Frédéric Debomy (avatar)

Frédéric Debomy

Ecrivain, scénariste de bande dessinée

Abonné·e de Mediapart

118 Billets

1 Éditions

Billet de blog 9 mai 2025

Frédéric Debomy (avatar)

Frédéric Debomy

Ecrivain, scénariste de bande dessinée

Abonné·e de Mediapart

Joann Sfar, un massacre et le poids des mots

Joann Sfar, sur le conflit israélo-palestinien, se revendique de la mesure et de l'humanisme. Qu'en est-il ? Complément à l'article de Blast et à certains de mes précédents billets.

Frédéric Debomy (avatar)

Frédéric Debomy

Ecrivain, scénariste de bande dessinée

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Enfin quelqu'un a fait le travail. https://www.blast-info.fr/articles/2025/cher-joann-sfar-boxing-day-30-SEOArjnPQxyyrUi5d6CgAA

Lorsque je publiais ici quelques textes pointant la posture d'équilibre de Joann Sfar dans le conflit israélo-palestinien (les retrouver au bas de ce texte et les considérer comme faisant partie de son argumentaire) pour en mettre en lumière le caractère mensonger, j'étais bien seul. 

Il n’était pourtant pas difficile de constater combien Sfar est peu objectif, ce qui pose inévitablement la question de la raison pour laquelle tant de médias ont souhaité ou souhaitent encore donner un tel écho à sa voix. Si l’on élimine la pure et simple envie de nuire aux Palestiniens, deux hypothèses me viennent à l'esprit :

  • ou bien les rédactions de ces médias sont peuplées de journalistes dépourvus d’esprit critique ou trop paresseux ou trop pressés pour s’assurer au préalable qu’il s’agit bien d’une voix sérieuse – ils seraient incapables, en somme, d’entreprendre le travail de vérification effectué par le journaliste de Blast.
  • ou bien ces mêmes rédactions ont pour objectif premier non pas une information digne de ce nom mais le souci de paraître équilibrées en promouvant des voix singeant la modération. On est alors dans le théâtre, un théâtre qui suppose à la fois d’exclure les personnalités pro-Israéliennes trop véhémentes (Rachel Khan – avec qui Joann Sfar ne voit cependant pas de difficulté à converser –, c’est bon pour CNews) et les voix juives les plus clairement opposées aux atrocités commises par Israël.

Pourquoi ce théâtre ? Peut-être pour éviter d’être la cible de l’une de ces accusations d’antisémitisme si facilement brandies par les partisans d’Israël. Peut-être aussi parce que la tiédeur caractérise tout un monde médiatique (sauf bien sûr lorsqu'il s'agit de taper sur une formation de gauche).

Toujours est-il qu'un Joann Sfar ou une Delphine Horvilleur rendent de grands services aux médias qui ne souhaitent pas dire franchement ce qu'il y a à dire d'un État qui bombarde et affame des civils sans même éprouver de gêne devant l’élimination de milliers d’enfants. L’un et l’autre posent en humanistes et tant pis si Horvilleur, par exemple, relaie la fake news de la journaliste Ruth Elkrieff selon qui Amnesty International n’aurait pas condamné les massacres du Hamas en Israël ou si elle dénonce a contrario comme fake news la mort avérée d’une personne brûlée vive suite à une frappe israélienne. Ce profil médiatique parfait – femme et rabbin – continue à jouer la modération et la pondération aux différents endroits où l’on a pour souci essentiel de jouer la mesure.

En somme, on ne pense en invitant de tels profils qu'à soi, à l'image qu'on va donner : bien peu aux Palestiniens.

Parce que ce qui peut sauver les Palestiniens encore vivants est un consensus, le plus fort possible, sur le fait que ce que fait Israël est inacceptable, et la pression politique qui résultera de ce consensus. C'est en tout cas la meilleure chance de sauver des vies. 

