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Journaliste engagé pour l'Ecole. Fondateur et rédacteur en chef (2001-2023) du Café pédagogique.

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Billet de blog 5 juillet 2024

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Quelle que soit l'issue des élections législatives le 7 juillet, la vie scolaire comme la vie politique ne seront pas comme avant les élections. L'Ecole doit se préparer à une aggravation des tensions.

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Le Rassemblement national aura t-il une majorité absolue, relative ou sera t-il écarté pour cette fois du pouvoir ? A la veille des élections, il y a une seule certitude. L'élection massive de députés d'extrême droite le 7 juillet aura un impact très important sur la vie politique et, par suite, sur le climat des établissements scolaires.

Le RN va donner le ton à la vie politique du pays

Illustration 1
Manifestants en 2010 © François Jarraud

Le Rassemblement national devrait envoyer à l'Assemblée nationale près de 200 députés, peut-être même beaucoup plus. Jamais, dans l'histoire de la République, on n'a connu une masse aussi importante d'élus d'extrême droite. Comme à chaque renouvellement massif de la chambre, un nombre important de ces élus sont très mal préparés à leurs fonctions. On l'a vu en 2017 avec l'inexpérience de nombreux nouveaux députés macronistes. En 2024, quand on écoute leurs déclarations médiatiques, il semble que beaucoup parmi les futurs élus du RN sont très peu formés à exercer des responsabilités nationales. Beaucoup semblent incapables de participer au dialogue démocratique d'une assemblée législative. Beaucoup dérapent gravement dans leurs propos.

Et pourtant, de loin, ils formeront le premier parti de l'Assemblée. Et c'est le RN qui donnera le ton dans l'Assemblée. C'est lui qui rendra possible ou impossible une construction sereine de la loi. Par suite c'est lui qui animera la vie politique. Or, au pouvoir ou privé du pouvoir, le RN n'aura plus intérêt à la dédiabolisation. Il pourra donner libre cours à son naturel qui n'est jamais très loin. C'est une situation que l'on a connu à la fin des années 1930 et 1950. Qu'on se rappelle l'incident créé par X Vallat le 6 juin 1936 ou l'attitude agressive des poujadistes, dont JM Le Pen, dans la dernière chambre de la 4ème République. Qu'on se rappelle le 3 novembre 2022 quand un député RN a invité un député à "retourner en Afrique". L'assemblée issue des élections de 2024 pourrait bien être une chambre où la violence politique aura libre cours. On peut craindre que les députés d'extrême droite empuantissent la vie politique du pays par des propos provocants et des propositions de loi particulièrement repoussantes. Et ce ne serait pas sans conséquences sur l'atmosphère du pays, cette extrême droite bénéficiant d'un large relais médiatique.

La puissance du ressentiment

Mais il y a pire que cette stratégie politique. Tous les sondages réalisés pour les élections législatives de 2024 montrent une exceptionnelle mobilisation de l'électorat du RN et une fidélité inébranlable dans son vote. Au point que des candidats totalement inconnus, ou particulièrement inaptes, fassent des scores importants. C'est possible car il y a une réelle force derrière le vote RN. Le vote RN est d'abord celui du ressentiment, souvent même de la haine. Les incidents qui se multiplient avant le 7 juillet sont la pointe de l'iceberg. Le RN est porté par la puissance de la violence. S'il arrive au pouvoir, elle s'exprimera immédiatement. S'il n'y arrive pas, elle le fera aussi par frustration.

L'Ecole au centre du ressentiment

Or la particularité première des électeurs RN c'est leur faible niveau de diplôme. C'est un électorat qui est fâché avec l'Ecole et qui, en même temps, en est très inquiet. Félicien Faury explique très bien ce rapport à l'Ecole dans cet article.

La montée du RN ne sera pas sans conséquences sur le climat des écoles et des établissements. L'extrême droite avait déjà monté bien avant les élections des comités de parents "vigilants" chargés de surveiller les enseignants et de dénoncer ceux dont les cours leur semblent s'éloigner de leur attendu. Ces comités vont se sentir légitimés par le résultat des élections. Ils pourront aussi compter sur la collaboration d'enseignants et d'élèves sympathisants RN.

Ces groupes vont pouvoir exercer une pression bien plus forte sur les enseignements que ce qu'on a connu avant l'élection. Dans de nombreux endroits cela altérera la relation entre les enseignants et les parents, voire entre professeurs et élèves. Le soupçon, l'auto censure sont autant d'éléments destructeurs de la relation pédagogique qui ne peut fonctionner que dans la confiance.

Puissance de la solidarité

Félicien Faury conclue en disant que "il faut s’interroger sur ce que produit politiquement notre école, sur les visions du monde et les préférences électorales qu’elle engendre sur le long terme chez les individus". Les enseignants n'ont sans doute pas à modifier le contenu de leur enseignement pour complaire à l'extrême droite. C'est le fonctionnement de l'Ecole qui est à revoir. Pour échapper aux soupçons, elle devrait être moins élitiste et moins excluante.

Or ce ne sont pas les orientations politiques qui seront appliquées à la rentrée, que le gouvernement soit issu de la droite ou du centre. Bien au contraire, les mesures décidées pour la rentrée vont accentuer la sélection et les inégalités. Elles mettent déjà nombre d'enseignants dans un conflit de valeur. Cela contribue à une menace sans précédent sur le métier.

Les professeurs vont devoir résister dès la rentrée de septembre. Cette résistance devra être à la fois catégorielle, compte tenu des menaces sur la profession, et humaniste, car c'est un projet de société qui est l'enjeu de ces élections. Le défi est immense. Il va nécessiter un grand professionnalisme dans la relations aux familles et aux élèves. Les enseignants l'ont acquis. Mais il va leur falloir pour le construire une exceptionnelle solidarité entre eux. Cela ils vont devoir le construire.

François Jarraud

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