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Billet de blog 8 juin 2018

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Un dîner rue de Solférino (28)

Suite de la suite de la lecture à deux voix.

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Le même et l'autre

Lecture à deux voix (3)

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Résumé (télégraphique) de l'épisode précédent.

- Mais tu voudrais le revoir ?

- Non, je crois que je suis plutôt comme dans La chartreuse de Parme.

- ?

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- Dans La chartreuse de Parme, la comtesse Pietranera est amoureuse de Limercati, qui se montre lâche (il refuse de démolir le portrait du meurtrier de son mari, le comte) et juge même que le projet de la comtesse est "d’un ridicule achevé." C'est là qu'elle prend donc conscience de sa lâcheté et que Stendhal rend compte de ses sentiments avec beaucoup de force : Chez elle, le mépris avait tué l’amour. Et bien, voilà, c'est ça. C'est cela que je pense, souvent, vu tous les sketches qu'il m'a fait, plus le départ en Amérique latine, que c'était vraiment le bouquet. Final, ma chérie, final... Chez moi aussi, le mépris a tué l’amour.

- Tu es sûre ?

- Oui, oui. En même temps, je ne suis pas meilleure qu’une autre... Et ce qu'explique aussi Stendhal, c'est que la comtesse redouble d’attentions, vis-à-vis de Limercati : Elle voulait réveiller son amour, il écrit, et ensuite le planter là et le mettre au désespoir... Si bien que je me demande…

Est-ce que je ne rêve pas de faire comme la Chartreuse ? Réveiller son attention, une bonne fois, paf, et ensuite le planter là ?

Ça me fascine, quand même, non seulement que je puisse ressentir la même chose qu’une comtesse italienne prénommé Gina, à deux siècles de distance, mais encore le vocabulaire, les mots, parce que « le planter là », c’est bien ce que j’aurais dû faire, le soir de l’Opéra, le planter là. Et c’est ce que je rêve encore de faire, c’est ridicule, je sais. D’ailleurs, dans le livre, Stendhal le voit bien, que c’est ridicule, car il se sent obligé de formuler un avertissement au lecteur, disant qu’à la différence des Français, les Milanais sont encore capables d’être au désespoir par amour… Étonnant, non ? En ce qui me concerne, si j’essaye d’être lucide, je me dis qu’un tel projet de vengeance, ce serait mesquin, plutôt, et que je ne vois pas à quoi cela pourrait mener. Cela révèlerait que je ne l’aimais pas vraiment, pas lui, mais que j’aimais l’image que j’avais de l’amour de lui, l’illusion de la moitié de moi-même qui s’est évaporée…

- Tu le croyais vraiment, qu’il était la moitié de toi ?

- C’est con, je sais, mais n’empêche que, oui, je le croyais, ou que je l’ai cru, un moment… Ou que si je ne le croyais pas, j’en avais l’illusion, en tout cas, une chouette illusion… Et, pour être franche, j’y retournerais bien, dans l’illusion, je préférais, j’adorais ça… C’est cela, qui m’embête, mon amour de l’illusion, la découverte de mon amour de l’illusion, comme au cirque… Cela ne te fait rien, à toi ? Tu ne penses pas que Firmin est la moitié de toi ?

- Firmin, ah, ça non, jamais, et depuis le début. Je n’ai jamais pensé qu’il était la moitié de moi, ni la moitié de quoi que ce soit, d’ailleurs ! Il est tout entier de lui-même, Firmin, et c’est bien comme ça.

- Alors, ça va, entre vous ?

- Oui, bien sûr, ça va, je t’assure, Louise. Il faut parfois composer, avec Firmin, le remettre sur le droit chemin, lui dire de ne pas pousser trop loin mais, en définitive, ça se passe plutôt bien, entre nous… Il est un peu ailleurs, en ce moment, je le reconnais, mais c’est transitoire, il faut le comprendre, c’est une période si difficile. On forme plutôt une bonne association, d’une manière générale, et je l’accompagnerai jusqu’au bout, c’est ma résolution, mon credo, en quelque…

- Vous n’allez tout de même pas à la manif du Trocadéro ?

- Je ne crois pas, ça doit se décider dans la soirée. Pourquoi ? Tu arrêtes de me parler, si j’y vais ?

- Non, je me contenterai de taper sur ma casserole en fonte, toute seule sur mon balcon, puisque la République est à deux pas. Je ne peux pas…, je ne sais pas…, et je reste planté là…  Comme le chantait Balavoine, de quel côté se trouvent les bons ou les méchants,  je crois que je n’en sais plus rien, et que leurs évangiles… 

- De toutes les façons, ils annoncent de la grêle, pour dimanche.

- Tu vois bien, c’est la colère de Dieu…

- Arrête de dire des conneries, Louise, et passe-moi la bouteille… On prend quoi, après ? L’ennui, avec les desserts orientaux, c’est que c’est toujours à la fois gras et sucré, les lipides et les glucides dans la même bouchée…

- Alors un petit digestif avec le café, qu’en dis-tu ?

Prochain épisode (29) : Balle au centre

https://blogs.mediapart.fr/emma-rougegorge/blog/230518/un-diner-rue-de-solferino-27

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