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Billet de blog 11 mai 2024

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Le ni-ni à prétention humaniste de Joann Sfar, commentaire d'un dessin

Certains discours à prétention humaniste masquent mal leur inconséquence.

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Ne pas rappeler la nature asymétrique du conflit israélo-palestinien, ne pas contextualiser.

"Nous ne voulons pas être la génération qui n'a rien fait pour que cessent ces carnages", écrit, aujourd'hui, l'ultra-bavard Joann Sfar sur Instagram, avant d'enchaîner par l'affirmation que de toute façon il n'y a rien que l'on puisse faire :

"Personne en Europe n'a d'influence sur les belligérants."

"Répétons, comme des robots : ARRÊT DES MASSACRES, RETOUR DES OTAGES. Ça ne sert à rien."

Il est pourtant clair que c'est aujourd'hui à l'État d'Israël, et à personne d'autre, qu'il faut s'adresser pour demander l'arrêt des massacres. Les Nations unies n'ont pas de mal à le faire, les organisations de défense des droits humains non plus (voir https://blogs.mediapart.fr/frederic-debomy/blog/090524/israel-palestine-ce-que-disent-les-ong-de-defense-des-droits-humains).

Peut-être Joann Sfar ne souhaite-t-il pas porter une parole aussi claire et forte que les spécialistes du droit international. Auquel cas, pourrait-il s'abstenir de noyer le poisson de l'urgence sous un bavardage aux prétentions humanistes ? Mais non : cela, certainement, est au-dessus de ses forces. Car il faut toujours que Joann Sfar, qui semble penser que chacun de ses propos est un oracle et chaque crobard issu de sa main un trait de génie, s'exprime. Qu'il nous explique, lorsque des attentats ont lieu, ce qu'il faut que l'on ressente et que l'on pense. Ses contributions à notre intelligence collective ne sont pourtant pas nécessairement aussi brillantes qu'il semble le croire : "Les slogans appelant à la destruction d'un camp ou de l'autre ne sont PAS des messages de paix", précise-t-il aujourd'hui. Woaaa : quelle clairvoyance, et quelle hauteur morale. Au fait, de quels appels à la destruction d'un camp ou de l'autre parle-t-il ? Il serait intéressant qu'il le précise, que l'on sache s'il fait allusion à des choses avérées ou se contente de "philosopher" en l'air.

La posture humaniste a ses avantages : elle permet de ne pas aller au fond des choses. Par exemple de souligner ceci : que s'agissant d'un conflit asymétrique, Israël a davantage la main que le Hamas (dont il ne s'agit pas de minorer pour autant les responsabilités) pour que ce conflit soit résolu.

Quant à mettre sur le même plan l'arrêt des massacres et le retour des otages, c'est irrecevable : Sfar considèrerait-il justifié que le Hamas multiplie les 7 octobre jusqu'à ce que les Palestiniens injustement détenus par Israël soient libérés ? Car l'on pouvait lire dans un rapport de l'ONU de juin 2023 la chose suivante : "Les Palestiniens sont souvent présumés coupables sans preuve, arrêtés sans mandat, détenus sans inculpation ni procès et brutalisés dans les prisons israéliennes". Je ne crois pas que cela puisse justifier les attaques du 7 octobre 2023. De la même façon, la détention de 128 otages israéliens par le Hamas ne saurait justifier de tuer des dizaines de milliers de personnes dont un nombre ahurissant d'enfants. On peut, en outre, se demander combien Netanyahou et ceux qui l'entourent se préoccupent du sort desdits otages : partant de là, est-ce si compliqué d'aller au-delà du "ni-ni" à prétention humaniste pour encourager chacun à se mobiliser contre un État qui bombarde des civils et organise une famine (voir de nouveau https://blogs.mediapart.fr/frederic-debomy/blog/090524/israel-palestine-ce-que-disent-les-ong-de-defense-des-droits-humains)?

Sfar écrit que "FAIRE PARLER LES VOIX DE LA PAIX" lui "semble être notre seul infime pouvoir." Là encore, c'est lénifiant et sans précision : de quelles "voix de la paix" parle-t-il ? Tant qu'à faire, autant les nommer. Mais non : on reste dans le flou "humaniste". C'est à peu près aussi utile que de dire qu'il vaut mieux être gentil que méchant envers son prochain : qui pourrait être contre des "voix de la paix", surtout si elles ne sont pas nommées et dès lors au-delà de la critique ? S'agissant de voix de la paix, le dessinateur s'est associé aux initiatives d'organisations qui ne me semblent pas mériter ce qualificatif : l'UEJF et Nous vivrons. Voir à ce propos https://blogs.mediapart.fr/frederic-debomy/blog/040524/quand-luejf-entend-dialoguer-deux-comprehensions-du-plus-jamais-ca

Personnellement, je croirais à sa posture d'équilibre le jour où, au lieu de traquer l'antisémitisme supposé d'étudiants opposés au massacre en cours https://blogs.mediapart.fr/frederic-debomy/blog/300424/entretenir-des-polemiques-plutot-que-mettre-la-pression-sur-netanyahou mais aussi https://blogs.mediapart.fr/philippe-marliere/blog/100524/propos-des-soutiens-etudiants-aux-palestiniens je l'entendrais se préoccuper non pas seulement d'antisémitisme (ce qui est parfaitement légitime et nécessaire) mais aussi condamner par exemple les réductions racistes visant la militante franco-palestinienne Rima Hassan soupçonnée ou accusée, malgré des propos qui ne le permettent pas, d'être pro-Hamas et d'entretenir la haine des juifs (Hassan = Palestinienne = pro-Hamas et antisémite).

Le souci de toutes les victimes d'un conflit est une exigence, non le prétexte à un "humanisme" qui noie dans un nuage de bons sentiments l'asymétrie des responsabilités et la gravité particulière des actes commis par l'une des parties au conflit. Cet "humanisme" ne doit pas non plus contribuer à ne pas faire entendre les voix les plus résolues contre un massacre au profit d'introuvables "voix de la paix" aux caractéristiques non précisées. Il ne doit pas enfin contribuer à passer sous silence la criminalisation de ces voix.

Si l'on ne veut "pas être la génération qui n'a rien fait pour que cessent ces carnages", on se doit d'être conséquent.

Frédéric Debomy

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