Des personnalités juives et israéliennes invitent à mettre la pression sur Israël

Des Israéliens en sont d’ailleurs convaincus, qui publiaient le 18 octobre 2024, dans Libération, une tribune intitulée « Citoyens israéliens, nous appelons à une pression internationale pour que cesse le massacre ».

On y lisait : « Nous, citoyennes et citoyens israéliens, résidant en Israël et ailleurs, appelons la communauté internationale – l’Organisation des Nations unies et ses institutions, les États-Unis, l’Union européenne, la Ligue arabe, ainsi que tous les pays du monde – à intervenir immédiatement en appliquant contre Israël toute sanction possible afin d’obtenir un cessez-le-feu immédiat entre Israël et ses voisins. Et cela, pour l’avenir des peuples vivant en Israël Palestine et dans la région, et afin de garantir leur droit à la sécurité et à la vie. »

« Hélas », précisaient-ils, « la majorité des Israéliens soutient la poursuite de la guerre. Ainsi, un changement venant de l’intérieur semble, à l’heure actuelle, impossible. L’État d’Israël se trouve engagé dans une trajectoire suicidaire et dans une entreprise de destruction d’autrui qui ne cesse de s’intensifier avec chaque jour qui passe. »

La solution, pour ces signataires parmi lesquels une figure du mouvement des familles des otages du Hamas, un spécialiste de l’Holocauste, un spécialiste des études du génocide, une ancienne ambassadrice, un ancien procureur général, maints universitaires... résidait donc hors d’Israël.  « L’absence de pression internationale effective, la poursuite de l’approvisionnement d’Israël en armes, le maintien des accords de coopérations économiques, sécuritaires, scientifiques et culturelles réconfortent beaucoup d’Israéliens dans l’idée que la politique menée par leur gouvernement bénéficie d’un soutien international », expliquaient-ils.

Ce qui les conduisait à cette conclusion en forme de cri d’alarme : « Pour notre avenir et pour l’avenir de tous les habitants d’Israël et de Palestine et des pays de la région, nous vous implorons : sauvez-nous de nous-mêmes ! Exercez une vraie pression internationale sur Israël ».

Malheureusement, cette imploration, nombre des commentateurs français de la situation au Proche-Orient ne souhaitent pas en entendre parler. Tant pis pour les Palestiniens et même pour les Israéliens : plutôt qu’admettre la gravité de la situation et la responsabilité d’Israël dans ladite situation on s’emploiera à lancer des accusations d’antisémitisme et de soutien au terrorisme à tout va. On s’emploiera à disqualifier, ou l’on ignorera le plus souvent, les voix juives qui disent la même chose que ces voix israéliennes.

Car il existe, n’en déplaise aux antisémites tentés d’instrumentaliser le sort des Palestiniens, des personnalités et organisations juives s’exprimant en France avec la même clarté que les auteurs de la tribune que je viens de citer. Il leur arrive de publier des textes collectifs dont Joann Sfar n’est pas signataire – soit que les rédacteurs de ces textes aient pensé inutile de lui proposer de s’y associer, c’est probable au vu de ses positions, soit que lui n’ait pas souhaité le faire. Sfar s’associe plus volontiers, et l’article de Blast comme certaines des remarques que je formulais dans mes billets précédents en donnent un aperçu, à l’ensemble de ceux qui s’emploient à disqualifier toute voix porteuse d’une critique résolue d’Israël.

Or cette attitude est loin de toujours entraîner, c’est un euphémisme, une mise à l’écart médiatique de ceux qui s’y livrent.

Soyons dès lors clairs, ceux qui font profession d'informer mais se refusent à dire les choses, ou à les dire jusqu'au bout, ne sont pas extérieurs à la situation : ils en sont des acteurs, et ces acteurs ont décidé que la vie des Palestiniens comptait moins que leurs petits calculs d'image. Ou que leur volonté de discréditer une formation politique – LFI – en l’affublant de tous les maux.

