Une histoire d’apprentis sorciers.
Eludée, maquillée, amnistiée, rien à faire : notre Histoire récente nous rattrape et pèse sur nous de tout son poids. Tant qu’elle n’était qu’une blessure narcissique, nous nous en accommodions, mais dans les mains d’ennemis insoupçonnables et insoupçonnés (et je ne pense pas aux musulmans quand j’écris cela : ils ne sont que ‘‘ la farce dans « le dindon de la farce » ’’) elle devient une arme d’une efficacité redoutable au service de causes si différentes les unes des autres, alliées par un concours de circonstances. On peut déplorer cet état de fait, se lamenter même, mais on doit le comprendre et l’expliquer, car la peur de l’inconnu tourne facilement à la panique. Et la panique est un danger mortel pour celui qui a quitté une berge et qui n’a pas encore atteint celle d’en face. Savoir permet de faire face au danger de manière appropriée.
Il y eut d’abord la catastrophique décolonisation de l’Algérie, ses pieds noirs éparpillés dans une indescriptible pagaille, ses Harkis honteusement confinés, des années durant, dans des camps (certains étaient barbelés). Forcément, il en résulta des séquelles indélébiles, beaucoup en gardent du ressentiment, d’autres cuisent et recuisent, sans fin, une haine forcenée désormais atavique. Les fantômes de l’Algérie française hantèrent la mémoire de bon nombre d’entre nous et faussèrent notre relation, non seulement, avec les Algériens mais aussi avec leurs descendants , nés sur notre sol et qui - du fait de la loi du sol , vieille déjà de 500 ans- sont des citoyens français . Certains piaffent d’impatience : quand donc abrogerons-nous cette loi ? Qu’on en finisse avec eux ! Mais, ce qu’ils ne nous disent pas, c’est qu’une telle abrogation ne saurait avoir de portée rétroactive : aussi, Français ils sont, Français ils resteront et ce, sous la protection de la Constitution, en dernier ressort.
Il y eut ensuite le recrutement, en masse, des immigrés pour les besoins pressants du bâtiment et de l’industrie automobile ; des ghettos finirent par se former .A cette occasion aussi, la mauvaise gestion des affaires de la cité frisa l’incurie. Surtout que les célibataires des foyers SONACOTRA - variables d’ajustement par excellence, pourtant – ne nous avaient pas aidés : ils eurent la même idée saugrenue de fonder, tout naturellement, des familles puis de s’installer là où on tolérait leur présence. Là aussi, la loi du sol était passée par là. Certains d’entre nous en tremblent encore d’indignation et crient au sans gêne qui « nous ont fait leurs bébés dans le dos ». Leur a-t-il échappé que fonder une famille est une constante et naturelle aspiration de l’Homme ?
Il y eut ensuite les années 80. De jeunes Français prirent conscience de leur francité marginalisée ; il s’ensuivit une revendication, légitime, qui déboucha sur « la marche des beurs ». Cette expression citoyenne fut vite récupérée par le pouvoir qui interposa aussitôt un contre-feu : l’association « touche pas à mon pote ».Estimant que le mouvement de masse des Français d’extraction maghrébine était par trop « ethnique », on le déposséda de la parole ou on la recouvrit d’une cacophonie médiatique, ce qui revient au même.
Le problème était que l’association « touche pas à mon pote » avait été placée dans des mains juives, vite suspectées de lobbying en faveur d’Israël. Arezki Dahmani avait bien lancé une association parallèle « France plus », pour faire contrepoids. En vain .En désespoir de cause, les « robeux » furent renvoyés à leurs ghettos respectifs -géographiques et psychologiques- et, le pertuis par lequel ils avaient entrevu, l’espace d’un instant, le halo de lumière de leur citoyenneté, s’obtura.
Curieusement, de ce manque de considération de leurs compatriotes, ils en rendirent responsables leurs pères, coupables, à leurs yeux, d’avoir baissé la tête « sous les crachats ». C’était décidé, ils ne baisseraient pas la leur , eux ; ils revendiqueraient leur place de citoyens dans la société où ils étaient nés ; ils travailleraient plus dur que les autres ; ils auraient le savoir qui avait manqué à leurs ainés.
