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Lire l'article intégralement : https://www.mediapart.fr/journal/france/050320/la-recherche-defile-partout-en-france-contre-sa-future-loi-de-programmation dont je reproduis ici des extraits montrant le dynamisme de la lutte. Michel-Lyon.
"Lancée par la coordination nationale des « facs et des labos en lutte », la mobilisation des chercheurs s’est adossée à la contestation de la réforme des retraites, autre transformation dans laquelle les universitaires craignent de laisser des plumes. Selon la coordination, plus d’une centaine d’universités et d’écoles, 300 laboratoires et 145 revues scientifiques en sciences humaines et sociales sont impliqués dans le mouvement.
Au cœur de leurs revendications : un plan de titularisation massif des nombreux précaires, des créations de postes et des crédits de fonctionnement pérennes pour les laboratoires… Des mesures absentes, selon eux, de la future loi de programmation pluriannuelle pour la recherche, qui doit être prochainement présentée en Conseil des ministres, alors qu’elle était initialement annoncée pour le mois de février.
Ce jeudi, les manifestations ont rassemblé plusieurs milliers de personnes à Rennes, Strasbourg, Montpellier, ou encore Lyon. Les cortèges étaient notamment alimentés par des collectifs de précaires, présents en masse dans les travées de l’université française.
La veille, 800 chercheurs, inspirés par les personnels hospitaliers, avaient menacé dans une tribune publiée dans Le Monde de démissionner de leurs fonctions administratives si le projet n’était pas retiré.
#Universite Journée université porte à Poitiers, 350 personnes ont manifesté contre le projet de loi de programmation de la recherche.#recherchehttps://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/vienne/poitiers/operation-universite-morte-poitiers-contre-reforme-recherche-1795399.html …
Dans la capitale, les cortèges se sont élancés depuis chacune des universités d’Île-de-France pour un défilé, puis un rassemblement place de la Sorbonne. Ils étaient 8 600 selon la préfecture de police, et plus de 25 000 selon les organisateurs.
Les grévistes n’ont pas hésité pas à se mettre en scène, chantant ou dansant, comme la revue des « revues en lutte », qui rappelle le travail « invisible » des chercheurs. Le texte de Virginie Despentes publié dans Libération en réaction à la dernière soirée des Césars est devenu le slogan de ralliement des facultés parisiennes : « On se lève et on se casse. »
Université Ouverte@UnivOuverte Déambulation festive de débrayage sur le Campus Condorcet à Aubervilliers : tou-tes les collègues rejoignent les #FacsEtLabos en lutte.
Article de Rouguyata Sall paru le 4 mars sur l’état de la recherche en France, vu par des étrangers.
Si c’était à refaire aujourd’hui, ils reviendraient en France. Mais les chercheurs Pérola Milman, physicienne venue du Brésil travailler dans l’Hexagone, Kolja Lindner, politologue allemand, et Doyle McKey, professeur en écologie arrivé des États-Unis, sont tous inquiets pour l’avenir du modèle français, menacé à leurs yeux par la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR, annoncée pour le début du printemps), contre laquelle une partie du secteur se mobilise jeudi 5 mars.
Maître de conférences en théorie politique allemande (à l’université Paris VIII à Saint-Denis), Kolja Lindner a choisi de faire sa carrière en France. L’existence du poste de maître de conférences y est pour beaucoup, qui permet de poursuivre ses recherches tout en enseignant déjà sa spécialité à l’université. Tandis qu’en Allemagne, l’accès à un poste permanent ne se fait que par la nomination au titre de professeur. « Les chercheurs allemands sont précaires jusqu’à ce qu’ils deviennent professeurs, vers 42 ans, précise l’enseignant-chercheur, alors que les conditions pour être professeur sont les mêmes qu’en France », à savoir un doctorat et une habilitation à diriger des recherches (HDR), la plus haute qualification universitaire.
Et si c’était à refaire aujourd’hui ? La situation ne s’étant pas améliorée outre-Rhin, Kolja Lindner, qui a fait des allers-retours entre la France et l’Allemagne depuis le lycée, expérimenté l’université des deux côtés du Rhin, le referait.
Idem pour Pérola Milman, physicienne au CNRS arrivée du Brésil : elle retenterait l’aventure. « Quand j’ai commencé au Brésil, il n’y avait pas de concours ouverts à tous pour les débutants », explique celle qui voit encore aujourd’hui ses compatriotes partir. Après sa thèse en physique, Pérola Milman avait une piste pour un post-doctorat au Texas financé par le gouvernement brésilien, sous conditions de retour ou de remboursement.
Mais elle a choisi de rejoindre la France en 2000, où le financement ne se fait pas avec ce genre de contreparties. Pérola Milman rejoint d’abord le Collège de France en tant qu’attachée temporaire d’enseignement et de recherche (ATER), un CDD pendant lequel on prépare sa thèse ou les concours. Puis elle passe les concours du CNRS, grimpe les échelons, jusqu’à devenir directrice de recherche dans un laboratoire de physique quantique de l’Université de Paris (Paris VII).
Spécialiste d’une discipline qui a évolué rapidement ces dernières années, la physicienne estime que « le tournant de l’optique quantique vers l’information quantique est représentatif de ce qu’il se passe en France » : une recherche de plus en plus appliquée, et en lien avec les grandes entreprises du secteur privé.