Quant à ceux qui désinforment franchement ou noient le poisson ou les deux, dont Joann Sfar, ils portent aussi une responsabilité, peut-être pas juridique (je ne suis pas juriste) mais à mes yeux bien réelle, dans la poursuite du massacre.

Le poids des mots

On me dira peut-être qu’une telle affirmation est exagérée. Ce serait à mon avis minorer le poids des mots. Chacun sait combien la propagande nazie a tué et combien la Radio-Télévision Libre des Mille Collines, « radio machette », a été un instrument de mort au Rwanda. On pourrait encore évoquer les propos des bonzes extrémistes de Birmanie contre les musulmans de ce pays et leurs conséquences funestes ou bien la fracture qui déchira autrefois en France dreyfusards et antidreyfusards autour de la condamnation d’un capitaine juif accusé à tort de trahison. On pourrait à vrai dire regarder sous toutes les latitudes et à tous les moments de l’histoire : les mots ont un poids. Joann Sfar ne l’ignore sans doute pas, sans quoi il ne passerait pas autant de temps à faire valoir ses points de vue.

Or il fait un choix, qui n’est pas celui de l’exactitude mais celui de ses préférences : l’article de Blast est éloquent à ce sujet malgré le choix de son rédacteur « d’écrire une lettre et non une encyclopédie » en se contentant de relever une partie seulement des « approximations, contre-vérités et mensonges » de l’auteur relatifs à « l’histoire, l’actualité et les répercussions en France du conflit opposant Israël – et avant lui le mouvement sioniste – aux Palestiniens ».

S’agissant des répercussions en France du conflit, le rédacteur de Blast n’est d’ailleurs pas le seul à remarquer que Sfar raconte facilement n’importe quoi, le journaliste Claude Askolovitch commentant son obsession anti-LFI : « à l’encontre de ce que dit [Sfar], et du ressenti de l’opinion, c’est dans les gauches, y compris LFI, que se trouve la plus grande résistance culturelle à l’antisémitisme... » 

Il suffit en effet de s’intéresser aux travaux de la chercheuse Nonna Mayer pour le savoir. Il y a malheureusement très souvent un écart entre ce que la recherche établit et ce que des intervenants au débat public aux compétences inconnues ou discutables – le genre Joann Sfar – affirment. C’est un grave problème, pointé en son temps par le sociologue Pierre Bourdieu : « les sciences sociales [n’ayant] guère accès au pouvoir médiatique », il est difficile de « faire entrer dans le débat public cette communauté de savants qui a des choses à dire » tandis que « des demi-savants pas très cultivés [...] s’approprient l’espace public » et constituent « un des plus grands obstacles à la connaissance du monde social [...]. Ils participent à la construction de fantasmes sociaux qui font écran entre une société et sa propre vérité. » Ainsi donc des salades sur l’évolution de l’antisémitisme en France (historiquement porté par la droite, il serait désormais quasiment l’apanage de la gauche) propagées notamment par des personnalités juives qu’insupporte la critique d’Israël par des personnalités ou organisations de gauche qui ont le souci des Palestiniens – de leur dignité et même, désormais, de leur survie.

Nombre de ces « demi-savants pas très cultivés » qui occupent tant l’espace de la discussion publique sont ainsi parfaitement à l’aise avec l’idée d’affirmer plutôt que démontrer. Pour s’assurer que c’est notamment le cas de Sfar, un exemple : il n’existe selon lui qu’une interprétation possible de l’usage de la formulation « from the river to the sea » et donc, écrivait-il sur Instagram le 12 mai 2024, « quand tu chantes ça, tu appelles à l’extermination de dix millions d’israéliens, comme le Hamas. »

Donc, Sfar affirme. Et ce que ne sait pas forcément celui qui le lit, c’est qu’il ne dit pas la vérité. Le lecteur ignorant peut donc s’indigner avec lui de voir des gens se réclamant du souci des Palestiniens utiliser une telle formule. Ce qui serait intéressant serait que ce lecteur compare la simple affirmation de Sfar avec le rappel historique opéré sur le même sujet par le collectif juif décolonial Tsedek !

