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Paru en novembre dernier, Colère Rouge est le 18ème opus des aventures de Largo Winch, le milliardaire en jeans et en perpétuelle évolution, seconde partie d’un diptyque qui s’offre un retour dans le passé à même de bouleverser le présent du héros, prisonnier en haute mer à la fin de l’album précédent. Retour sur le nouvel épisode de cette série à succès et interview des auteurs.
Depuis vingt-deux ans, la série imaginée par Jean-Van Hamme et dessinée par Philippe Francq continue de proposer des aventures au rythme soutenu et aux qualités graphiques et scénaristiques indéniables. En bd, Largo Winch est un cas à part, il est ce personnage mi baroudeur mi homme d’affaires, qui ne semble exister que pour porter le poids de son héritage. Et peut-être expier les errements (ou du moins les travers) d’un père omnipotent qui a fait de lui son héritier à son corps défendant.

Au gré de l’imagination de son scénariste, Jean Van Hamme, Largo Winch a parcouru le monde, des gratte-ciels de New York à la vieille Europe, des jungles d’Asie à la côte ouest des Etats-Unis en passant par les plaines enneigées du Montana. Il a dû affronter des complots, des machinations politico-financières, la grande criminalité. Le tout sur fond de commerce international. Colère Rouge ne déroge pas à ce qui a fait le succès de la série : un cocktail d’action, de suspense et de glamour. Mécanique bien rodée, un album de Largo Winch est toujours ce mélange savamment dosé d’écriture maîtrisée et de dessin précis et richement documenté.
Philippe Francq : « une aventure de Largo Winch prend à chaque fois la forme d’un diptyque, il y a donc toujours une sorte de balance entre le numéro pair et le numéro impair : le premier permet la mise en place de l’histoire, des personnages, de l’intrigue. Jean (Van Hamme, NDLR) « promène » le lecteur pour préserver le suspens, et évidemment dans le second tome, le dénouement arrive souvent de manière spectaculaire, voire violente. Pour Colère Rouge, on a même des éléments de comédie, ce qui est une nouveauté. On alterne entre deux histoires, le récit principal, ce que vit Largo et, en parallèle, les démêlées de Simon Ovronnaz en Suisse. Je trouve que cela en fait un album très équilibré ».

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Ce nouvel album ouvre des perspectives « avec le déménagement du siège du groupe de New York à Chicago », tout en refermant une page du passé de Nerio Winch. Un passé qui a ressurgi sous les traits d’un second héritier… imprimant à cet album une dimension presque œdipienne. Avec Colère Rouge, Jean Van Hamme semble avoir décidé de « tuer le père », Largo s’affranchissant un peu plus du passé de son père adoptif, quittant le siège historique, adoptant des règles de gouvernance pour la gestion de ses affaires pour le moins détonantes dans le monde de l’argent roi.
Jean Van Hamme : « la crise économique m’a aidé à justifier les changements souhaités par Largo, au-delà d’un simple choix scénaristique. Le building new-yorkais appartenait à la division presse du groupe W. Je me suis appuyé sur les difficultés financières que connaît la presse pour faire de cette revente un moyen de faire perdurer l’activité en déménageant au bord du Lac Michigan, à Chicago, qui est la ville du futur, économiquement et architecturalement. En plus c’était très simple pour moi, j’ai donné comme indication à Philippe de finir l’album sur cette image de la Winch Tower Mansion, ça m’a pris une minute… et ça lui a demandé des semaines de travail.
PF : « ce que Jean écrit est toujours pensé, le building sera autofinancé, c’est d’abord un hôtel qui abritera également les appartements de Largo et les locaux de la fondation pour les orphelins de guerres. C’est très éco-responsable ».

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Avec deux récits parallèles, servis par le dessin fin et précis de Philippe Francq, Colère Rouge n’enferme pas le lecteur dans une histoire trop centrée sur la personne et la personnalité de Largo Winch. Le double niveau de narration procure un plaisir de lecture avec un montage nerveux et des scènes à l’intensité très cinématographique. Et de plus, Colère Rouge développe de vraies qualités humoristiques, avec une Miss Pennywinckle au sommet de sa forme.
JVH : « c’est une question d’équilibre, on ne pouvait pas rester 46 pages sur le bateau. L’histoire de Simon et ses déboires en Suisse sont un moyen de contrebalancer le récit principal. Et j’ai aussi brodé sur la capacité de la justice suisse à pardonner en échange de quelques interventions en haut lieu. Je me suis surtout beaucoup amusé à distiller des références et des détails qui tendent vers l’humour ».
Si comme à l’accoutumée, Philippe Francq s’est amusé à reprendre pour modèles des figures connues (Jean Bouise, Ed Harris…) du cinéma ou de la politique (dans un précédent album, Guy Spitaels et Edouard Balladur avaient ainsi prêté leurs traits à des personnages secondaires), ce nouvel album (re)dessine les contours d’un univers que l’on pouvait craindre immuable, voire figé. Il n’en est rien. Il est plus construit encore, Jean Van Hamme creusant un peu plus les personnages qui gravitent autour de Largo, allant presque jusqu’à le mettre en retrait. Pour mieux rebondir, sûrement, et continuer à prendre du plaisir aussi.
JVH : « Largo reste le personnage principal, le pivot de l’histoire, mais ce n’est pas plus mal qu’il soit moins omniprésent. Dans le prochain album, il en sera de même. J’ai toujours du plaisir à écrire ses aventures. Dans la mesure où ce n’est pas une saga au long cours, à chaque épisode, j’ai l’impression d’écrire un one-shot. Avec une nouvelle intrigue de nouveaux décors, des personnages nouveaux. L’excitation est toujours là. Je me sens libre à chaque fois que je démarre une nouvelle histoire, c’est toujours un défi de repartir à zéro en essayant de faire mieux à chaque fois. L’important est de surprendre. La prochaine aventure aura pour cadre la city londonienne ». La ville, l’actualité, sont autant de sources d’inspiration pour Jean Van Hamme pour faire avancer sa création et pérenniser la série.
À la question d’une éventuelle influence des séries télé (qui construisent de la même manière une œuvre, un monde à part entière) sur leur travail, Philippe Francq répond qu’il est « séries-addict » et qu’il invite souvent Jean Van Hamme à s’y plonger aussi (Dexter, Sherlock Holmes…). Il souligne les trouvailles, l’évolution de la manière de filmer dans certaines séries qui pourraient l’inspirer : « en tant qu’homme d’images, j’ai besoin de me ressourcer avec des films ou des séries ». À l’inverse, le scénariste est catégorique : « quand j’ai créé Largo Winch, Sulitzer n’avait pas encore écrit Money »… Aujourd’hui, par crainte d’être influencé et d’avoir la tentation de me servir d’une bonne idée, je préfère délibérément ne pas regarder de séries. Pour ne pas être tenté ». Plus que jamais, Largo Winch, l’orphelin, l’héritier, est un personnage unique.
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- Colère Rouge, de Jean Van Hamme et Philippe Francq, 46 pages couleur, Dupuis 2012, 12,95€
Les trois premières planches :

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