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Billet de blog 9 octobre 2025

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Faut-il changer le métier enseignant ?

Que doit devenir le métier enseignant ? La conférence internationale du Cnesco interroge les experts. La pression pour promouvoir le modèle du nouveau management public est forte alors que l'Ecole est soumise au populisme éducatif. Quelle place auront les enseignants dans ce débat ?

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Une crise d'attractivité

Illustration 1
Une enseignante dans une salle de classe... © François Jarraud

"La crise est une crise d'attractivité. Ce n'est pas seulement l'inadéquation des effectifs qui est en cause. C'est l'image du métier enseignant qui est en crise". En ouvrant la conférence de comparaison internationale sur le métier enseignant organisée par le Centre national d'études des systèmes scolaires (CNESCO), le 7 octobre, Pierre Périer fait le lien entre le métier enseignant et la crise bien réelle d'attractivité.

Rappelons quelques chiffres. Aux concours 2025, près de 1500 postes offerts n'ont pas été pourvus, malgré la baisse du nombre de postes proposés. Des académies sont particulièrement touchées comme Créteil et Versailles. Des disciplines aussi dans le 2d degré comme les maths, le français, la physique chimie, l'allemand, l'anglais. Les départs volontaires sont aussi en augmentation. Il y en a eu 2400 en  2024. Il n'y en avait que 800 en 2015. La part des stagiaires est passé de 56 % à 22% : la majorité des départs concerne maintenant des enseignants expérimentés. La crise n'est donc pas seulement à l'entrée dans le métier. C'est une crise globale du métier enseignant comme le souligne  Pierre Périer.

Et pourtant les étudiants sont toujours attirés par la profession. En 2024, P. Périer a enquêté auprès d'un millier d'étudiants de L3 en reprenant des questions déjà posées en 2015. 62% des étudiants sont attirés par le métier enseignant. Une attirance qui vient de loin, très souvent de l'école élémentaire pour le métier de professeur des écoles et du collège ou du lycée pour le second degré. Mais par rapport à 2015, le nombre d'étudiants qui envisagent de passer les concours baisse : 39% pour le 1er degré et 30% pour le 2d, contre 48 et 39% en 2015.

Qu'est ce qui retient ces candidats potentiels ? Le salaire pour 67% des éventuels candidats, le manque de reconnaissance du métier pour 60%, les conditions de travail pour 41% et le manque de choix des affectations pour 39%. Pierre Périer y voit la crise du modèle bureaucratique de gestion de l'éducation en France avec des relations hiérarchiques fortes par exemple sur les conditions d'affectation. Il pense aussi que le travail en équipe, le sentiment d'exercer le métier dans une communauté sont plus faibles en France avec un temps de présence réduit en établissement.

Le ministère veut en finir avec l'autonomie enseignante

Un diagnostic qui n'a pas été évoqué par les étudiants mais qui est repris fortement par Caroline Pascale, directrice générale de l'enseignement scolaire (Dgesco), le 7 octobre. Après avoir rappelé la politique salariale pour les débutants et "l'abaissement de l'âge" aux concours (en réalité une baisse de niveau avec un passage de bac +5 à bac +3), Caroline Pascale pointe le nouveau métier enseignant. "Il faut sans doute repenser l'exercice du métier notamment sur le caractère trop considéré comme un métier individuel avec la revendication de la liberté pédagogique et la maitrise totale de son travail dès lors que la porte de la classe est fermée... C'est une des réponses pour favoriser l'attractivité".

Passer de la gestion bureaucratique au marché ?

Xavier Dumay (U.C. Louvain) présente les "teacher policies" et permet de mieux comprendre le modèle professionnel vanté par C. Pascale. Il relève dans le monde 4 modèles. Le modèle bureaucratique (France Espagne Italie) où la carrière est régulée par des règles, avec un contrôle hiérarchique, une formation longue des enseignants et une autonomie individuelle forte dans le travail. Un modèle d'Europe du Nord où la régulation est faite par la profession après une formation longue et sélective. Un modèle asiatique (Japon, Corée du Sud) qui associe un marché du travail pour les enseignants et une pression hiérarchique très forte. Par exemple à Singapour, les enseignants sont hyper hiérarchisés, chaque grade rapportant sur le grade inférieur et la formation obligatoire permettant de monter dans la hiérarchie. Enfin le modèle du marché (Etats-Unis, Angleterre, Nouvelle Zelande etc.) où les voies de formation sont variées, y compris avec un apprentissage sur le tas dans l'établissement, il existe un marché du travail régi par l'offre et la demande et où les enseignants sont sous contrat individuel avec l'établissement. C'est là aussi que les démissions sont massives : un quart à un cinquième des enseignants quittent dans les 5 ans.

Selon X Dumay, c'est ce modèle du marché qui de répand avec un déplacement de la formation vers des formations par apprentissage, des carrières plus courtes et un métier hiérarchisé, la généralisation des contrats individuels avec des établissements de plus en plus autonomes.

Géraldine Farges, qui prépare un rapport comparatif sur le métier enseignant dans le monde, souligne la montée de la précarisation (y compris en France avec les contractuels) et de grands écarts dans l'évolution des salaires. Là où le modèle marchand est en place les salaires ont baissé fortement. Mais elle souligne que partout on assiste à une résistance de l'autonomie professionnelle. Même en Corée du Sud, où les enseignants sont très encadrés, ils veulent décider des méthodes pédagogiques pour leurs élèves.

