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Billet de blog 22 octobre 2025

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Les droites font programme commun sur l'Ecole

L'examen de la proposition de loi Lafon « visant à protéger l'Ecole » par la commission de la Culture de l'Assemblée nationale, le 22 octobre, montre comment les droites, du RN aux macronistes, construisent leur programme commun sur le dos de l'école.

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Prenez une proposition de loi du centriste UDI Laurent Lafon, un président de commission de la Culture LR, Alexandre Portier, un rapporteur UDR – RN, Thierry Tesson. Ajoutez le soutien de députés macronistes. Vous obtenez une alliance des droites pour un texte très politique pour gouverner l'Ecole. C'est ce qui s'est passé le 22 octobre à l'Assemblée nationale. Les droites y ont appris à construire des compromis pour imposer une vision commune sur l'Ecole.

Une loi sécuritaire

Illustration 1
Alexandre Portier, président de la commission de la culture de l'Assemblée nationale, le 22 octobre 2025. © Flux vidéo de l'Assemblée nationale

Tout n'est pas à jeter dans la proposition de loi de Laurent Lafon, le président de la commission de la Culture du Sénat. Son texte a été adopté par la haute assemblée le 6 mars 2025. Grâce à la bénédiction du gouvernement, il arrive en urgence en discussion à l'Assemblée nationale où il sera discuté en séance fin octobre. Le 22 octobre il est adopté en commission de la culture de l'Assemblée au terme de débats violents et de votes serrés.

La proposition de loi "visant à protéger l'école de la République et les personnels qui y travaillent" comporte des articles qui seront jugés bienvenus par ces personnels. Ainsi les articles 3ter, 3 quater et l'article 5 aggravent les peines encourues pour des faits de violence et de harcèlement commis sur des personnels "travaillant dans des établissements scolaires". L'article 4 est déjà moins convaincant. Il accorde le bénéfice automatique de la protection fonctionnelle à ces agents mais " en cas de faute personnelle imputable à l’agent, l’administration peut retirer la décision de protection accordée à la personne concernée par une décision motivée". Autrement dit rien ne change.

L'article 3 veut responsabiliser les parents quand leurs enfants dérapent. On est là aussi dans la vision sécuritaire de l'ordre scolaire portée par la droite. Mais la rédaction protège surtout l'administration. " Les personnes responsables de l’enfant peuvent être convoquées pour un entretien avec le directeur académique des services de l’éducation nationale agissant sur délégation du recteur d’académie ou son représentant. Celui-ci peut proposer des mesures de nature pédagogique ou éducative pour l’élève". On reste dans le flou.

Les parlementaires modifient le programme d'EMC

Les autres articles sont plus en rupture. A commencer par l'article 1 qui redéfinit les contenus de l'EMC. "Il comporte, à tous les stades de la scolarité, une formation aux valeurs de la République et aux principes de la République mentionnés au premier alinéa de l’article 1er de la Constitution dont celui de laïcité. Son objectif est de permettre aux futurs citoyens de connaître le fonctionnement des institutions françaises et européennes. Il vise également à développer leur esprit critique et à leur faire comprendre les enjeux internationaux, sociétaux et environnementaux du monde contemporain".

Les députés de gauche ont beau jeu de faire remarquer que ce programme écarte des pans entiers du programme actuel d'EMC, par exemple tout ce qui concerne les droits de l'enfant. Les sénateurs ont réduit l'EMC à la connaissance des institutions, particulièrement eux-mêmes. Aux débats citoyens qui fondent les cours d'EMC, ils préfèrent la récitation sur les institutions à la façon de l'ancienne instruction civique.

Ce faisant, les parlementaires se donnent le droit de descendre sur le terrain des programmes. Certes ils ne vont pas au niveau de l'application. Ils restent sur des principes. "C'est un classique du genre", me dit Claude Lelièvre, éminent historien de l'éducation. "Il est arrivé que des éléments de programme soient votés par l'Assemblée. Mais c'est rarissime". La loi Lafon en reste aux principes. N'empêche que les parlementaires redessinent le champ de l'EMC pour imposer une vision étriquée et traditionaliste de cet enseignement. Il tombe ainsi sous le contrôle des politiques. Jusque là les programmes scolaires étaient faits par des experts : inspection générale, CSP puis CNP.

