Genèse du chaos Moyen–Oriental (Suite).
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2- Guerre Iran/ Irak .Quand les USA épousent la cause de Saddam Hussein.
En septembre 1980, le Président irakien, Saddam Hussein, dans un acte d’agression caractérisé, envahit l’Iran, croyant ce pays affaibli militairement car désorganisé par sa Révolution islamique. La rivalité Iran/Irak, ancienne déjà, était née de leur volonté de devenir le « gendarme du Golfe » ; la réconciliation - hyper médiatisée - du sommet des Non-Alignés d’Alger, 1976, n’y changea rien.
Manifestement, Saddam Hussein avait présumé des forces de son armée et mésestimé la capacité de résistance de son voisin. Huit années durant, les deux belligérants se livrèrent à une guerre de tranchées - comme en 14/18 - d’où ils sortirent épuisés, ruinés et surendettées.
La crise des otages de l’ambassade américaine de Téhéran, en 1979, avait sérieusement altéré les relations de l’Iran avec les USA, comme, du reste, l’ « affaire EURODIF » - qui donna lieu à l’ « affaire Walid Gorgi »- ruina les relations franco-iraniennes, à cette même époque.
Or, USA et France avaient été les fournisseurs de l’armée du Shah. La poursuite de la guerre impliquait un réapprovisionnement des arsenaux du pays : l’Iran était dans l’obligation de restaurer sa relation avec les Occidentaux : la libération des otages en était le préalable.
L’Irak, lui, n’avait pas de telles préoccupations. L’Union Soviétique et la France - déjà fournisseurs de son arsenal - devraient, en toute logique, en assurer le renouvellement.
Ni les USA, ni l’Europe, ni l’ONU ne condamnèrent l’agression irakienne.
La résolution 479 du Conseil de Sécurité - adoptée presque en catimini - évitait la question de la responsabilité du déclenchement de la guerre et se bornait à enjoindre aux deux belligérants « de restreindre, immédiatement, l’usage de la force » et « d’accepter toute médiation visant à amener l’Iran et l’Irak à la table de négociation ».
En réalité – comme la suite le montra- les uns et les autres escomptaient une défaite de l’Iran. Mais l’attaque irakienne fut stoppée et, dès 1982, la situation se renversa : l’Irak reculait et se trouvait sur la défensive : une victoire iranienne devenait possible.
Or, « une victoire iranienne aurait impressionné défavorablement nos amis arabes et aurait constitué une menace directe pour le leadership et les intérêts US dans la région » le fit remarquer George Schultz, secrétaire d’état. La révolution iranienne ne pouvait pas devenir le « gendarme du golfe ». Aussi, l’administration Reagan entreprit de courir au secours de Saddam Hussein.
Les relations diplomatiques avec Washington avaient été rompues par l’Irak, en 1967, durant la guerre des 6 jours. Washington envoya,en décembre 1983, Donald Rumsfeld à Bagdad afin de« persuader les Irakiens de se rapprocher des USA ».
Aussitôt la relation diplomatique rétablie, l’administration Reagan devint partie prenante du conflit. L’Irak fut promptement retiré de la liste des Etats voyous .Les USA commencèrent par lui fournir des renseignements sensibles sur les mouvements de troupes iraniennes puis intervinrent auprès des fournisseurs occidentaux (Français, Anglais et Allemands) pour faciliter son approvisionnement en armes et ouvrirent à l’Irak une ligne de crédit pour l’achat d’ordinateurs, d’avions de transport, d’hélicoptères et d’ instruments d’aide à la navigation.
Nota : l’Union Soviétique poursuivit ses livraisons à l’Irak, sans encombre, durant tout le conflit. Donc, les deux blocs antagonistes de l’Est et de l’Ouest œuvrèrent à l’unisson pour voir l’Irak triompher.
Dans le même laps de temps, Reagan inaugura un programme appelé « Opération Staunch » (Opération Etanchéité) dans le but d’empêcher l’Iran d’acquérir de nouvelles armes ou des pièces détachées pour son arsenal hérité du régime du Shah.
