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Journaliste engagé pour l'Ecole. Fondateur et rédacteur en chef (2001-2023) du Café pédagogique.

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Billet de blog 22 juillet 2024

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Pacte législatif : Le piège libéral va t-il se refermer sur l'Ecole ?

Le "Pacte législatif" proposé par La droite républicaine aux macronistes lie des économies budgétaires à une privatisation effective de l'Ecole publique. Il marque une nouvelle étape de la reconstruction politique de la majorité présidentielle.

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Une réforme budgétaire

Illustration 1
L Wauquiez © François Jarraud

Quelle politique éducative pour baisser la dépense publique ? Le 22 juillet, Bruno Retailleau, le leader de La droite républicaine (ex Les Républicains) au Sénat et Laurent Wauquiez, président du groupe à l'Assemblée nationale présentent à la presse leur "pacte législatif", un ensemble de 13 propositions de lois.

Pour la droite, ces textes veulent "redresser la France". Selon eux, il ne s'agit pas d'une coalition gouvernementale. Mais, pour L Wauquiez, " tout exécutif qui se saisirait de ce pacte nous nous engageons à voter les lois... Notre souhait, c'est d'être un pôle de stabilité, dans un Parlement qui va en avoir besoin."

Les 13 textes traitent de la sécurité sociale, de la réindustrialisation, de la sécurité. Mais l'accent est mis sur le budget. "Dès septembre, la France devra envoyer à Bruxelles un plan pluriannuel d'ajustement". Pour cela, le pacte n'envisage pas une réforme fiscale. Il prévoit d'importantes économies budgétaires et une désindexation des retraites, c'est à dire leur baisse.

Une loi sur l'Ecole

Le Pacte concerne aussi l'Ecole. "Quand on voit les résultats de Pisa, tout nous ramène à l'Ecole", déclare B. Retailleau. "On a des propositions déjà votées au Sénat avec des établissements publics gratuits autonomes innovants dans une liberté de recrutement et évalués avec un contrat avec chaque académie".

Bruno Retailleau fait référence à la proposition de loi Brisson, adoptée le 11 avril 2023 par le Sénat par 220 voix (Républicains, Centristes, indépendants et la majorité des RDSE) contre 118. Ce texte n'a pas eu le temps d'être proposé à l'Assemblée.

L’enjeu budgétaire était déjà très présent dans ce texte. C'est sous cet angle que le sénateur LR Max Brisson présentait ce texte en avril 2023. "La France consacre à l’éducation de sa jeunesse 5,2 % de son PIB, contre 4,9 % en moyenne dans l’OCDE. L’éducation nationale est, à 60 milliards d’euros, le premier poste de dépenses de l’État. Et pourtant… La performance de notre système éducatif ne cesse de se dégrader", disait-il. Le sénateur oubliait que le pays compte un pourcentage de jeunes plus élevé que la moyenne européenne et que le coût salarial de l’éducation par élève, selon l’OCDE, y est inférieur à la moyenne OCDE. Le souci de baisser le coût de l’éducation a été bien présent lors du débat sénatorial. Aussi, quand un article  de la proposition de loi prévoit des moyens spécifiques pour les zones rurales, les assimilant à l’éducation prioritaire, il y a lieu de s’inquiéter déjà sur le financement de l’éducation prioritaire.

Des écoles et établissements publics privatisés

Mais l’enjeu principal du texte est l’organisation même de l’Education nationale. La proposition de loi crée des établissements publics autonomes d’éducation (EPAE) sous contrat avec l’Etat. Il peut s’agir d’écoles primaires comme d’établissements secondaires. Les chefs de ces EPAE auraient encore plus de liberté que les chefs d’établissement du privé puisqu’ils gèreraient librement les moyens mis à leur disposition, par exemple les enseignants, et décideraient de l’organisation pédagogique de leur établissement. Le texte prévoit que dans ces établissements ne s'appliquent pas les articles concernant le conseil d'administration. Toujours selon le texte de la proposition de loi, le contrat passé entre l'établissement et le rectorat porte sur "le ressort de l’établissement ; L’affectation des personnels, y compris enseignants ; L’allocation et l’utilisation des moyens budgétaires ; L’organisation pédagogique ; Les dispositifs d’accompagnement des élèves". Il va donc bien au delà des contrats actuels du privé et donne une entière liberté pédagogique au chef d'établissement. Aussi cette proposition de loi ne fait pas que mettre les établissements publics en concurrence. Elle privatise totalement leur fonctionnement. C'est une source potentielle de fortes économies puisque tous les repères nationaux, par exemple en ce qui concerne les enseignements, sautent. Dans la conception libérale qui anime ce texte, en échange, l'établissement est tenu à un objectif de résultat.

