
Ce n'était pas, et de loin, la meilleure chanteuse brésilienne : Gal Costa, Maria Bétania, ou Elis Regina sont certainement "meilleure" qu'elle si on se limite aux qualités d'interprétation. Mais Astrud Gilberto est surtout représentative d'une époque et d'une "ambiance", celle de la "mondialisation heureuse" ou le brésil s'offrait dans le balancement (le "swing") des baigneuses de Copacabana, la plus grande plage de rio de Janero? ou d'Ipanema, celle des "quatriers chics".
When she walks, she's like a samba
Quand elle marche, elle est comme une samba
That swings so cool and sways so gentle
Qui oscille si calmement avec des balancements si doux
That when she passes, each one she passes goes - ooh
Que quand elle passe, tous ceux qu'elle dépasse s'écrient - ooh (traduction "la coccinelle")
Astrud Gilberto est surtout connue pour avoir interprétée la partie anglaise de "the girl from ipamema" alors que son mari d'alors Joao Gilberto interprétait la version brésilienne (portugais) du titre et que San Getz en faisait une superbe interprétation au saxophone ténor
Pour comparer, la version originale interprétée par son créateur et compositeur, l'immense Antonio Carlos Jobim
Cette chanson et son interprétation a eu un énorme retentissement aux états unis au début des années 60 (le succés du disque de stan getz avec Joao Gilberto et Astrud n'a été dépassé que par les Beatles) Mais il y a bien d'autres choses à dire sur cette chanteuse ...
Dans un premier temps sa collaboration avec Stan Getz sera due principalement au hasard et aux nécessités du show bizz : Joao Gilberto, un des plus grands interprétes de Bossa nova est en effet incapable de chanter en anglais. C'est un peu un hasard si son épouse se substitue a lui pour la partie anglaise. Mais trés vite elle va prendre son autonomie (et divorcer de Joao) Elle formera (provisoirement) un couple avec Stan Getz Personnellement, je la trouve plus convaincante dans son interprétation de Corcovado
Mais elle ne se limitera pas, loin de là, à interpréter de la bossa nova (même si elle restera fidéle à cet idiome durant toute sa carriére) Elle interprétera aussi des "standards" du jazz
mais aussi des "featuring" avec des chanteurs de variété, comme Etienne Daho
et évidemment sa reprise de l'air le plus connu de Marco Valle "Summer Samba" (samba de Verao)
Mais elle même a su trouver le ton pour incarner cette "mondialisation heureuse" (et évidemment mensongère) des années 60, en interprétant de façon candide et avec toutes ses limites (ce n'est pas une "grande chanteuse") une vision "ensoleillée" d'un brésil plus révé que vécu, ou on goûte la beauté des naïades des plages de Rio en sirotant un Wodka Martini, la boisson préférée de James Bond ("au shaker, pas à la cuillère")
Un des intervenants de médiapart PindoramaBahiaflaneur qui m'en apprend beaucoup sur le brésil (son espace ici est fortement conseillé) m'a demandé ce que signifiait la "mondialisation heureuse" : je crois avoir été clair sur le ton ironique sur laquelle je parlais de "mondialisation heureuse" Alors précisons :
On montre les "beaux quartiers", "les belles filles", et des petits bourgeois qui jouent de la guitare. On ne voit pas la misére, on ne voit pas les injustices, on ne voit pas la junte militaire, les récalcitrantes et récalcitrants emprisonnés, ou contraints à l'exil
C'est ça la mondialisation heureuse : un "fake news" de mondialisation...
Evidemment, c'est vu d'un quartier chic, par un homme doté d'une fine moustache et d'un complet blanc (et des mocassins assortis) C'est "connoté socialement", ça ne parle (surtout pas !) des favelas, des quartiers pauvres, des voyous et des règlements de compte, des paysans sans terre, ou des "cangaçeiros" (les "bandits d'honneur" du nordeste brésilien) Pour cela il faudra écouter d'autres musiques brésiliennes : forro du nordeste, funk carioca, et pas mal de la MPB... Mais c'est une autre histoire...
Bref elle incarne une certaine forme de "mondialisation heureuse" sous un mixte de bossa nova et de "standards de jazz". Sa disparition est aussi la fin de ce rêve trompeur... Sous la douceur des plages, sous les volutes du saxophone ténor, l'exploitation , la révolte, la violence.... Peut etre qu'écouter Astrud Gilberto est un plaisir totalement régressif. Mais c'est si bon....