Mediapart a dix ans. Et dix ans, ça ne suffit pas!
- 6 mars 2018
- Par Edwy Plenel
- Blog : Les carnets libres d'Edwy Plenel
Mediapart fêtera son dixième anniversaire les 16 et 17 mars au Centquatre-Paris. Vous y êtes tou.te.s invité.e.s et bienvenu.e.s : le programme des festivités est ici. Comme chaque année, cet anniversaire est l’occasion de rendre publics tous les comptes de Mediapart et de présenter ses projets. C’est ce que nous avons fait mardi 6 mars au matin lors d’une conférence de presse dont ce billet reprend l’essentiel. Vous pouvez télécharger ici Dix ans, et après… (pdf, 19.9 MB) notre brochure éditée à cette occasion.
Dix ans, ça ne suffit pas !

Deux ans et demi après sa création, Mediapart inaugurait ses voeux citoyens du nouvel an, fin décembre 2010, avec Stéphane Hessel qui, cette année-là, avait publié son Indignez-vous !, manifeste qui fit le tour du monde. « Créer, c’est résister. Résister, c’est créer » : les derniers mots de cet appel à ne pas subir ni se résigner font écho au pari qui fut le nôtre, il y a dix ans.
Oui, résister à la crise d’indépendance de la presse, devenue une proie facile pour des oligarques, industriels et financiers plus soucieux de l’utiliser comme levier d’influence que de l’aider à remplir sa mission d’information au service du droit de savoir du public. Et créer un média totalement inédit, à la fois numérique, participatif et payant, dédié au journalisme d’enquête, s’efforçant de redonner force et sens au meilleur de notre tradition professionnelle grâce aux outils de la révolution digitale.
Le résultat est là, illustré, comme chaque année, par la diffusion de cette brochure où sont publiés tous nos chiffres, tout notre bilan et toutes nos perspectives, exercice de transparence devenu rarissime dans la presse. En 2017, pour la septième année consécutive, Mediapart est un journal en bonne santé économique et financière, profitable et rentable, bénéficiaire grâce à sa seule recette – ses abonné.e.s –, avec une trésorerie saine et sans aucun endettement.
Atteignant 13,7 millions d’euros en 2017, le chiffre d’affaires a augmenté de 20 % par rapport à 2016. Le résultat net, après impôt, est de 2,2 millions d’euros, représentant 16 % du chiffre d’affaires, taux exceptionnel dans notre secteur. Au 31 décembre 2017, le nombre d’abonnés était de 140 000, après avoir frôlé les 150 000 durant la campagne présidentielle.

Indéniable, le succès de Mediapart reste une exception dans le paysage médiatique français. Solitaire, il est par essence fragile, et c’est pourquoi il a sans cesse besoin d’être confirmé et consolidé. Ne vivant que du soutien de ses abonnés, refusant par principe toute subvention publique et ne dépendant d’aucun mécène privé, notre journal ne peut compter sur aucune des facilités utilisées par sa concurrence.
Comment ne pas souligner en effet combien Mediapart se bat, depuis 2008, à armes inégales, face aux autres quotidiens d’information politique et générale ? Les quelques milliardaires qui en sont propriétaires (notamment MM. Arnault, Dassault, Drahi et Niel), lesquels ne sont en rien des industriels de l’information, ainsi qu’une banque (le Crédit Mutuel) empochent à eux seuls la moitié des aides publiques à la presse. Comme nous l’avons raconté sur Mediapart, le 13 février 2018 dans une enquête de Laurent Mauduit, à cette manne d’argent public s’ajoute l’argent privé versé aux mêmes oligarques par les grands oligopoles mondiaux du numérique – Google, Facebook et la Fondation Gates.
Notre réussite ne doit donc pas faire illusion. Le plus dur est devant nous : ne pas se reposer sur nos lauriers, savoir se remettre en cause, gagner de nouveaux lecteurs, conserver les anciens, les convaincre de l’utilité de soutenir d’autant plus Mediapart que sa performance dérange et lui vaut une adversité redoublée. Bref, nous devons sans cesse nous bousculer, pour éviter cet endormissement propre aux aventures devenues trop sûres ou trop satisfaites d’elles-mêmes.
Enfin, le temps est venu d’engager la transition qui verra le passage de témoin, d’une génération à l’autre, entre les fondateurs de notre journal et l’équipe qui l’anime, le porte et l’incarne. Car, au-delà du journal lui-même, l’invention Mediapart concerne l’indépendance économique de la presse. Arriverons-nous, comme nous le souhaitons, à sanctuariser le capital de Mediapart, de façon à le rendre définitivement non cessible et non achetable ? Et réussirons-nous à faire levier de cette aventure pour contribuer au pluralisme de l’information ? C’est tout l’enjeu des années à venir.
Mediapart 2017 en chiffres
Les excellents résultats de Mediapart en 2017 sont évidemment liés à un contexte particulier : la forte actualité liée à la campagne présidentielle.
> Chiffre d’affaires et nombre d’abonnés
Chiffres d'affaires et nombre d'abonnés en 2017
> Résultat courant et résultat net
Résultat courant et résultat net
> Les comptes de 2017
Les comptes 2017 de Mediapart
> L’actionnariat
Depuis le 31 décembre 2016, grâce à ces bons résultats, le capital de Mediapart a évolué dans le sens d’un renforcement de notre indépendance, avec le rachat d’une partie des parts de l’un de nos actionnaires partenaires historiques, Ecofinance. Désormais, le pôle d’indépendance (fondateurs, salariés, société des amis et amis individuels) atteint 62 % du capital.

