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Femmes en situation de handicap, elles font preuve toute deux d'une vraie personnalité et d'une force forgée dans les épreuves de toute une vie. Une vie de travail choisie où elles ont rencontré si souvent le harcèlement sexiste, les violences sexuelles qu'elles disent sans détour. Cindy et Sabrina apportent leur témoignage sur la banalité des agressions vécues par les femmes mais aussi le travail de reconstruction et de reconversion qui les portent vers d'autres horizons plus prometteurs et satisfaisants. Par leurs témoignages, elles vous souhaitent une belle année de luttes et d'attention aux autres, avec de possibles espoirs d'une vie meilleure. (L'entretien enregistré a été réalisé le 4 décembre 2024).
Leurs situations personnelles et professionnelles
Cindy : Je fais partie du « comité précaires et privés d'emploi » CGT du Puy-de-dôme et milite également à Cournon. Je ne travaille plus depuis deux ans, en situation de handicap atteinte d'une maladie dégénérative depuis plus de vingt ans qui n'ira pas en s'améliorant. Je sais que je finirai en fauteuil roulant. Depuis deux ans, beaucoup de dégâts. J'étais serveuse en restaurant gastronomique chez les plus grands chefs, Bernard Loiseau, Ducasse. Puis j'ai dû travailler en auberge pour prendre des bars à moi en Vendée enfin à Billom.
Sabrina : je fais partie du « comité des précaires et privés d'emploi » de la CGT, actuellement en reconversion professionnelle, également en situation de handicap de naissance qui affecte les muscles de la jambe et un œil. Quand je suis extrêmement fatiguée, je n'arrive pas à gérer ma démarche et comme je suis tout le temps déséquilibrée quand je marche, ça me procure des douleurs dans le dos et neuropathiques qui peuvent être brutales et intenses avec d'autres pathologies qui se sont greffées au fil de années. Pendant dix ans, j'ai travaillé comme ouvrier paysagiste par tous les temps et avec une charge physique conséquente. Ma reconversion vise à devenir conseillère en insertion professionnelle pour aider des personnes en situation de handicap, des personnes incarcérées ou sortants de prison, des réfugiés, les aider pour obtenir une situation professionnelle stable. Ce travail s'exerce au sein de France Travail et Cap emploi (France travail pour les handicapés) mais aussi dans les chantiers d'insertion, dans les associations pour les femmes, dans les maisons de quartier... Je pensais passer mon diplôme en mai 25 mais c'est reporté pour ne pas pouvoir faire mon stage : refusé. C'est très compliqué quand on a un handicap de se faire comprendre déjà, de se faire écouter...
La situation de handicap c'est handicapant pour l'emploi
Sabrina : Par expérience, il existe deux sortes de handicaps : celui qui se voit et celui qui ne se voit pas, celui-là invisible qui trompe son monde facilement. Le mien est invisible quand je ne suis pas fatiguée... Quand vous dites à des personnes ou des employeurs que vous êtes en situation de handicap, ils vous répondent systématiquement : « T'as pas l'air malade tu peux travailler comme tout le monde », sauf que c'est faux, je ne le peux pas. La plupart des gens quand je leur dit que j'ai mal réagissent en disant « Ouais, mais c'est bon t'es encore jeune ! ». Je suis encore jeune n'empêche qu'il y a déjà l'usure qui s'est mise sur des troubles. Jeune par l'âge mais le corps dit autre chose. La compréhension est donc difficile, et souvent nous sommes stigmatisées et isolées. Tant qu'on n'a pas un fauteuil roulant ou une canne blanche on n'est pas handicapée.