Trente ans après, le bilan est terrifiant .Certes, certains s’en sont sortis, mais beaucoup gisent au bord de la route et pas seulement ceux qui ne possèdent pas la formation suffisante. Le drame révoltant, c’est que parmi ces « épaves » gisent des hommes (les femmes s’en sortent mieux, elles sont beaucoup moins ostracisées) brillants, possédant 2 à 3 diplômes du supérieur, polyglottes et certains ont même des brevets d’invention à leur actif. Ils ont trouvé, non seulement portes closes partout, mais ils ont eu à essuyer, en plus, obstructions et vexations à foison (n’est-ce pas, Messieurs des Affaires Maritimes de Port-Vendres et d’Auray, M. Les ex-maires de Rennes, de St-Meen-le Grand, de Martigné-Ferchaud, de Montreuil/Ille, M. les Présidents des SICTOM et des Communautés de Communes d’Ille-et-Vilaine et bien d’autres ? ).
Quels modèles dévastateurs ils offrent à leur jeunesse, ces « gueules cassées » de la vie !
Ces épaves, victimes de la bêtise et de l’autisme de notre société, ne représentent pas un danger direct pour la France. Il en va autrement des jeunes gens, autour d’eux, qui vivent la même « malédiction » et qui entrevoient leur avenir en perspective , une révolte sourde au cœur .Les moins résilients, à la vision courte, versent dans des causes perdues d’avance, ils ajoutent , au déshonneur d’immoler des victimes innocentes, la stupidité du sacrifice de leur vie : juste pour se prouver qu’ils vivent ,ils meurent aussitôt après : quelle dérision que ces éphémères ! Pour les plus résilients, un découragement s’insinue déjà dans les esprits : « à quoi ça leur a servi », à ces épaves, de « perdre leur vie dans les bouquins », « d’avoir trimé comme des fous », de « placer leur subjonctif imparfait, à bon escient », « ils voient bien que la France ne veut pas de nous ».
Ce découragement brise l’individu et sape le vivre ensemble. Pourtant, une prise de distance des plus élémentaires aurait pu désamorcer ce désespoir. Un regard circulaire autour d’eux leur aurait prouvé que ce désespoir était partagé (ce partage estompe, qu’on le veuille ou non, le sentiment de solitude dans le malheur et peut même être source de solidarité, voire d’amitié) et que, si leurs vies sont incroyablement difficiles, celles de ceux de leur âge ne sont pas exemptes de handicaps, même si c’est à un degré moindre.
La jeunesse est devenue la variable d’ajustement ad hoc pour tous les systèmes d’équations, posés mais jamais résolus. Combien de jeunes sont devenus des « Tangui », assignés, à vie, au domicile paternel, condamnés aux amours furtives quand ce n’est pas à la culture solitaire de l’asperge ou du bouton de rose, au clair de lune cathodique.
Champignonnent sur cet humus malsain, les carrières des Rastignac et autres flibustiers de la politique, du journalisme , de la littérature - à l’affût d’une renommée facile - mais aussi les espoirs de nombreuses causes - certaines plus respectables que d’autres- qui , par un concours de circonstances , s’entre potentialisent et entrent en résonance : l’athéisme militant https://blogs.mediapart.fr/edition/lescarbille/article/061116/cynisme-et-syllogisme-sont-les-deux-mamelles-de-larnaque-laiciste ,le laïcisme , le féminisme, le sionisme , les associations juives pro-israéliennes,les associations gays et lesbiens https://blogs.mediapart.fr/edition/lescarbille/article/231116/laicisme-maladie-infantile-de-la-laicite , l’extrême-droite classique , les ultras , nostalgiques de l’Algérie française, les néo-conservateurs américains et leurs antennes européennes et enfin les islamistes prosélytes.
Ils ont, tous, livré une bataille de très long court- 30 ans- à califourchon sur le dos d’un Islam essentialisé jusqu’à la caricature. Les uns brandissaient l’étendard d’une laïcité biaisée et bafouée. Les autres affichaient une foi pour la galerie : leur système pileux était censé en faire la preuve, un peu comme ces hippies du « Boul’mich », aux alentours de mai 68, qui, par ce même biais, croyaient faire la démonstration, aux yeux de tous, de leur renoncement à la société bourgeoise, leur port d’attache, qu’ils faisaient mine d’exécrer. On a les Katmandou que l’on peut.
Il y a enfin cette compétition mortifère entre la communauté juive de France et les Français de diverses origines. Le tapage médiatique de la Shoa par son omniprésence médiatique - et ce, depuis la parution de « nuits et brouillards », dans la foulée de la guerre des 6 jours - excite les passions. Cette surmédiatisation est vécue, à tort ou à raison, comme une forme de chantage, une justification, une légitimation de l’occupation de la Palestine et une forme d’excuse des exactions du régime sioniste.
