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Billet de blog 23 septembre 2025

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La contre attaque de l'enseignement catholique

Plus l'Etat affirme sa volonté de contrôle, plus l'enseignement catholique revendique sa liberté. Il veut défendre son territoire face aux inspections et appliquer à sa manière l'éducation sexuelle. Le nouveau secrétaire général, G. Prévost, soutient le droit des professeurs à organiser des prières pendant les cours. Dans une approche trumpienne, il le fait au nom des Droits de l'Homme...

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"L'enseignement catholique va bien et même très bien... Nous sommes l'école de l'alliance avec les parents". Guillaume Prévost, le nouveau secrétaire général de l'enseignement catholique (SGEC), n'a pas enseigné ou dirigé d'établissement, comme ses prédécesseurs. Venu de la Marine nationale, passé par l'ENA puis le ministère de l'éducation nationale, où il s'occupait du SNU, il affiche la décontraction. Fini la cravate et le costume sombre. Lors de sa conférence de rentrée, le 23 septembre, il n'est pas dans la défense d'un enseignement catholique qui vient d'accumuler les scandales. Il attaque et veut déplacer les repères installés dans les relations entre l'Etat et sa paroisse.

Pas de mixité sociale à l'insu de son plein gré

Illustration 1
G Prévost le 23 septembre 2025 © Flux vidéo du site Enseignement catholique

Il y a un domaine où l'enseignement catholique se porte bien, ce sont les effectifs. Dans un contexte de baisse démographique, l'enseignement catholique ne perd que 10 000 élèves. Pour lui cela reflète la confiance des familles. "Ce que nous voyons c'est un choix des parents, notamment à l'entrée en collège où nous scolarisons 22% des élèves de 6ème. Les familles viennent chercher chez nous une dimension humaine".

La question de la mixité sociale des établissements privés s'est imposée dans le débat public au moment où les financements se tarissent et où l'enseignement public porte l'essentiel du poids de la scolarisation des enfants pauvres et "à besoin particulier". Alors que G Prévost vante sa progression en 6ème, qui ouvre des perspectives de nouvelles ouvertures de classes en 5ème, on compte 16% d'élèves défavorisés dans les collèges privés , 35% dans les collèges publics hors REP et 70% en Rep+.

Guillaume Prévost écarte la question de la mixité sociale. "L'enseignement catholique est fait pour les pauvres. C'est cette ligne que nous nous attachons à déployer", dit-il. "Si dans certaines zones la liberté de l'enseignement est réservée aux riches c'est scandaleux". La responsabilité en revient particulièrement aux collectivités locales dont les financements et aides (restauration, transports) seraient insuffisants. Pour preuve de cette ouverture, il affirme que "depuis 2008 on a perdu 2500 postes, or on a consacré 2000 postes à nos  priorités éducatives".

Selon P. Merle, qui vient de publier un ouvrage sur l'enseignement privé, celui ci a bénéficié de 665 postes sous Sarkozy, 249 sous Hollande et 4 655 sous Macron. P Merle montre aussi la stratégie de l'enseignement catholique pour se développer dans les lycées généraux aux dépens du 1er degré et de l'enseignement professionnel. Pour lui, "La transformation sociale du recrutement de l'enseignement privé, marquée par l'exclusion progressive des enfants d'origine populaire et une spécialisation continue dans la formation des élites, montre que l'enseignement catholique est devenu le lieu privilégié de la reproduction sociale".

Guillaume Prévost fustige, au passage, un recteur qui tente d'inscrire dans les avenants aux contrats des établissements des objectifs de mixité sociale. "Le recteur n'a pas à trancher un point politique. Il tranche localement un sujet qui relève de la loi. Ca va pas".

Après Betharram, limiter les inspections

"Ce qui s'est passé l'année dernière, les abus, le dévoiement de l'autorité  est très sérieux... Ce qui s'est passé doit nous amener à des mesures immédiates". Le scandale de Betharram, puis la révélation de nombreux autres cas de violences gravissimes durant un nombre important d'années dans un nombre élevé d'établissements catholiques à l'occasion de la mission d'enquête menée par P. Vannier et V. Spillebout a soulevé l'opinion publique qui a interpelé l'enseignement catholique. Après le rapport parlementaire, E. Borne a pris le 16 juin un décret imposant un signalement des violences auprès des autorités académiques et une note de service sur l'organisation des contrôles dans les établissements privés sous contrat.

Le secrétariat de l'enseignement catholique (SGEC) semblait avoir évolué sur ces questions. Après s'être opposé, avant le lancement de la mission d'enquête, à des controles portant sur la vie scolaire, au nom de la loi Debré, le prédécesseur de G Prévost, P. Delorme avait accepté ces contrôles. Il semble que ce soit maintenant remis en question. "Dans le cadre des contrôles, on doit pouvoir mieux expliquer notre projet éducatif", explique G Prévost. "On voit des inspecteurs qui maitrisent mal notre projet et veulent appliquer des normes qui ne s'appliquent pas". C'était l'argumentaire de P Delorme avant la mission d'enquête. Au nom du caractère propre, installé par la loi Debré, les contrôles de l'Etat ne concerneraient pas la vie scolaire. Le décret d'E Borne prévoit la mise en place de l'application "Fait établissement" dans les établissements privés sous contrat. "Fait établissement est déployé car il y a un décret", précise G Prévost. "Est ce que tout remonte ? Non. La limite bouge sans cesse". Retour en arrière aussi sur la vérification des casiers judiciaires des éducateurs : "il faudra en passer par la loi".