La deuxième chose à propos du handicap souvent, au niveau des employeurs, c'est la méconnaissance et les a priori : les employeurs, pas tout le monde mais pas loin : « Ah vous êtes handicapée... vous allez être en arrêt de travail souvent alors... il va falloir aménager un poste... » Je réponds « Oui c'est la loi monsieur ! ». Les employeurs préfèrent bien souvent payer l'amende forfaitaire à l'Agefiph [Association chargée de soutenir le développement de l'emploi des personnes handicapées.], plutôt qu'embaucher les 6% de personnes handicapées qu'ils sont normalement obligés d'employer. Nous handicapés, sommes bénéficiaires de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, mais la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé que délivre la MDPH [maison départementale des personnes handicapées] est un joli papier que contourne la plupart des employeurs pour ne pas recruter de travailleur handicapé. J'ai aussi connu des employeurs qui ont embauché des personnes en situation de handicap parce que ça les glorifie du point de vue de l'entreprise mais qui après, ne font aucun effort d'aménagement du poste. Dans la dernière entreprise où j'ai travaillée en CDI, pour cette raison, on a fini aux prud'hommes.
Cacher sa situation de handicap ?
Cindy : J'ai souvent caché que j'étais RQTH [reconnu en qualité de travailleuse handicapée], autrement on m'aurait pas embauchée dans le métier que je faisais. En tant que serveuse, les handicapé·es, on les prend pas. Ce n'est pas obligatoire de le dire donc je ne le disais pas. Face à un employeur, tu peux lui dire que tu es RQTH ou pas et pas de lui dire quelle maladie tu as même s'il essaie parfois de le savoir : dire simplement les contre-indications. Pour moi, c'est à titre d'exemple, la station debout pénible.
Sabrina : La plupart du temps quand tu essaies de faire respecter tes droits, tu passes pour une grosse fouteuse de merde, quelqu'un qui fait des vagues, qui fait du bordel quoi, alors que tu essaies de te protéger, de protéger ton employeur, éviter les accidents de travail, mais tu passes pour quelqu'un qui fout la merde.
Cindy : Serveuse, je taisais ma reconnaissance RQTH, mon handicap. Le problème s'est posé après pour mon dernier contrat de travail : en deux ans, j'ai été opérée six fois donc compliqué pour gérer les périodes d'absences. Six fois avec en général un mois et demi d'arrêt donc quasiment un an d'arrêt sur deux ans de contrat. J'ai rien dit mais j' ai fini par démissionner parce qu'elle m'a fait craquer parce que les employeurs sont forts pour le faire surtout dans mon corps de métier. Ils s'en fichent surtout qu'ils savent qu'ils auront quelqu'un derrière !
Q : Et maintenant militante syndicale Comment y être-vous venu ?
Cindy : J'étais sympathisante au départ, j'ai commencé il y a six ans à être sympathisante. En fait dans l'hôtellerie, on ne se syndique pas, c'est toujours vu d'un très mauvais œil. Bon j'allais souvent à l'UL je faisais des choses avec eux, sans avoir ma carte. Quand j'ai arrêté de travailler, je me suis dit « Allez prends ta carte ». Par la suite, j'ai appris que le Comité précaire existait donc en juin j'ai contacté le Comité National que j'ai rejoint. J'ai fait ma formation en septembre sur l'Organisation des privés d'emploi et voilà ! J'en suis là aujourd'hui on anime le Comité.
Avant j'étais plutôt penchée politique, la politique m'a plutôt déçue et à l'époque j'avais mon compagnon qui était à la CGT depuis vingt ans et on en parlait beaucoup. C'était la fin de Mitterrand, début de Chirac, et voilà. Et du coup en parlant avec les copains de la CGT, je me suis dit quand-même tu peux apporter quelque chose. J'ai toujours été sur le versant revendicatif, mais ce n'est pas familial, mes parents étaient plutôt Front National... Donc le parfait opposé de moi. Toute jeune, j'étais une révoltée, toujours à vouloir défendre les autres, à aller toujours plus loin, revendiquer, j'ai fait des manifs pour les contrats...