https://tsedek.fr/2024/05/10/palestine-libre-de-la-mer-au-jourdain-lhistoire-dun-slogan-et-de-sa-criminalisation/

ou, par exemple, Libération

https://www.liberation.fr/checknews/quelle-est-lorigine-du-slogan-polemique-from-the-river-to-the-sea-utilise-par-les-soutiens-de-la-palestine-20231107_LEGKMTKLPBCWJBZ6YPUOJCMTAA/.

D’un côté donc, un individu qui dit ce qu’il a envie que les gens croient et peut-être ce qu’il a envie de croire lui-même, c’est-à-dire du bavardage. De l’autre, des mises au point précises. En somme, propos expéditif versus argumentaire construit. Il y a pourtant bien des chances que ce soient les propos de Sfar qui soient parvenus jusqu’aux oreilles de mon lecteur et non les précisions d’organisations ou de médias soucieux d’exactitude.

Tel est notre monde médiatique, qui préfère souvent donner l’occasion à Sfar ou à Horvilleur de nous dire combien les termes « apartheid » ou « génocide » appliqués à ce que vivent les Palestiniens leur déplaisent plutôt que d’offrir la possibilité aux juristes qui emploient ces termes de nous expliquer pourquoi ils le font, quitte à discuter leur argumentation. L’écart entre ce que serait une information digne de ce nom et cette promotion permanente du biais et de l’incompétence à laquelle on a le droit est un problème majeur.

Mais je veux en venir maintenant à l’objectif premier de ce texte, qui est la citation d’un post de Sfar sur Instagram que l’article de Blast – nul reproche – ne mentionne pas.

Quand Sfar relaie les accusations d'Israël contre l'agence onusienne qui porte assistance aux Palestiniens

Le voici, daté du 8 juin 2024 :

« Depuis le 7 Octobre la complicité de l'UNRWA est constante. Plus personne ne comprend la limite entre UNRWA et Hamas. L'aide et la médiation internationales devraient oeuvrer pour le bien être des populations palestiniennes et israeliennes. Je n'ai jamais ménagé mes critiques contre la faillite des leaderships israeliens et palestiniens depuis des années. Mais cette guerre atroce aura aussi mis en lumière la collusion inacceptable d'organismes internationaux avec le terrorisme. L'UNRWA ne peut prétendre ignorer à quoi servent ses infrastructures, pas plus que les agissements de beaucoup de ses salariés. La Palestine et Israel méritent que les organismes internationaux oeuvrent enfin dans l'intéret des populations. Cet organisme d'exception doit être remplacé par le UNHCR ou par un autre organisme qu'on rêve de pouvoir dissocier du Hamas!Et ses dirigeants doivent rendre des comptes. »

Le dessin qui accompagne ce texte est du même tonneau, comme j’encourage chacun à le vérifier :

https://www.instagram.com/joannsfar/p/C79uczoobCQ/ 

Sfar estime même qu’il faudra un procès des dirigeants de l’UNRWA.

L’UNRWA complice du Hamas donc.

Sauf que : il n’existe jusqu’à présent nulle preuve que les affirmations d’Israël quant à cette supposée collusion soient exactes. Il est même sérieusement permis d’en douter puisque Israël n’a fourni à l’appui de ces allégations aucune des preuves qu’il prétendait posséder.

L’UNRWA, de son côté, a répondu point par point aux accusations formulées à son encontre :

https://www.unrwa.org/unrwa-claims-versus-facts-2025 

S’agit-il pour moi de croire l’agence sur parole ? Non. Mais j’attends qu’Israël ou Joann Sfar fassent plus qu’affirmer ce qu’ils ont envie d’affirmer.