« Théoricienne », Pérola Milman n’oublie pas ses consœurs et confrères « expérimentateurs », qui ont besoin d’équipements plus coûteux pour mener leurs recherches. Exemple : la salle blanche de leur laboratoire où ils développent notamment des nouvelles sources de lumière et des nouveaux circuits électroniques. « Il faut que ce soit un environnement très propre. Quand on travaille à l’échelle quantique, impossible de laisser des grains de poussière. » Or, l’entretien de cette salle blanche nécessite beaucoup d’argent et occupe les discussions budgétaires des chercheurs, qui prennent de plus en plus de place, au détriment du temps pour la recherche, aux yeux de Pérola Milman.
Lorsque les dotations de base d’un laboratoire ne suffisent pas, les chercheurs passent généralement des appels à projets, chronophages mais permettant de financer leurs activités. En France, c’est tout l’objet de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
L’augmentation de son budget recommandée par les groupes de travail préparatoires au projet de loi, afin de financer davantage de projets, divise la communauté scientifique car chercheurs et syndicats réclament plutôt une hausse des budgets récurrents, notamment pour faire de la recherche sur des temps plus longs que ceux conditionnés par les appels à projets. Pour Kolja Lindner, toutefois, cette proposition « n’est pas problématique » si les budgets de l’ANR sont à la hauteur, car « le temps passé à courir après l’argent est un gâchis ».
Autre chercheur interrogé, Doyle McKey, qui, lui, avait déjà un poste permanent de professeur en écologie aux États-Unis. Sa venue en France il y a « presque 25 ans » est due à « une combinaison de choses » : la volonté de poursuivre ses travaux en écologie tropicale au Cameroun, où il a appris le français, ainsi que la rencontre avec sa femme, française et déjà chercheuse fonctionnaire au CNRS, sans oublier « la qualité de vie à Montpellier ».
« À l’époque, il y avait le financement du fonctionnement de base du labo mais c’était insuffisant, se remémore le chercheur. Les appels à projets plus petits de l’université et du ministère de l’écologie, c’est ça qui m’a sauvé la vie au départ. »
Mais ce professeur émérite de l’université de Montpellier (autrement dit retraité), qui continue tout de même ses recherches au sein du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive, voit aujourd’hui « ses collègues juniors » s’épuiser à candidater à l’ANR plusieurs années d’affilée. « Certains se découragent, ça prend trop de temps, alors ils prennent d’autres projets opportunistes, pas à la hauteur de leurs ambitions. Il y a beaucoup de gens frustrés. »
Les nouvelles formes de contrats de travail envisagés dans la LPPR inquiètent aussi le chercheur d’origine américaine, tels les tenure tracks qui viennent des États-Unis, qui consisteraient ici en un CDD de 5 à 7 ans. Signés par les universités, ces contrats pourraient déboucher sur un poste de professeur, selon les performances et sans passer par les concours de la fonction publique réservés aux enseignants-chercheurs. Il y a aussi les CDI « de mission », autrement dit les CDI de chantiers déjà actés dans la réforme de la fonction publique l’an dernier, plus proches du modèle allemand.
Interrogée par L’Obs le 2 mars sur ces nouveaux contrats, perçus par les enseignants-chercheurs mobilisés contre la LPPR comme un risque de précarisation, Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, précisait que les « chaires de professeurs juniors » ne seront « ni à l’américaine, ni à l’allemande, mais à la française. Elles viendront s’ajouter aux recrutements de maîtres de conférences déjà prévus ».
Mobilisé contre la LPPR ici et engagé dans un collectif en Allemagne pour l’amélioration des conditions de travail, Kolja Lindner ne voit pas d’un bon œil la direction que prend la recherche en France. Le politologue regrette que « la LPPR prévoie non pas d’augmenter les postes mais leur précarisation par les CDI de chantiers », dit celui qui y a « échappé » en quittant l’Allemagne.
Pérola Milman participe aussi aux manifestations contre la LPPR. La directrice de recherche, consciente de ne pas être la plus à plaindre puisque fonctionnaire, mentionne les craintes des doctorants et étudiants. « Dès leur arrivée, ils sont très stressés, ils ne réfléchissent qu’à ça », citant « un étudiant brillant qui a renoncé car il ne veut pas attendre 35 ans pour avoir un poste ».
Doyle McKey évoque ses étudiants dans un tout autre registre : « C’est vraiment inspirant de venir en France », estime le chercheur, saluant la possibilité de leur proposer des sujets interdisciplinaires. « De mon expérience, c’est beaucoup plus facile en France qu’aux États-Unis. On peut envoyer un stagiaire pour apprendre une technique dans un autre labo, il y a beaucoup de collaboration. » C'estla collaboration et non pas la compétition qui fait la bonne recherche"
Depuis, le cortège des étudiants, des chercheurs et des universitaires grandit à chaque manifestation interprofessionnelle contre la réforme des retraites, et pour dénoncer en même temps la LPPR à venir. Jeudi 5 mars, la coordination nationale des facs et des labos en lutte prévoit encore plus de monde, avec son appel à l’arrêt de l’université et la recherche.
Si huit présidents d’université ont publié une tribune dans Le Monde, mercredi matin, pour expliquer combien la France a besoin d’une loi de programmation pour la recherche, un collectif de 800 universitaires et chercheurs ont répliqué en menaçant de démissionner de leurs fonctions administratives si le projet de loi sur la recherche n’est pas retiré."
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Lire aussi la lettre collective des personnels de l'Université de Lille : https://blogs.mediapart.fr/adrienne-petit/blog/040320/notre-ministre-nous-voulons-dire-que-nous-ne-sommes-pas-dupes
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