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Billet de blog 27 juin 2024

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Rentrée : Une circulaire pour rien ?

La circulaire de rentrée publiée par N Belloubet le 27 juin applique la politique d'E. Macron. Son avenir va pourtant se jouer dans les urnes.

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A quelques jours d'élections qui devraient aboutir à son départ, Nicole Belloubet publie la circulaire de rentrée au BO du 27 juin. Le texte confirme les groupes "de besoin", les réformes du brevet et de la terminale pro. Il limite le numérique dans le premier et le second degrés. La circulaire confirme les options éducatives d'E. Macron pour 2024-2025 mais aussi programme des décisions jusqu'en 2027 ! La question de l'application de ce texte va bien se poser...

Une publication un peu anticipée ?

Illustration 1
Déménagement au ministère de l'éducation nationale © François Jarraud

Nicole Belloubet, qui signe la circulaire de rentrée, était-elle obligée de la publier le 27 juin ou devait-elle attendre le 2d tour des élections législatives le 7 juillet ? En année normale, les circulaires de rentrée paraissent avant la fin de l'année scolaire. Mais c'est rarement avant juillet. Si la circulaire de la rentrée 2021 est parue un 24 juin, celle de 2022 sort le 30 juin. En 2020 et 2023 c'est plus tard : les 6 et 10 juillet. Dans l'attente d'un éventuel autre texte après le 7 juillet, la circulaire s'impose aux recteurs, dasen et aux chefs d'établissement. Mais, on le verra, le texte compte  peu de consignes opérationnelles. Plus qu'organiser la rentrée scolaire, sur laquelle pèse le risque du manque de moyens humains, la ministre a voulu faire acte politique et manifester son soutien aux choix politiques du président de la République.

Les dispositions

Pour le premier degré, la circulaire annonce "une nouvelle méthode d'enseigner les mathématiques et le français". "Seule la pratique quotidienne, soutenue et systématique, à chaque niveau de l’école élémentaire, de la lecture et de l’écriture de lettres, de mots, puis de phrases et enfin de textes d’une longueur croissante, peut permettre de réduire les écarts scolaires", écrit la ministre. Comme si les professeurs des écoles faisaient autre chose en classe ! N Belloubet maintient les plans français et maths et les constellations "sur les prochaines années". Les effets de ces plans sont pourtant limités si l'on en croit la ministre. Elle souligne dans la même circulaire le pourcentage important d'élèves ayant un niveau insuffisant en français (27%) et en maths (32%) à l'entrée en 6ème... Des "cours d'empathie" seront généralisés à compter de la rentrée dans toutes les écoles du 1er degré. Enfin, la ministre veut limiter les usages du numérique. "S’il ne s’agit pas de bannir le numérique de la pédagogie, les usages non pédagogiques n’ont pas leur place à l’École. Aussi, dès la rentrée 2024, les outils numériques seront strictement limités et les outils individuels, proscrits à l’école maternelle, et les élèves seront sensibilisés à leur usage raisonné au cours de l’école élémentaire avec l’expérimentation d’un programme PIX dédié aux élèves de cours moyens". Il reste notamment à définir ce que sont les "outils individuels" en maternelle. Les enseignants devront ils s'interdire tout usage des écrans ?

N. Belloubet maintient la labellisation des manuels scolaires dans le premier degré. Cette mesure a été rejetée par les syndicats qui dénoncent une atteinte à la liberté pédagogique des enseignants. Elle est critiquée par les éditeurs au nom d'une liberté d'édition qui s'est installée dès l'Ecole de la IIIème République. Selon la circulaire, "elle permettra, sans être une condition obligatoire, de guider les professeurs dans le choix des manuels". Il n'y a aucun doute que la hiérarchie impose les manuels désignés par le ministère. Or , selon la récente Note du CSEN de juin 2024, les manuels jugés bons par ce service ministériel ("méthode synthétique stricte") ne sont actuellement choisis que par 5% des enseignants. La labellisation aura donc des conséquences sur la liberté des enseignants et aussi sur le marché de l'édition.

Les "pôles d'appui à la scolarité" (PAS), pourtant écartés par le Conseil constitutionnel, seront expérimentés dans 4 départements. Ces PAS vont permettre à l'éducation nationale d'avoir son mot à dire dans l'attribution des AESH et donc de briser la demande croissante de ce type d'aide.