Un « 2 poids 2 mesures » est agressivement revendiqué par le CRIF qui s’est autoproclamé - sans rire- représentant de la communauté juive de France, au grand dam de bon nombre de nos compatriotes israélites. Plus grave, il est devenu le cheval de bataille de certains Français, hommes politiques (Valls, Sarkozy, Habib ( https://www.youtube.com/watch?v=R8dRTU_F8k0) et d’autres) et de divas du PAF .
La différence de traitements des mémoires collectives souligne outrageusement ce « 2 poids 2 mesures », ulcère les souvenirs encore douloureux et échauffe inutilement les esprits. Où réside l’égalité des citoyens quand la cause de l’un bénéficie d’une campagne médiatique débridée et savamment entretenue depuis un demi-siècle, tandis que celles des autres sont en butte au dénigrement systématique, aux cris, rageurs, de « pas de repentance ».
Ce « 2 poids 2 mesures » est, à l’évidence, le puissant catalyseur de la réaction de pourrissement de la cohabitation entre la communauté juive et ces Français d’origine magrébine, d’Afrique subsaharienne et descendants d’esclaves de nos DOM et TOM. Le conflit israélo-palestinien alimente une dynamique suicidaire : il est devenu un problème intérieur majeur de la France.
C’est particulièrement choquant de voir et d’entendre un Zemmour https://blogs.mediapart.fr/edition/lescarbille/article/130916/quelle-hecatombe-si-le-ridicule-tuait , un Finkielkraut, une Elizabeth Lévy, un B.H. Levy, tous juifs, débiter, à longueur de longueur d’ondes, les arguments des antisémites des années 30, leurs ennemis d’hier. Ils prennent soin, toutefois, d’exciser le mot « juifs » et de, lui substituer le mot « musulmans ». Ils se drapent, pour ce faire, hypocritement, dans la toge du chevalier blanc « défenseur de la vertu de Marianne, de sa laïcité et de sa culture ».
Mais si les intérêts de Marianne leur importaient, ils auraient fait montre de plus de loyauté envers elle en œuvrant à l’apaisement des tensions et des passions, au lieu de verser de l’huile sur le feu, comme ils le font. En tant que juifs, victimes de longue date de la calomnie et de l’essentialisation de leur religion, ils comprennent, mieux que nous tous, la portée de ce qui se trame contre l’Islam et les funestes conséquences en perspective pour tous les Français, pour les musulmans bien sûr, mais pour les juifs aussi.
Certes, la détestation du musulman implique celle de l’arabe et donc celle du Palestinien : c’est un bénéfice qui tombe dans l’escarcelle sioniste israélienne, peut-être, mais aucunement dans celle de la France. Ne leur en déplaise, nous sommes tous sur la même galère.
Leur leitmotiv selon lequel les musulmans ne veulent pas s’intégrer - lancé par Sarkozy et ses suppôts - est puisé directement dans la boîte à outils du « parfait antisémite » d’antan ; on a changé le nom du bouc émissaire, c’est tout.
Des juifs ne peuvent décemment pas user de tels arguments : leur histoire propre et ses légions de boucs émissaires immolés sur l’autel de l’ethnocentrisme le leur interdisent. De plus la comparaison est fausse.
En effet, l’histoire atteste ce que montre Hannah Arrhent dans « sur l’antisémitisme », (première partie de« les origines du totalitarisme ») page12 : « (…) la dissociation des juifs d’avec les non-juifs, et plus particulièrement d’avec les chrétiens, a pesé plus lourd dans l’histoire juive que l’inverse. La raison évidente en est que la préservation même du peuple juif, en tant qu’entité identifiable, dépendait de cette séparation voulue, et non pas, comme on l’a généralement cru, de l’hostilité des chrétiens et des non-juifs. Ce n’est qu’aux 19ième et 20ième siècles, après l’émancipation et la généralisation de l’assimilation, que l’antisémitisme joua un rôle dans la conservation de ce peuple, car c’est seulement depuis lors que les Juifs aspirent à être admis dans la société non juive ».
Nos Finkielkraut, Zemmour et compagnie qui instrumentalisent le passé- ripoliné pour la circonstance- oublient de nous préciser que cet auto-enfermement des juifs dans l’entre-soi, que relève Hannah Arrhent, n’a été possible que parce qu’il ne concernait qu’une communauté peu nombreuse, baignant dans une culture unique. C’est malhonnête d’enfermer l’Islam dans un tel schéma avec ses 1,6 milliard d’adeptes. Réussir l’union des juifs, pourtant peu nombreux, est déjà difficile, vouloir celle de l’Islam ou du Christianisme, tient du pari stupide.
L’ignorance des Français en matière d’Islam comme en matière de laïcité a rendu la tâche des uns et des autres des plus faciles.
