaire annuel, subjectif, libre et original que publient les éditions Christian Bourgois, directement en poche, dans la collection « Titres ». Un dictionnaire portatif donc, non exhaustif, mais extensif, en 35 mots.
C’est une langue du monde qui s’exprime dans ce recueil, par ordre alphabétique des mots et non des auteurs, ce sont des origines qui se disent et s’effacent sous la traduction (de l’arabe, de l’hébreu, de l’italien, de l’anglais, du chinois, du russe, etc.), comme la métaphore du grand livre du roman, grand livre du monde. Will Self choisit d’ailleurs le mot « calenture », identique en anglais et français. Sjón nous apprend un terme islandais, « arnsúgur ». Des « identités » (Neil Bissoondath) insaisissables, plurielles, « un processus – ce qui me semble être la seule définition valable du mot identité ».
La liberté serait le maître mot de ce dictionnaire baroque ; les définitions se suivent sans se ressembler, parfois sérieuses, souvent drôles, toujours inventives et surprenantes. « (Mes) Animaux » de Saša Stanisić se déploie comme un recueil de micro-récits, aucun des mots choisis n’a de sens commun, il révèle une intimité, un imaginaire. « Calendure » a été choisi par Will Self pour son caractère transnational, abscons – reproche que la critique adresserait à son œuvre – mais aussi parce que ce mot se donne comme un art poétique. Désignant « un trouble mental affectant les marins sous les tropiques », « il exprime ce que ma fiction se propose de faire, à savoir suspendre l’incrédulité de mes lecteurs de manière à ce qu’eux aussi enjambent le bastingage et tentent de déambuler à travers une hallucination ».

A travers ce lexique, le lecteur apprendra également à loucher avec Juli Zeh (« le discours littéraire n’est rien d’autre qu’un regard oblique qui se pose doucement à côté des choses. Un regard fait de mots qui louchent un peu »), hésitera entre les cahiers Moleskine de Toby Litt et la « Machine » de Philippe Vasset, à moins qu’il ne se laisse séduire par les « Ciseaux » de Sergio González Rodríguez. Peu importe. Adam Phillips explicite peu après le « Conflit ». D’autres écrivains proposent un mot analogon de l’objet que nous tenons entre nos mains, « Escalier », « Efflorescence », « Jeu », « Migrance », « Nébuleuse ». Suivez votre caprice, tracez votre ligne de lecture, droite en suivant l’alphabet, plus circonvolutive en butinant d’auteurs connus en découvertes, de mots aimés en mots abscons. Après le choix des écrivains, celui des lecteurs.
Bref, un dictionnaire étonnant. « Bref », terme défini par Sergi Pàmies : « ʺBrefʺ me plaît parce que c’est un mot bref qui ne ment pas. Si le mot signifie bref il faut bien qu’il le soit, n’est-ce pas ? C’est une question de cohérence. Et si parfois les gens pensent que dire bref, comme si l’on voulait mettre un terme à la conversation, est un procédé un peu violent, il est simplement bref, comme le mot bref, il est aussi bref et coupant, sans l’être (au demeurant, il est des conversations qui méritent qu’on y mette un terme, alors autant être bref). Bref me plaît parce que la brièveté est aussi un signe de modestie, comme le 100 mètres en athlétisme, l’apéritif en gastronomie, les nouvelles en littérature ou, dans la vie, le bonheur. Pour le dire brièvement, bref me plaît, parce que ».
Lexique nomade, Assises du roman 2009, Le Monde / Villa Gillet, préface de Raphaëlle Rérolle, Christian Bourgois, « Titres », 107 p., 7 €
Les auteurs du lexique nomade : Aharon Appelfeld, Stéphane Audeguy, Rick Bass, Niel Bissoondath, Alfred Brendel, John Burnside, Fabrizio Gatti, Ghamal Ghitany, Sergio Gonzalez Rodriguez, Philip Gourevitch, Arnon Grunberg, Yu Hua, Nancy Huston, Siri Hutsvedt, Lidia Jorge, Hanif Kureishi, Julia Leigh, Toby Litt, Marie N'Diaye, Stewart O'Nan, Véronique Ovaldé, Sergi Pamiès, Adam Phillips, Pascal Quignard, Jorn Riel, Manuel Rivas, Michel Schneider, Will Self, Sjon, Sasa Stanisic, Antonio Ungar, Philippe Vasset, Abdourahman A. Waberi, Julie Wolkenstein, Juli Zeh.
Comme chaque année, les textes de la 3e édition des Assises du roman seront publiés à l'automne 2009 aux éditions Christian Bourgois.