Guillaume Prévost évacue la question de ces contrôles. La grande question ce n'est pas les violences systémiques commises dans nombre d'établissements catholiques. C'est "la perte de légitimité des adultes dans leur relation avec les enfants. Le plus grand abus c'est la façon dont nous délaissons cette relation éducative". Certes le SGEC va installer 120 référents dans les diocèses pour accompagner les contrôles de l'Etat. Mais la vraie réponse ce sera un référentiel qualité pour les établissements."La qualité vaut mieux que la conformité".

L'EVARS noyé dans l'EARS

Autre actualité :l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) dont le programme vient d'être publié par le ministère de l'éducation nationale pour application à cette rentrée. "Sur ce terrain nous sommes très en avance sur le public", estime G Prévost. Pourtant les inspections menées par la mission parlementaire et de nombreux articles de presse montrent que des associations et des intervenants promeuvent des valeurs contraires à l'EVARS dans nombre d'établissements catholiques.

En effet, l'enseignement catholique met en avant son propre programme d'éducation affective, relationnelle et sexuelle (EARS) qui date de 2015. Ce programme, par exemple, défend la différence de genre, "don de Dieu", et s'oppose à "la gender theory". L'EARS invite à "respecter le rôle des parents en tat que premiers éducateurs de leurs enfants" en les associant à cet enseignement. Par opposition elle juge souhaitable que l'enseignant ne soit pas présent lors des séances d'EARS.  Et lors des cours, elle demande que l'enseignant soit fidèle à la parole religieuse : " En tant qu’enseignant de SVT dans un établissement catholique d’enseignement , comment j’articule dans mon enseignement la double référence : celle des textes officiels du ministère de l’Éducation; celle de l’Église catholique et de son enseignement social".  Le chef d'établissement doit vérifier que les manuels soient conformes à l'éthique catholique.

Après la publication du programme d'EVARS, on pourrait penser que l'EARS s'efface. Il n'en est rien. "Il y a un programme. Il est bon. On peut faire intervenir une association mais l'enseignant devra être présent en classe", explique G Prévost. "Mais ça n'empêche pas en dehors de ces heures de cours de faire appel à des association qui répondent à nos enjeux éducatifs".

Pour G Prévost, ces associations n'ont pas à avoir un agrément du ministère de l'éducation nationale quand elles interviennent dans le cadre périscolaire. Quand aux associations agrées, G Prévost estime "délicat" de faire intervenir le Planning familial. "Mais ce n'est pas nous qui décidons. C'est l'établissement qui a la latitude de choisir l'intervenant".

Déplacer le curseur de la laïcité

Guillaume Prévost entre dans sa tranchée pour défendre une nouvelle conception défensive des rapports avec l'Etat. Ainsi sur la valorisation des différences entre les sexes, inscrite dans l'EARS alors que l'EVARS plaide le contraire, il affirme que "ce n'est pas interdit de dire cela. C'est la liberté scolaire... Une circulaire ne s'applique pas à nos établissements. Le programme relève de la loi et on le met en oeuvre. Mais la circulaire sur la transidentité "si vous voulez qu'elle s'applique dans nos établissements il faut en passer par le Parlement".

C'est au nom de cette hiérarchie des normes, que G Prévost entend déplacer le curseur de la laïcité "dévoyée ces 10 dernières années". Ainsi il invite les enseignants à organiser une prière durant les cours. "Les enseignants ont le droit car ils ont la liberté pédagogique et la liberté de conscience pourvu qu'à aucun moment il n'y ait embrigadement. Pourvu qu'on explicite la démarche et qu'on ait une proposition alternative, on ne contrevient pas à la liberté de conscience de l'enfant". Et il traduit en termes plus simples : "Vous n'allez pas dans un restaurant chinois pour commander une pizza. Si Je vous salue Marie n'est pas supportable, il ne faut pas inscrire votre enfant dans un établissement catholique. Il faut qu'on soit des écoles catholiques". G Prévost assume froidement d'imposer cela aux familles prises en otage par les établissements privés quand les établissements publics du secteur sont dégradés par les restrictions.

Après la loi Debré et la généralisation des contrats d'association, les prières obligatoires avaient lentement disparu des heures de cours dans les établissements catholiques.  G. Prévost appelle à les rétablir. Dans une démarche qui rappelle les argumentaires de D. Trump, c'est au nom de la liberté, des droits de l'Homme, supérieurs aux lois et aux circulaires, que l'enseignement catholique amorce un virage rétrograde.

François Jarraud

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