Donc, je résume : l’État d'Israël qui ne cache désormais plus sa volonté de faire place nette à Gaza et qui avait pour cela besoin que l’agence des Nations unies présente dans la bande s’en aille s’en était pris à cette agence à coups d’accusations sans preuve et le 28 octobre 2024, Israël a interdit à l’UNRWA d’opérer sur le territoire israélien comme dans les territoires palestiniens occupés (un témoin en moins de ce qu’il s’y passe). Ses accusations non étayées ont porté préjudice à la réputation de l’agence et entraîné une diminution de ses financements. Or la présence de l’UNRWA, de plus en plus empêchée de travailler, est rien moins que ce qui permet à des Palestiniens de rester en vie.

DE RESTER EN VIE, il faudrait le dire plus qu’en majuscules, face à un État – Israël – qui les affame.

Et comment s’est positionné Joann Sfar dans ce contexte ? En relais d’Israël. Il n’est pas le seul mais qu’il soit bien clair que cela n’atténue en rien la gravité qu’il y a à faire preuve d’une telle légèreté s’agissant de la vie des autres.

La situation est celle-ci :

  1. Un homme dont la survie n’est pas menacée relaie d’une voix irresponsable une attaque contre un organisme prodiguant une aide humanitaire vitale à une population bombardée et affamée.
  2. Il ne fournit aucune preuve du bien-fondé de cette attaque, sans doute parce qu’il n’en possède aucune.
  3. La source de cette attaque est l’État qui bombarde et affame ladite population.
  4. Un magazine lié à un quotidien dit « de référence » – Le Monde – écrit que l’homme a le « souci sans équivoque » de la population bombardée et affamée.

J’espère qu’ici tout commentaire est superflu.

Le refus d'une critique résolue d'Israël comme priorité absolue

Pour être cependant tout à fait juste, une précision : je n'ai pas le sentiment que Sfar veuille la mort des Palestiniens. Je pense plutôt que ses propos s'expliquent par une lourde difficulté personnelle à admettre la critique d'Israël – du moins à l'admettre à sa juste hauteur. S'ajoute à cela le narcissisme : celui d'un homme qui non content de faire preuve de déséquilibre dans ses commentaires d’une actualité tragique voudrait encore qu'on voit en lui une figure d'équilibre prise entre les extrémistes de deux camps.

Que Sfar se passionne pour lui-même est certes de peu d’intérêt. La vraie question est ailleurs : quand est-ce que tous ceux qui lui permettent de tordre les faits en période de massacre estimeront que la vie d'un Palestinien importe assez pour que la mascarade cesse?

On ne saurait certes être exagérément optimiste en un temps où, largement, dans nos gros médias, demander le respect du droit international c'est faire l'éloge du terrorisme, où refuser l'islamophobie c'est être antisémite et où soutenir un massacre c'est lutter contre la barbarie : quand tout est inversé, quand rien n’a de sens, on ne peut s’étonner qu’un écho particulier soit donné à des voix qui en matière d'humanité et de réflexion se contentent de théâtre. Rappelons au passage, puisque Sfar est ici et là promu penseur et sage, qu’un intellectuel – ou si l’on aime mieux quelqu'un de véritablement capable de réflexion – ce n'est pas un individu qui s'emploie à justifier ses positions de départ, ses préjugés, ses préférences ou ses blocages par une argumentation plus ou moins bancale, plus ou moins frelatée. C'est quelqu'un qui sait s'interroger, se mettre en question, changer d'avis et apprendre. Pour cela, il faut bien sûr ne pas être obnubilé par son nombril et ne pas se mettre dans tous ses états dès lors que s’exprime un autre point de vue que le sien. Il y a autrement dit bien peu d’indices laissant envisager la possibilité que ce bavard puisse un jour devenir ce penseur ou ce sage que certains – qui ne doivent pas être bien vertébrés intellectuellement – voient en lui.