Compromis des droites

Mais ce qu'on retient surtout c'est qu'il s'agit d'enseigner " le fonctionnement des institutions françaises et européennes". Et là on est dans le compromis entre les droites. L'article est adopté avec le soutien de l'extrême droite. Or ce parti n'est pas pro européen et ne s'intéresse qu'aux institutions françaises. Le RN va accepter de voter la proposition de loi malgré le rejet de plusieurs amendements. Par exemple son amendement pour interdire le port du voile aux accompagnatrices scolaires est rejeté. Un seul amendement du député RN Chudeau est adopté. Par contre plusieurs amendements du rapporteur d'extrême droite , T. Tesson, sont acceptés . Par exemple celui qui impose un stage de laïcité aux contractuels.

Cela se fait dans une ambiance des plus tendue. Le député RN Julien Odoul, condamné pour emploi fictif dans le cadre de l'affaire des assistants parlementaires du Front national au Parlement européen, insulte les députés LFI sans que le président de commission LR réagisse.

Changement de ton

Deux articles font l'objet d'encore plus âpres débats. L'article 2 interdit le port de signes religieux "aux élèves qui participent aux activités en lien avec les enseignements, dans ou en dehors des établissements, organisées par ces écoles, collèges et lycées publics, y compris en dehors du temps scolaire". Il est adopté de justesse grâce au soutien des  députés macronistes..

L'article 6bis est aussi l'objet de débats. Marie Mesmeur (LFI) et Soumya Bourouaha (PC) s'opposent à un texte jugé démagogique. Cet article invite les chefs d'établissement à procéder à la fouille des élèves. Pour M Mesmeur, il s'agit de "mesures inefficaces et démagogiques, qui étendent les pouvoirs des chefs d’établissements mais ne permettront pas d’empêcher qu’une arme blanche entre véritablement dans l’enceinte de l’établissement scolaire". S Bourouaha montre qu'il est impossible de fouiller les élèves d'un lycée. Le rapporteur RN - UDR et le député Horizons Jérémie Patrier-Leitus, vice président de la Commission, soutiennent la mesure. Ce dernier avec beaucoup de virulence.

"Par la violence de ses membres, par le contenu de son projet politique, le Rassemblement national constitue une menace existentielle pour l’École de la République, pour le métier d’enseignant et pour les personnels de l’Éducation nationale", remarque, sur Twitter, le député LFI Paul Vannier.

Le programme commun de gouvernement des droites

Au final le texte est adopté par 20 voix contre 19. Ceux qui ont voté pour le texte valident un texte soutenu avec violence par l'extrême droite. Ils acceptent le nouveau ton qui s'est imposé à la commission de la Culture. Jusque là la commission travaillait dans le respect et le calme. Avec un président LR, un vice président Horizons, un rapporteur RN UDR, le ton a changé et la droite dure dirige les débats et tente d'impressionner la gauche.

Ancien ministre délégué à l'éducation du gouvernement Barnier, Alexandre Portier veut "peser à droite pour faire de l'éducation une priorité". A la tête de la commission, il y réussit. Les droites s'emparent pleinement du champ éducatif. L'Ecole devient le terrain où de l'extrême droite aux macronistes on scelle une alliance et surtout on trouve les compromis pour changer l'Ecole.

On a vu l'alliance sur le budget de l'éducation nationale le 17 septembre. Les droites manifestaient leur opposition à augmenter le budget de l'éducation face aux syndicats. Les macronistes invitaient à faire mieux sans moyens supplémentaires. Mais cette alliance est plus ancienne.   En juillet 2024, le "pacte législatif" rédigé par L Wauquiez (LR) en fixait les contours. Ce pacte s'appuie sur la loi Brisson, une autre loi adoptée par le Sénat, bloquée par le gouvernement depuis Pap N'diaye. Elle propose de privatiser l'éducation en créant des établissements publics sous contrat, gérés par des managers ayant la main sur l'embauche, la paye et même les contenus enseignés.

C'est un véritable programme commun des droites qui se construit sous nos yeux. Accord budgétaire en septembre pour diminuer celui de l'éducation. Construction d'un compromis sur la loi Lafon. L'école est le premier terrain d'exercice d'une nouvelle majorité.

François Jarraud

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