Depuis 2017, une forte pression pour la gestion marchande

La nouvelle conférence du Cnesco s'ouvre alors que la pression pour faire évoluer le métier enseignant est maximale depuis 2017. Rappelons le rapport de la Cour des Comptes de 2021 qui recommandait l'évaluation des enseignants par les chefs d'établissement. En 2023,la Cour publie un nouveau rapport  qui demande d'en finir avec les concours, de donner aux établissements de l'autonomie dans le recrutement et de profiter de la baisse démographique pour supprimer 15 000 postes d'enseignants. En avril 2023, la loi du sénateur LR Brisson, adoptée par le seul Sénat, demande la création d'établissements publics autonomes recrutant et payant leurs enseignants et disposant d'une autonomie pédagogique. La campagne pour privatiser l'éducation nationale, c'est à dire la passer d'une gestion de type publique à un management de type marchand, est puissante et dispose de nombreux relais. E. Macron en a largement promu des éléments. De l'extrême droite à E Macron, on semble considérer cette évolution comme nécessaire.

Des effets négatifs sur les élèves et les enseignants

Pourtant ce modèle du "nouveau management public" n'est pas sans effets négatifs sur les élèves. En décembre 2019, Christian Maroy, m'expliquait que malgré les évaluations à tous les niveaux, il est impossible de connaitre l'évolution du niveau réel des élèves. "Par exemple un professeur d'histoire me dit que les résultats s'améliorent en cours de citoyenneté. Mais il ne peut plus emmener les élèves à l'Assemblée nationale car il doit consacrer tout son temps à l'examen ministériel. Donc la finalité de l'éducation à la citoyenneté est affectée... Toutes ces politiques aboutissent à des réductions curriculaires".

Sylvain Broccolichi et Sandrine Garcia ont montré, dans Sociétés contemporaines n°123, les effets des nouvelles gouvernances sur les élèves et les enseignants. " L’apparente réussite croissante et plus générale des élèves selon le critère de l’âge d’accès aux différentes classes se trouve infirmée par de nettes régressions des acquis des élèves d’après les épreuves standardisées de connaissance nationales et internationales, notamment en mathématiques et en maîtrise de l’écrit", écrivaient-ils en renvoyant aux évaluations de la Depp (direction des études du ministère). Cela conduit à un décrochage entre les exigences du système et ce que peuvent faire les enseignants. " Plus les enseignants sont confrontés à des problèmes insolubles, plus ils sont portés à distinguer les élèves qui peuvent progresser, de ceux qu’il s’agit seulement d’occuper (ou d’assagir)". Pour les deux sociologues, " le rythme élevé des salves de prescriptions nouvelles et de réformes imposées aux enseignants traduit une stratégie délibérée de déstabilisation de leurs routines et de fragilisation de leur culture professionnelle, dans une offensive systématique contre la résistance des salariés inspirée par des théories du management des prescripteurs".

Vincent Dupriez, dans la Revue canadienne en administration et politique de l'éducation, n°205, fait le lien avec la prolétarisation des enseignants. "Le principe même des logiques de marché est de faire confiance aux consommateurs... On assiste donc à un déplacement de la confiance vers les parents ou les tests au détriment de la confiance aux enseignants. Fondamentalement, un tel mouvement considère a priori que la réponse légitime aux interrogations pédagogiques et didactiques ne vient pas du groupe professionnel enseignant, mais de chercheurs réalisant des recherches expérimentales sur ces objets". C'est ce qui alimente l'abaissement de la formation des enseignants et de leur salaire, au final leur prolétarisation.

L'évolution du métier peut-elle se faire sans les enseignants ?

Ces évolutions, le CNESCO les connait. En 2016, le Cnesco a livré un premier rapport sur le métier enseignant. Il permet de mesurer ce qui a changé en 10 ans. D'abord le salaire des enseignants en France. En 2015 il était à peu près au niveau de la moyenne OCDE ou européenne. Des pays se détachaient déjà, comme l'Allemagne., mais le décrochage salarial n'était pas aussi abrupte qu'aujourd'hui. Pour rappel, le rapport sénatorial Longuet de 2021, montre une baisse de 22% du salaire réel des professeurs des écoles depuis 2000 et de 23% pour les enseignants du 2d degré. La question d'un ajustement marchand entre le nombre d'enseignants et celui des élèves ne se posait pas aussi. Au contraire, le Cnesco recommandait de stabiliser un niveau de recrutement élevé. En 2021, une autre conférence alertait sur la nécessité d'assurer la légitimité de la gouvernance de l'éducation auprès des acteurs.

Le 8 octobre, puis du 3 au 5 novembre, la conférence de comparaison internationale va réfléchir sur les compétences attendues des enseignants, sur la collaboration attendue entre les enseignants, sur l'accompagnement des enseignants et sur leur carrière. Des études nouvelles seront dévoilées par des experts de haut niveau. Mais qu'en pensent les intéressés ? Peut-on décider de changer un métier sans les consulter ? Le métier peut-il leur échapper ? C'est le point noir de la conférence. Mais il est toujours possible de s'inscrire et participer à cet événement international.

François Jarraud

Participer à la conférence du Cnesco

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