Vous avez dit Droit International, Droits de l’Homme, Morale ? Peccadilles ! Seuls comptent les intérêts des USA. La Doctrine Carter était en marche, pour un temps encore, par procuration.
Quelle avait été la culpabilité de l’Iran ? C’était d’avoir renversé le Shah, d’avoir voulu expérimenter sa révolution et de n’avoir pas voulu accepter l’immixtion des USA dans ses affaires intérieures – surtout au regard du précédent que constituait l’affaire Mossadegh, 1953 (Premier Ministre, éliminé pour avoir voulu nationaliser le pétrole iranien) : « chat échaudé craint l’eau froide » dit le dicton.
A y regarder de près, la prise des otages américains, en 1979, dans le feu de l’action révolutionnaire, était certes maladroite, mais gardons le regard sur le fait suivant : tous les otages, sains et saufs, avaient regagné in fine leurs foyers.
3- Première guerre du Golfe.
Le 2 août 1990, moins d’un an après la signature de l’armistice de la guerre Iran/Irak, Saddam Hussein ordonna l’invasion du Koweït. Une fois Koweït City tombé, il proclama l’annexion de l’Emirat. L’Irak contrôlait dès lors près de 25 % des réserves mondiales de pétrole et menaçait directement les 25 % détenus par l’Arabie Saoudite.
En d’autres temps, les USA auraient préféré la négociation pour amener l’IRAK à se retirer du Koweït. En effet, de 1945 à 1989, la guerre froide avait amené les USA et l’URSS à s’adapter aux situations : séduire leurs satellites respectifs ; ménager les pays qui étaient à égale distance entre les 2 grands ; déstabiliser les autres. C’est, par exemple, la raison pour laquelle les USA, en 1979, n’avaient pas envahi l’Iran après la crise des otages et l’humiliant cafouillage des unités spéciales censées les libérer ; pourtant son leadership était tout autant remis en cause, alors.
Après 1989, la Russie était rentrée dans ses frontières, le pacte de Varsovie- le pendant de l’OTAN- était mort. Le monde n’avait plus qu’un seul maître, les USA. Saddam Hussein avait oublié de tenir compte de la nouvelle donne.
Mikhaïl Gorbatchev, Président de l’URSS, entreprit de créer un climat propice à un règlement politique du conflit, avec l’approbation de nombreux pays dont la France, l’Italie, le Japon et la Chine - la Russie, la Chine et la France sont membres du Conseil de Sécurité de l’ONU.
Un plan de sortie de crise fut exposé aux différentes parties : « au départ l’Irak devait impérativement annoncer son retrait du Koweït puis l’exécuter. (…) » Après le retrait des troupes irakiennes « s’engagerait un processus réel, débouchant sur un règlement du conflit israélien ». « (…) les pays arabes étaient prêts à organiser des négociations entre lui [Saddam Husseïn] et les dirigeants du Koweït, [quant aux] litiges territoriaux et économiques opposant les deux pays (…) mais seulement après le retrait des troupes irakiennes(…) ». Source : Evgueni Primakov, « missions àBaghdâd »,pages 58 et suivantes.
En effet, lors de la création du Koweït, l’occupant britannique avait prélevé, au détriment de l’Irak, les 2 tiers nord du Koweït actuel, ainsi que les iles Warba et Boubyan- et ce, afin de rendre viable le micro territoire du seigneur d’un agglomérat de tribus du nord-est de l’Arabie, son allié. (Comme, du reste, la France, à cette même époque, dépeça la grande Syrie pour créer le Grand Liban, au bénéfice de ses alliés Maronites). Ce faisant, les Britanniques privèrent l’Irak – pays de marins célèbres- de sa façade maritime ; le couloir de Bassora, limoneux, présente peu de profondeur et rend la construction de ports problématique.