Des enseignants mis sous contrat

La nouvelle loi s’attaque aussi au statut des enseignants. Elle prévoit de mettre sous contrat les professeurs du public quant à leur affectation. C’est évidemment le début de la mise à mal de leur statut. Pour les enseignants du premier degré, le texte crée une formation spécifique, différente du 2d degré, dans des " écoles supérieures du professorat des écoles " administrées par les recteurs. Elle retire donc la formation aux universités pour les confier à l’administration à l'image de la réforme voulue par E Macron. Même si un amendement pour les appeler "écoles normales" n’a pas été accepté, c'est bien le retour d'un modèle de formation qui a disparu depuis 30 ans. Il y a un enjeu pour les enseignants. Passant  Ce qui est en jeu c’est le master et donc l’égalité avec les enseignants du second degré. On retrouve, toujours sous jacent, le souci d’économie qui motive ce texte. Pour les enseignants du second degré, le texte dans son article 7 prévoir de recruter des enseignants bivalents. C’est le retour des PEGC, mis en extinction il y a 20 ans.

Le texte est aussi obsédé par la conception droitière de la laïcité. La nouvelle loi interdit les signes religieux aux accompagnateurs des sorties scolaires. Elle va encore plus loin en imposant un contrôle de conformité aux projets éducatifs territoriaux. Pour les élèves, elle impose un contrôle des certificats médicaux d’inaptitude par les médecins scolaires. On est dans la caricature : comment 800 médecins scolaires pourraient vérifier les certificats d’une population de 12 millions d’élèves ? Le sénateur P Ouzoulias avait fait remarquer que la nouvelle loi interdit de fait les aumôniers scolaires...

Une étape de la reconfiguration politique

Quel avenir pour ce texte ? En avril 2023, les sénateurs macronistes avaient voté avec la gauche contre la proposition de loi la jugeant "clivante". A l'époque, Pap Ndiaye était ministre de l'éducation nationale et il marquait son opposition à ce texte. "Nous partageons de nombreux constats mais nos solutions diffèrent", disait-il. Avec Attal puis Belloubet, les macronistes ont nettement glissé à droite, voire à l'extrême droite, sur les questions éducatives. On l'a vu avec la suppression du collège unique grâce au "choc des savoirs". Ou encore avec le brevet transformé en examen d'entrée au lycée. En juin 2024, Emmanuel Macron lui-même demandait que les directeurs d'école recrutent et payent "leurs" enseignants. Macronistes, droite et extrême droite partagent maintenant le même projet éducatif. La réforme de la formation des enseignants en est un bel exemple.

Lors de la discussion de ce texte en séance au Sénat, le sénateur écologiste Thomas Dossus avait prédit l'avenir. "Avec ce texte, (la droite) entreprend méthodiquement de déstructurer l’école républicaine et de faire prospérer ses lubies réactionnaires. Nous sommes inquiets lorsque le Gouvernement explique qu’il ne faut pas aller si vite : c’est ce qu’il disait ces dernières années à propos de l’amendement sur les retraites… Ce texte fera-t-il partie d’un futur deal avec la droite ? Nous sommes soucieux pour l’avenir de l’école".

Pour quels résultats ?

Puisque le moment semble venu de la reconfiguration majoritaire à droite, cette gestion privée de l'Ecole publique peut-elle porter des résultats ? Oui si on pense budget. En libéralisant les curricula on peut ajuster le nombre d'enseignants aux objectifs budgétaires très facilement. En dévaluant la formation des enseignants, particulièrement celle des professeurs des écoles, on ouvre la voie à la baisse des rémunérations. En territorialisant le recrutement on remet en question le statut de fonctionnaire et on fait des contractuels la norme pour les enseignants.

Par contre on peut s'interroger sur les résultats pédagogiques. Parce que cette réforme a déjà été appliquée. La Suède a connu une réforme identique qui a fait passer le système éducatif d'étatique et centralisé en une décentralisation totale, les établissements étant confiés à des chefs ayant totale liberté de gestion et pédagogie. En mai 2015, les résultats étaient tels que l'OCDE a demandé (et obtenu) à l'état suédois de reprendre les choses en main. Pisa enregistrait une triple baisse : celle des résultats des élèves suédois en compréhension de l'écrit, en maths et en sciences, celle du recrutement des enseignants leur statut social s'étant effondré et enfin celle du recrutement des chefs d'établissement.

Le Pacte de la droite républicaine sur l'Ecole aurait cela à affronter dans l'avenir. Dans l'immédiat il aurait à faire accepter la réforme aux enseignants et aussi aux élus locaux fort attachés à leurs prérogatives. Il trouverait aussi face à lui une particularité française bien décrite par Xavier Pons : le fort attachement du pays à une éducation nationale et à ses communs.  En attendant, cet épisode démontre qu'après les législatives "rien n'est acquis pour l'Ecole".

François Jarraud

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