Ma lettre ouverte adressée au Président de la République https://blogs.mediapart.fr/edition/lescarbille/article/011016/lettre-ouverte-m-le-president-de-la-republique décrit l’escroquerie intellectuelle dont la laïcité a été victime ainsi que les falsifications éhontées infligées à la loi du 09 décembre 1905- qui est pourtant sous la protection de la Constitution Française.
Peu leur importe si la religion musulmane embrasse 1,6 milliard de personnes, d’innombrables cultures et se décline sous différentes obédiences clairement différenciées https://blogs.mediapart.fr/edition/lescarbille/article/270916/de-la-soi-disant-unicite-de-la-sharia-et-du-pseudo-monolithique-islam parfois antagonistes, seul compte l’Islam essentialisé, sculpté par leurs soins dans l’approximatif : « au pays des aveugles les borgnes sont rois ».
S’il se présente aujourd’hui sous les traits d’un « djihadiste de DAESH », cet islam essentialisé avait, durant les années 80, les traits du shiisme duodécimain en proie à la révolution iranienne. Cette dernière était menée par un clergé puissant et structuré, obéissant à un patriarche qui se prévalait de la quintessence des vertus cardinales des papes (depuis Pie IX, du moins) : l’infaillibilité.
1979 est une date charnière, à plus d’un titre. L’Arabie Saoudite était encore toute tremblante d’indignation et de peur au souvenir de « l’audace, de l’inconséquence et de l’irresponsabilité » du mauvais coup – choc pétrolier de 1973- du roi Fayçal contre les intérêts du protecteur américain de la dynastie des Saoud. Débarrassée du vieux roi récalcitrant – assassiné par son entourage princier - comme un seul homme, la famille royale abandonna, à jamais, la cause palestinienne et entreprit de se faire pardonner en mettant son expertise - acquise dans le panislamisme et le prosélytisme religieux - au service des Etats-Unis qui, déjà, « faisaient du pied » à la résistance afghane et au Pakistan de Ziah–Ul-Haq. Le wahhabisme fut le grand entremetteur de ce mariage de la « carpe et du lapin ».
Fin des années 70, donc, le pouvoir princier qui avait pour ennemi ses voisins laïcs (l’Egypte nassérienne, la Syrie, la République du Yémen et l’Irak) se découvrit une autre phobie : le shiisme révolutionnaire.
Contrairement à ce que l’on affirme - pour des raisons d’enfumage manifestes - la guerre de religion « Iran / Arabie Saoudite » - si guerre de religion il y a- est à rechercher dans la rivalité politique , contemporaine, de ces 2 pays et non dans d’hypothétiques soubresauts de conflits nés, au Moyen- Age, d’une succession qui tourna mal et qui se termina par l’assassinat d’Ali puis de son fils Hussein.
Remarque I: Le shiisme a été minoritaire depuis toujours. Il n’est devenu religion d’Etat, en Iran, qu'en 1501, pour extirper la dynastie Safavide de l’ombre de ses puissants voisins - la Turquie ottomane, totalement sunnite, et la Russie Tsariste partiellement. C’était une transition religieuse et politique à usage interne, bien sûr ; elle signifiait : « eux, c’est eux et nous, c’est nous ». Au tournant du siècle, le clergé shiite duodécimain se muta en contre-pouvoir insolent. Le coup d’Etat de Reza Pahlavi (père du dernier Shah) - homme fort de l’ancien régime par la vertu de sa légion cosaque - lui rogna les ergots. L’avènement de Khomeiny le ramena sur le devant de la scène. Plus forts que jamais, les mollahs confisquèrent les pouvoirs temporel et spirituel : l’Iran est depuis une théocratie.
Remarque II : Jusqu’à 1979, le régime du Shah d’Iran – qui grâce à sa police politique, la SAVAK, maintenait son peuple sous une chape de plomb – était fort apprécié par l’Arabie Saoudite, sa voisine .L’entente cordiale des 2 régimes baignait dans celle, non moins cordiale, des 2 obédiences wahhabite et shiite duodécimain.
Concluons par un samizdat - d’un gaulois manifestement révolté - prélevé sur un mur de ma bonne ville, Rennes. « Les temps sont aux vents mauvais. Pendant que les gogos immodestes s’empoignent « va donc, eh, pourri ! Écarte ton minaret, il fait de l’ombre à ma bourre-cas », les larrons, en file indienne- impatients, certes, mais polis- font assaut d’amabilités sur notre dos « je vous en prie, pénétrez. Non, faites donc, tout l’honneur vous revient, … ».
Que viennent des temps nouveaux qui s’adressent à notre raison et non à nos passions ».
Belab.