Nota : Une semaine après l’invasion du Koweït par l’Irak, un sommet arabe réuni au Caire prenait la décision d’engager des négociations sur toutes « les questions litigieuses », y compris la question territoriale. «(…) certains médiateurs arabes avaient tenté de définir une solution des problèmes de la région du golfe qui permettrait à l’Irak de conserver les deux îles koweïtiennes de Warba et Boubyan ainsi qu’une partie de la région pétrolifère de Roumaïla ». Source : idem.
L’Arabie Saoudite, elle-même, n’était pas contre et le fit savoir par son Ministre de la Défense, le prince Sultan.
Constatons que le désaveu de cette position saoudienne, vint des USA : le Prince Bandar - fils de ce même prince Sultan et ambassadeur de l’Arabie Saoudite aux USA - après convocation de l’administration américaine, remit son pays sur les rails imposés.
Evguéni Primakov, Missi Dominici du Président Gorbatchev, afin de trouver une solution politique à la situation, fit la navette entre Saddam Hussein et les capitales américaine, russe et européennes. L’Italien Andreotti, le Français Mitterrand et l’Allemand Kohl plaidaient pour une solution pacifique. Tous comprenaient que, si l’on ne parvenait pas à une solution politique, ils seraient entraînés dans la guerre, bon gré mal gré.
La position de Mme Thatcher, elle, rejoignait celle des faucons américains. Lors de son entretien avec Evguéni Primakov , elle déclara : « le retrait des troupes irakiennes du Koweït ne suffit pas, il faut porter un coup décisif à l’Irak, « briser l’échine » de Saddam Hussein, liquider toute l’infrastructure militaire et si possible, industrielle de son pays (…) Personne ne doit essayer de soustraire son régime aux coups qu’il doit recevoir (…) Les sanctions économiques contre l’Irak devraient être maintenues même s’il était contraint d’évacuer le Koweït .Si l’on met sur pied un système de sécurité stratégique dans la région , l’Irak devrait être soumis à un contrôle rigoureux pour lui interdire de se reconstituer un puissant potentiel militaire». Source : Evgueni Primakov, « missions àBaghdâd »,pages 82 et 83.
Ce « plan prévisionnel » fut exécuté à la lettre.
Evgueni Primakov hasarda: « votre dernière remarque s’applique-t-elle à tous les pays de la région ?, par exemple à Israël ? » ; à Mme Thatcher de répliquer lapidairement : « Israël, c’est tout à fait différent ! »
A l’issue de ce tour des capitales, Evgueni Primakov retourna à Moscou, pour en rendre compte au président Gorbatchev : « Nous en tirions la conclusion que le risque de guerre grandissait chaque jour. Le retrait de Saddam Hussein hors du Koweït n’était pas le seul objectif des partisans d’une intervention armée en Irak, ils avaient l’intention d’anéantir le régime. On risquait, ainsi, de sortir du cadre des résolutions du conseil de Sécurité de l’ONU (…) ». Source : Evgueni Primakov, « missions à Baghdâd », pages 85.
De plus, autocrate autoritaire, orgueilleux, emporté, suspicieux, Saddam Hussein ne déléguait jamais ses pouvoirs, pas même à son fidèle Tarik Aziz : ce qui n’était pas pour faciliter les bons offices de Primakov. Ces traits de caractère du leader irakien se révélèrent catastrophiques - pour l’Irak - quand vint le temps de se retirer du Koweït sans tergiverser .En effet, Saddam Hussein accepta de se conformer aux termes de la résolution 678 – un ultimatum - du conseil de sécurité de l’ONU, mais il crut utile de charger sa réponse de fanfaronnades révolutionnaires. Ses ennemis, bien entendu, focalisèrent sur ces dernières et, arguant du fait que l’ultimatum n’admettait aucune condition, écrasèrent l’Irak sous un tapis de bombes.
4- Qu’est-ce qui amena l’Irak à envahir le Koweït ?
