Francois Jarraud (avatar)

Francois Jarraud

Journaliste engagé pour l'Ecole. Fondateur et rédacteur en chef (2001-2023) du Café pédagogique.

Abonné·e de Mediapart

69 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 mai 2025

Francois Jarraud (avatar)

Francois Jarraud

Journaliste engagé pour l'Ecole. Fondateur et rédacteur en chef (2001-2023) du Café pédagogique.

Abonné·e de Mediapart

Fin de partie pour la loi Debré

Les auditions des 29 et 30 avril de la Commission d'enquête sur les violences commises sur les élèves confirment les freins aux contrôles des établissements privés. Alors que les syndicats des personnels du privé affirment tous que les chefs d'établissement et les tutelles font obstacle aux signalements, l'édifice construit par la loi Debré est remis en question.

Francois Jarraud (avatar)

Francois Jarraud

Journaliste engagé pour l'Ecole. Fondateur et rédacteur en chef (2001-2023) du Café pédagogique.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Irresponsables

Illustration 1
E de Moulins-Beaufort et Benoït Rivière devant la commission d'enquête © Flux vidéo de l'Assemblée nationale

"Tout le dispositif est fondé sur la liberté d'association et d'enseignement telle que la loi Debré l'a organisé. Tout le défi c'est de maintenir cette autonomie et en même temps de permettre qu'il n'y ait pas de situation sans contrôle". Les propos d'Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, la plus haute autorité dans l'enseignement catholique, résument bien la problématique qui émerge des quatre auditions de responsables de l'enseignement catholique par la Commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur prévention des violences dans les établissements scolaires.

Le 2 avril, Philippe Delorme, secrétaire général de l'enseignement catholique (SGEC) avait accepté l'idée de contrôles des établissements catholiques, y compris pour les internats et la vie scolaire, domaines échappant au contrat d'association avec l'Etat tels qu'ils sont fixés par la loi Debré. Mais il précisait qu'il n'a pas autorité sur les établissements.

Le 29 avril, Éric de Moulins-Beaufort et Benoit Rivière, président du Conseil pour l'enseignement catholique, assurent eux aussi de leur bonne volonté. Mais ils affirment aussi  leur absence d'autorité hiérarchique sur les établissements. Cela alors qu'ils exercent une tutelle, avec les congrégations, sur eux et qu'ils nomment les directeurs diocésains (équivalent des recteurs pour les établissements catholiques) lesquels ont droit de regard sur le choix des chefs d'établissement.

Le filtre hiérarchique

Le lendemain, les syndicats de chefs d'établissement du privé (Snceel, Synadec, Synadic, Unetp) confirment qu'ils informent les directions diocésaines des incidents et assurent ne jamais subir de pression de leur tutelle.

L'affirmation est contestée, le même jour, par les syndicats de personnels de l'enseignement privé. Tous évoquent le manque d'information des enseignants sur les signalements. Mais tous disent que, quand un fait arrive, l'usage est de passer par le chef d'établissement. Ils disent que celui-ci fait obstacle. "Il faut toujours en passer par le chef d'établissement", dit V. Ginet (Fep Cfdt), "ça veut dire s'exposer car ce n'est pas toujours bien vu". "Les personnels peuvent avoir peur de pressions qu'ils pourraient subir s'ils parlaient. Le filtre hiérarchique est un problème", confirme D. Bouchoux (Snec Cftc). "Les enseignants ont peur des retombées : on va leur reprocher de perdre des élèves", confirme P. Picol (Cgt EP). "Quand les directions diocésaines ou les congrégations interviennent c'est pour mettre le couvercle". Selon une enquête faite par la CGT EP, 36% des enseignants consultés se plaignent des violences qu'ils subissent des chefs d'établissement. "Si l'enseignement catholique n'est pas capable de gérer les violences sur ses personnels qu'est ce que c'est pour les élèves...", souffle t-elle. Les syndicats de personnels mettent en cause le principe de subsidiarité qui fonde les relations entre les personnels, leur direction et l'Etat. Plusieurs soulignent, par exemple, la fragilité des maitres délégués qui sont l'équivalent des contractuels du public. Ils sont très nombreux (20% des emplois) et totalement dépendants du chef d'établissement qui annule ou confirme leur emploi.

Le flou légal

Ces auditions aboutissent à deux constatations qui mettent en cause le système même de l'enseignement sous contrat. La première c'est l'incroyable déni de responsabilité de la hiérarchie de l'enseignement catholique. Les évêques, qui sont l'autorité qui fonde les contrats d'association, le secrétaire général de l'enseignement catholique, nommé par les évêques et avec lequel le ministère négocie les moyens attribués par l'Etat, les directions diocésaines, nommés par le SGEC, qui choisissent les chefs d'établissement, sont unanimes pour décliner toute autorité hiérarchique sur les établissements catholiques. Ils se défaussent sur les chefs d'établissement qui auraient une liberté de gestion. Ils mettent en cause aussi les congrégations, invitées elles aussi par la commission d'enquête mais restées totalement muettes.  