Cette façon de tout faire passer après soi qui est la sienne – jusqu’à ne pas être capable de réviser ses vues pour que les Palestiniens aient une meilleure chance de s’en sortir – est dans le contexte ici évoqué rien moins qu’inqualifiable. Joann Sfar est-il cependant le seul d’entre nous à faire preuve d’inhumanité ? Certes pas. Notre humanité – à nous, ressortissants d’un pays privilégié – demeure largement une vaste blague : il y a deux semaines, on apprenait que le Programme alimentaire mondial confronté à des difficultés de financement devrait en ce mois de mai interrompre l’aide délivrée en Éthiopie à 650 000 femmes et enfants souffrant de malnutrition, le lendemain on n'en parlait plus et depuis cela ne mobilise personne. Comme si ces gens n'étaient rien. Pour la plupart, ils mourront, parce que personne ne verra ici de possibilité de transfigurer une colère personnelle en colère politique et donc de moteur à sa solidarité. Chacun poursuivra sa petite vie en laissant cette montagne de sacrifiés (au-delà des 650 000 Éthiopiens ce sont 3,6 millions de personnes qui vont perdre selon toute vraisemblance l’accès à une aide alimentaire et nutritionnelle vitale) derrière lui.

Tout le monde n’aura pas eu l’information, me dira-t-on. Je sais bien qu’une journée chargée peut ne pas laisser le temps de s’informer. Mais il ne faut pas non plus nous voiler la face : souvent, l’on ignore des choses cruciales parce que notre indifférence vis-à-vis de ce qui ne nous concerne pas ne nous pousse pas à chercher.

Reste qu'à cette inhumanité habituelle, qui ne s'excuse pas aussi facilement que notre auto-complaisance pourrait le souhaiter, s'ajoute chez certains une inhumanité active et que celle-ci s'accompagne souvent d'un besoin de se parer de vertu. Le mot nausée n'est alors même plus suffisant face au spectacle de ces gens et du monde médiatique qui leur tend les bras.

Frédéric Debomy

Sources ne figurant pas dans le corps du texte

Sur les affirmations de Delphine Horvilleur :

https://www.amnesty.fr/chronique/apres-le-7-octobre-le-deferlement-de-fake-news-contre-les-ong

https://www.liberation.fr/checknews/que-sait-on-de-cette-video-dun-homme-brulant-vif-apres-une-frappe-israelienne-sur-lhopital-al-aqsa-de-deir-al-balah-20241014_HJKA4W3XKJHCJHNHBEVU47DGYY/

La tribune "Citoyens israéliens, nous appelons à une pression internationale pour qu’Israël cesse le massacre" :

https://www.liberation.fr/idees-et-debats/citoyens-israeliens-nous-appelons-a-une-pression-internationale-pour-quisrael-cesse-le-massacre-20241018_A5BW2UKEJBETPMQ5IU74JWKSTU/

Le commentaire de Claude Askolovitch :

 https://www.instagram.com/claude_askolovitch_public/p/DFQm-gusBVX/

La présentation de Nonna Mayer sur le site de la CNCDH (en consulter les rapports) :

https://www.cncdh.fr/presentation/organisation/membres/nonna-mayer 

L'article du magazine du Monde sur Sfar et son "souci sans équivoque du sort des Palestiniens" :

https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/04/19/joann-sfar-la-fin-de-l-insouciance_6597602_4500055.html

Mes précédents billets où il est question de Sfar, d'Israël et de la Palestine

https://blogs.mediapart.fr/frederic-debomy/blog/110524/le-ni-ni-pretention-humaniste-de-joann-sfar-commentaire-dun-dessin

https://blogs.mediapart.fr/frederic-debomy/blog/300424/entretenir-des-polemiques-plutot-que-mettre-la-pression-sur-netanyahou

https://blogs.mediapart.fr/frederic-debomy/blog/281024/sacheter-une-fausse-vertu-sur-le-dos-des-morts

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.