A en croire Saddam Hussein, l’Arabie Saoudite, le Koweït et les Emirats Arabes Unis ne respectaient pas les quotas d’exportation de pétrole fixés par l’OPEP à chacun de ses membres. Ce qui était vrai. l’Irak non plus ne les respectait pas. Mais, Saddam Hussein estimait que son pays avait droit à un passe-droit, eu égard à la guerre qu’il avait menée contre l’Iran et qui, somme toute, avait contribué à écarter des monarchies sunnites le danger de la révolution chiite. Le fait que ces pays lui accordassent ces prêts (10 milliards de la part du seul Koweït) était tout naturel : c’était par intérêt bien compris que les uns et les autres avaient soutenu Saddam Hussein dans sa guerre.
La mise sur le marché de quantités excédentaires de brut avait eu pour conséquence immédiate de faire chuter le prix du pétrole de 50%. Saddam Hussein criait au complot. Selon lui, ses voisins se livraient à une opération inamicale pour fragiliser davantage son régime .En effet, le prix du brut qui s’effondrait, c’était aussi les revenus de l’Irak qui s‘effondraient .La raréfaction des subsides rompait le contrat tacite qui le liait à son peuple et à son armée : son pouvoir même était menacé.
Dès la fin de la guerre Iran/Irak, le Koweït exigea le remboursement des prêts consentis pendant le conflit, mettant ainsi sous pression l’Irak ruiné et perclus de dettes. Pire, l’Emirat Koweïti crut bon de mettre dans la balance le problème du différend territorial qui, depuis sa création, l’opposait à l’Irak : reconnaissant pour l’aide matérielle fournie par le Koweït, Saddam Husseïn devait, selon eux, être plus conciliant et clore définitivement ce problème qui envenimait leurs relations.
Le dictateur irakien ne l’entendait pas ainsi : il haussa d’un cran sa menace contre le Koweït.
Néanmoins, avant de déclencher les hostilités, Saddam Husseïn s’assura de la position américaine. Afin de jauger Washington, il rencontra lui-même l’ambassadrice des USA en Irak, Mme April Glapie, le 25 juin 1990 : après tout, peut-être que l’administration G.H. Bush (G.H. Bush est président depuis 1989) fermerait les yeux, comme l’administration Reagan avait fermé les yeux sur son agression de l’Iran, en 1980.
Malheureusement pour le peuple irakien, lors de ce rendez-vous, Mme l’ambassadrice Glapie ne vit pas d’objection et ne manifesta aucune mise en garde claire contre une éventuelle intervention de l’Irak contre le Koweït.
Au regard de l’Oplan 1002-90 http://www.globalsecurity.org/military/ops/oplan-1002.htm établi par Paul Wolfowitz et son équipe, avant ces évènements, certains parlèrent d’un piège tendu à Saddam Husseïn. Quoi qu’il en soit, le 2 août 1990, ce dernier lança ses troupes à l’assaut du Koweït.
Cette nouvelle invasion irakienne, elle, souleva l’indignation internationale : le Koweït n’est manifestement pas l’Iran. Le Conseil de sécurité de l’ONU - Union Soviétique et Chine comprises- condamna l’agression et imposa aussitôt des sanctions économiques à l’Irak. Comment les USA, forts de leur permissivité à l’endroit de l’Irak durant la période de la guerre Iran/Irak, allaient–ils répondre ?
Le 5 août, le Président G.H. Bush déclara l’invasion du Koweït inacceptable. Le 6 août 1990, le Roi Fahd d’Arabie Saoudite accepta d’accueillir un large détachement de l’armée américaine sur son territoire. Le 7 août, le Président américain annonça, à la télévision, le déploiement des forces US -dans le cadre d’un dispositif « purement défensif », déclara-t-il rassurant. Sur le terrain, l’opération « Désert Shield » avait déjà commencé. Elle fut à pied d’œuvre en seulement 4 jours : c’est prodigieux, même pour le CENTCOM.
En réalité les forces US étaient prêtes pour ouvrir les hostilités contre l’Irak ; elles n’attendaient que le « feu vert » ; l’orgueil mal placé de Saddam Hussein venait de le leur donner. L’heure de l’application de la Doctrine Carter était enfin arrivée. L’OPLAN 1002-90 déchaîna la fureur du CENTCOM. Odin et son marteau leste entrèrent en action.