La commission d'enquête, dirigée avec beaucoup d'ardeur et de travail par Violette Spillebout (EPR) et Paul Vannier (LFI) se heurte à une structure molle. L'autorité des évêques, du secrétaire général, des directions diocésaines sont bien réelles. Mais elles sont inconnues de la loi. La loi Debré (1959) ne connait que les contrats signés par l'Etat avec chacun des établissements. Chaque établissement est une structure autonome, gérée par une association qui salarie le chef d'établissement.

Mais, comme l'a montré le rapport Vannier Weissberg, en 2024, dans la plupart des cas ni les rectorats ni les établissements ne sont capables de retrouver ces fameux contrats ! Pour faire fonctionner le système, qui concerne près de 7500 établissements, le ministère de l'éducation nationale s'adresse au secrétariat général. C'est avec lui qu'il négocie les moyens affectés par l'Etat. Et c'est le secrétaire général de l'enseignement catholique qui en assure la répartition dans les académies avec les directions diocésaines. Dans la gestion ordinaire, "on se fait confiance" entre directions diocésaines et recteurs, comme l'écrit le rapport Vannier Weissberg.  

Ce décalage entre la loi et la pratique est nettement démontré. Pour Paul Vannier, "l’État, qui ne reconnait aucun culte depuis l’adoption de la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, ne saurait négocier avec les représentants d’un réseau ou d’un autre, assimilables à des acteurs cultuels. Le fait, en particulier, qu’il débatte de l’allocation de moyens qui s’élèvent à plusieurs milliards d’euros avec un organe dont le secrétaire général est désigné par la Conférence des évêques de France constitue une dérive inacceptable dans une république laïque". P Vannier proposait dans ce rapport de supprimer le SGEC et de faire revivre le lien avec chaque établissement. C. Weissberg demandait au contraire d'amender la loi pour faire reconnaitre l'existence du SGEC.

Un flou qui empêche les contrôles

Ce grand écart entre la loi et la pratique est déjà inadmissible quand il s'agit de gestion de l'argent public. Mais, le rapport Vannier Weissberg, montrait déjà en 2024 qu'elle expliquait l'absence des contrôles des établissements par l'Etat. Le fouillis des textes et l'écart entre la réalité et la loi décourage les contrôles que l'Etat pourrait exercer. "Au rythme actuel – cinq contrôles par an pour 7 500 établissements – la fréquence de contrôle d’un établissement privé est d’une fois tous les 1 500 ans", notaient déjà les rapporteurs.

Un an après la publication du rapport Vannier - Weissberg, l'affaire de Betharram et toutes celles qui remontent avec le #MeTooScolaire lancé par le travail de la commission d'enquête, viennent tristement confirmer l'absence de contrôles et appuyer les recommandations du rapport de 2024.

Les pires violences ont été commises dans les internats ou dans le cadre de la vie scolaire. Ces deux domaines échappent légalement au contrat d'association avec l'Etat. Ils relèvent du "caractère propre" des établissements, reconnu par la loi Debré. Même si les évêques, le secrétaire général et les syndicats de chefs d'établissement du privé se déclarent favorables aux contrôles y compris dans ces deux domaines, les contrôles que les rectorats exerceraient n'auraient pas de fondement légal. L'attitude des autorités catholiques est d'ailleurs ambigüe. Le SGEC s'est opposé au vade-mecum que propose le ministère de l'éducation nationale et a demandé la suppression des fiches concernant la vie scolaire et les internats. Les syndicats de chefs d'établissement du privé veulent bien des contrôles mais à condition d'en négocier le calendrier. Ils s'opposent donc aux contrôles inopinés qui facilitent la détection des violences.

La nécessité de changer le système

On ignore ce que seront les recommandations de la commission d'enquête dirigée par P. Vannier et V. Spillebout. Mais elles devraient remettre en question la loi Debré. Un an après le fracassant rapport Vannier Weissberg, le #MeTooScolaire impose lui aussi une révision des rapports entre l'Etat et les établissements privés sous contrat.

Face à des violences systémiques, il faut changer le système. Il s'agit d'établir dans les textes la chaine hiérarchique de l'enseignement catholique sous contrat. Il faut veiller à l'organisation de la remontée des signalements et des informations préoccupantes de façon à s'assurer qu'elles remontent et qu'elles sont suivies. Il faut aussi s'assurer que les personnels des établissements privés soient formés à ces signalements et qu'ils aient la capacité réelle de les faire. Et cela pose la question d'un statut plus protecteur pour les maitres délégués. Au delà des sanctions judiciaires, c'est une révision législative qui s'impose pour éviter de nouveaux Betharram.

François Jarraud

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.