Consolider l’indépendance de Mediapart
Outre les développements éditoriaux, dont notamment la reprise hebdomadaire, tous les mercredis soirs, des « Live » en direct de Mediapart – prélude à une MediapartTV –, voici les principaux événements récents ou à venir de la vie interne de Mediapart :
> Une charte de déontologie
Conformément à la loi n°2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, Mediapart s’est doté d’une Charte déontologique élaborée en concertation avec sa Société des Journalistes (SDJ). Son contenu sera bientôt accessible en bas de chaque page du site, la mention « Charte déontologique » devant figurer entre les Mentions légales et la Charte de participation. Le texte de cette Charte déontologique est consultable ici Charte déontologique de Mediapart (pdf, 210.7 kB). En voici le début:
« Mediapart est une entreprise de presse indépendante fondée par des journalistes et dont la ou le directeur·ice est un·e journaliste. Sa mission est d’être au service du droit de savoir et de la liberté de dire, dans le souci de la vérité des faits et du pluralisme des opinions. L’information étant son coeur de métier, les valeurs qui inspirent cette Charte de déontologie destinée aux journalistes engagent toutes celles et tous ceux qui sont partie prenante à son activité, ses salariés, ses dirigeants, ses actionnaires. Il en va de même des trois textes de référence qu’elle revendique et inclut, reproduits en annexe (Charte des devoirs professionnels, 1918 ; Charte de Munich, 1971 ; Appel de la Colline, 2008).
« Journal économiquement indépendant, Mediapart a pour seul ressource l’abonnement de ses lecteurs. Il n’accepte aucune recette publicitaire, ne touche aucune subvention publique et ne dépend d’aucun mécène privé. Ses actionnaires non-journalistes (membre de sa Société des amis ou investisseurs individuels) s’engagent à garantir la totale indépendance de sa rédaction. Ils s’interdisent d’intervenir dans les choix éditoriaux ou le traitement de l’information. La direction de Mediapart s’engage à préserver les journalistes de toute pression émanant de partenaires économiques, de pouvoirs publics, d’organisations politiques, syndicales ou religieuses. »
> Une nouvelle direction éditoriale
Après dix années à ce poste, le cofondateur François Bonnet a décidé de passer le témoin à la génération suivante. Comme le prévoient les statuts de la Société Éditrice de Mediapart, la rédaction a été invitée à se prononcer sur le choix proposé par le directeur de notre journal (lire ici) : un tandem paritaire composé d’un directeur éditorial, Stéphane Alliès (39 ans), et d’une directrice éditoriale, Carine Fouteau (43 ans).
« On ne peut sérieusement prétendre exercer correctement cette fonction plus de dix ans », a expliqué François Bonnet lors de ce passage de relais, invitant notre collectivité à « se défaire de toute “pensée automatique”. C'est ce qui guette tout journal et tout collectif au bout de dix années de travail. La routine, la réaction-réflexe, une capacité d'indignation et une curiosité progressivement émoussées, le pilotage automatique, voire l'endormissement, des choix radicaux oubliés. Bref, cet affreux conformisme qui partout s'infiltre et nous fait souvent désespérer de certains de nos collègues (pensons donc à ces bataillons d’“éditorialistes” qui tournent en boucle sur les radios et chaînes télé…). » « Changer, résume-t-il, pour ne pas prendre le risque de s'encroûter. »
> Transmettre et sanctuariser le capital
Les cofondateurs de Mediapart se sont engagés à transmettre le contrôle économique de Mediapart à son équipe selon un scénario innovant, rendant l’entreprise non cessible et non achetable. Cette invention pourrait s’accompagner de la création d’une structure à but non lucratif dédiée à la défense de la liberté de la presse et à la promotion de son pluralisme. Parmi les pistes juridiques étudiées, outre la formule d’une société coopérative, cette innovation pourrait s’inspirer des fonds de dotation, institués par une loi de 2008, créés à l’origine pour la culture, qui visent à soutenir et protéger des causes d’intérêt général.
> À Paris, une maison pour la liberté de l’information
Dans le cadre d’un appel à projets innovants de la Ville de Paris, Mediapart participe au projet Le Transfo - Maison des médias libres. Son ambition est de créer un lieu démocratique dévolu à la liberté de la presse, accueillant expositions, formations, ateliers, conférences, projections, débats et rencontres. Car il n’existe pas à Paris, ni même en France, d’endroit ouvert au public incarnant cette liberté fondamentale.
Associant des médias résidents et des médias usagers, ce lieu public d’échange autour du journalisme serait aussi un lieu de formation aux défis de la révolution numérique, destiné à la jeunesse scolarisée autant qu’aux professionnels. Né de la rencontre entre un mécène (Olivier Legrain) et une vingtaine de médias indépendants, avec le renfort d’ETIC-Foncièrement responsable, ce projet défend une vision éthique de l’économie, où le profit doit d’abord bénéficier à l’intérêt général.
Deux livres pour nourrir le débat
À l’occasion des dix ans de Mediapart, j’ai tenté de tirer les leçons de cette aventure inédite et improbable dans La Valeur de l’information aux éditions Dion Quichotte, dont la parution s’accompagne de la réédition aux éditions du Seuil d’un ouvrage pionnier, cinquante ans après sa parution en 1968 : La Presse, le Pouvoir et l’Argent de Jean Schwœbel dont j’ai écrit l’avant-propos.
Chez Don Quichotte, 250 p., 18 euros
Au Seuil, 350 p., 23 euros.
Ajout courant mars 2018 : pour les dix ans de Mediapart, j'ai été invité aux matinales de France Inter, vendredi 9 mars, et de France Culture, samedi 10 mars, puis aux Grandes Gueules de RMC le mardi 13 mars et à ONPC sur France 2 le samedi 17 mars. À voir ou à écouter ci-dessous :
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