Dans le second degré, la ministre confirme la mise en place des "groupes de besoin" voulus par G. Attal. Ces groupes seront constitués "selon les modalités déterminées par les équipes pédagogiques" ce qui renvoie la mise en place concrète des groupes de niveau à la force de la pression hiérarchique. La circulaire confirme aussi la réforme de l'évaluation du brevet pour la session 2025. "Le brevet sera ainsi réaffirmé dans sa valeur de diplôme national, et sanctionnera plus fidèlement la maîtrise des compétences du socle", alors que le ministère renforce le poids des épreuves finales... Au collège, la circulaire annonce un "renforcement de la pratique théâtrale" dont on se demande bien comment il pourra se concrétiser compte tenu du manque d'enseignants aggravé par la réforme des groupes et les récentes reprises budgétaires. Cet intérêt artistique n'est pas sans rappeler la communication de JM Blanquer sur les chorales. Notons positivement que les classes "prépa lycée" ne sont pas mentionnées dans la circulaire.

Au lycée professionnel, la réforme du L.P. sera conduite en terminale pro. Le texte fixe surtout la révision de la carte des formations. "L’accélération de l’évolution de la carte des formations professionnelles initiales constitue un des leviers majeurs de cette réforme. Cette ambition transformatrice se traduit par une valeur cible pour chaque région académique de 6 % de transformation de la carte des formations par an, afin d’atteindre 25 % de transformation de la carte en 2027".

De la communication politique ?

Nous voilà dans de la pure communication politique. C'est souvent le cas des circulaires de rentrée. Souvent elles contiennent peu de consignes opérationnelles. Et celle-ci n'échappe pas à la règle. Mais Nicole Belloubet ose aller bien loin en projetant sa circulaire dans l'avenir et en affichant des objectifs politiques. La circulaire annonce, à propos de l'autorité des professeurs, " un ensemble de mesures, résultant de la concertation lancée en avril dernier par le Premier ministre, (qui) viendra renforcer l’autorité des personnels de notre institution", comme si G Attal devait rester en poste. Elle annonce une "feuille de route" sur le développement des compétences psychosociales "d'ici la rentrée". Elle fixe la cible de 300 territoires éducatifs ruraux pour 2026. Mieux encore " la dynamique du CNR éducation – Notre École, faisons-la ensemble sera poursuivie et amplifiée en 2025, dans le cadre du fonds d’innovation pédagogique crédité de 500 millions d’euros sur l’ensemble du quinquennat". Nous voilà en 2027, alors que l'horizon ministériel de N Belloubet se compte en jours au moment de la signature de la circulaire.

Car le texte affiche surtout des objectifs politiques. Il est question "d'assurer la cohésion sociale dans l'Ecole et par l'Ecole" alors que la circulaire met en place les groupes "de besoin". Il ne faut "laisser aucun élève sur le bord du chemin" alors que l'évaluation du brevet est renforcée et que les groupes "de besoin" doivent voir le jour. La ministre parle de mixité sociale dans les établissements et de refonte de la carte de l'éducation prioritaire. Mais " la poursuite de la politique d’ouverture sociale des établissements privés sous contrat ainsi que des établissements publics les plus favorisés", "cette exigence ne se décrète pas : elle devra être travaillée localement, au cas par cas, en fonction des réalités territoriales et en pleine concertation avec les forces vives de chaque territoire, pour être pleinement bénéfique".

L'avenir d'une circulaire

Que restera t-il de la circulaire et de ces objectifs politiques ? Cette circulaire sera t-elle caduque dès le 7 juillet  ? Si une majorité Rassemblement nationale ou RN - Républicains sort des urnes, la circulaire Belloubet s'appliquera pour l'essentiel. Selon ses déclarations, le RN ne remettra pas en question les groupes de niveau. Il validera la nouvelle évaluation du brevet, dont il fera par contre un examen d'entrée en lycée. Le RN est pour la labellisation des manuels scolaires, tout comme les Républicains avec comme objectif commun le controle des pratiques pédagogiques des enseignants. La "nouvelle méthode d'enseigner" le français et les maths à l'école primaire ne posera pas plus de problèmes. Les objectifs politiques posés par N Belloubet dans la circulaire (mixité sociale, cohésion sociale etc.) ne sont appuyés dans le texte par aucun dispositif concret et contraignant. Cette éventuelle majorité pourra bannir ces termes politiques sans toucher à la préparation de la rentrée. Dans ces domaines, comme dans la politique éducative en général, il n'y a pas d'opposition entre les choix d'E Macron et les options des Républicains ou du RN, comme nous l'avons expliqué ici. Il n'y a pas plus de différence dans l'évolution du métier enseignant.

C'est la victoire du Nouveau Front Populaire qui pourrait rendre cette circulaire caduque. Le programme du NFP rompt avec le "choc des savoirs" et les groupes de niveau. Il veut imposer réellement la mixité sociale dans les établissements scolaires. Il prévoit l'accueil effectif des élèves en diminuant le nombre d'élèves par classe, en recrutant des enseignants et en garantissant la gratuité effective de l'enseignement. Il écarte la labellisation des manuels scolaires et la réforme du métier enseignant. Pour les enseignants, il écarte le terrible enjeu des législatives. L'avenir de la circulaire Belloubet est dans les urnes.

François Jarraud

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