Sabrina : Moi j'ai toujours été une chieuse, enfin une rebelle je veux dire, comme Cindy je viens d'une famille très très raciste. D'abord j'ai été élevée par ma grand-mère parce que ma mère n'était pas là disons et ma grand-mère était très vieille France et puis surtout très très raciste et très maltraitante. Dès mon adolescence, je suis rentrée en conflit ouvert avec elle parce que j'ai choisi une filière masculine : les espaces verts, le monde agricole. Du coup c'est là que j'ai commencé à me rebeller. Nous les femmes, on peut faire la même chose que les hommes, oui, je ne vois pas pourquoi on devrait rester à faire la popote et les gosses... Plus tard en travaillant dans ce milieu masculin je me suis aperçue que certains hommes étaient vraiment des gros cons parfois et là j'ai commencé à devenir de plus en plus rebelle contre ce système qui nous emprisonne dans un carcan qui n'a plus d'âge. Voilà j'ai eu beaucoup de problèmes dans les espaces : les mecs étaient là à faire des avances, à mettre les mains là où je ne voulais pas voilà ! Et bon par rapport au syndicat après c'est venu en 2020 exactement quand j'ai mis mon entreprise aux prud'hommes, une entreprise de services à la personne, des vrais connards aussi et là je me suis aperçue que le droit au travail me plaisait beaucoup. C'est là que j'ai pensé à me syndiquer, je voulais le syndicat le plus revendicatif car je ne suis pas quelqu'un de tiède, il faut que ça bouge un petit peu, donc je me suis dit je vais choisir la CGT parce que là c'est vraiment des actions, des choses qui se mettent en place, mais des fois c'est un petit peu long. Globalement c'est des valeurs auxquelles je croient.
Q : Les hommes cons, c'est quoi ?
C'est des hommes qui te tripotent sans ton consentement : la poitrine, les fesses, des hommes qui te font des réflexions parce qu'on voit trop ta poitrine, si bien que quand j'étais en espaces verts je prenais des tee-shirts qui étaient trois fois trop grands pour moi pour cacher mes formes, j'allais jusqu'à écraser ma poitrine pour pas qu'on la voit ; le pantalon bleu moulait mes fesses, toujours ils étaient en train de zieuter, donc des regards...
Q : Au-delà des violences sexistes, tu parles de violences sexuelles ...
Sabrina : C'est du harcèlement même quand t'as un mec qui te dit : « Attends je vois ton cul, je voudrais bien y mettre ma main ». J'ai répondu « Si tu mets la main t'auras plus de doigts ». Et sinon des trucs du genre : « De toute façon si tu as choisi les espaces verts c'est pour te trouver un mâle ». Ou alors, « T'es même pas foutue de porter 40 kilos ». Ah si je suis foutue de porter 40 kilos mais je réfléchi avec ma tête pas avec mes biceps. Plein de trucs comme ça. Quand j'avais le malheur de me plaindre au chef de service de tous ces agissements, il me disait c'est un milieu d'hommes, qu'il fallait que je m'adapte. C'était moi la pimbêche, la fouteuse de merde.
Cindy : C'est juste la réalité des femmes au travail. Dans tous les corps de métier, encore plus dans les milieux d'hommes, mais dans tous les corps de métier c'est exactement ça. Si on est un petit peu jolie, un petit bien fichue, c'est sans arrêt ce genre de réflexion, on a droit tout le temps : « Ah dit donc, elle est bonne celle-là ». Je l'ai entendu un nombre de fois incalculable. C'est inadmissible. « J'y mettrais bien une cartouche » C'est ça ! On a ce genre de réflexion en tant que femme, c'est très compliqué parce qu'on est là pour faire notre travail. Quand on rentre le soir et qu'on en a pris plein les dents comme ça, on en a marre vraiment... Et c'est répétitif tout le temps ! Tout le temps ! Je n'ai pas fait que du service parce que mon grand-père était viticulteur, alors j'allais dans les vignes avec lui toute mon adolescence et les gars ils te regardaient quand tu tirais les serments de vignes : « Ah elle a beau cul celle-là ». C'est inadmissible.
Q : Les choses ont-elles évolué depuis Metoo ?
Sabrina : Un peu évolué mais pas assez vite et dans un sens pas beaucoup évolué. Tu dis aux mecs :« Arrêter les gars vous saouler c'est trop lourd ». Ils te disent : « T'as pas d'humour ou t'es mal baisée » Je l'ai entendu !
Cindy : Au sein du syndicat là dessus c'est bien parce c'est quelque chose qu'on n'a pas, heureusement ! Mais y'a toujours les même propos dans la rue : « Oh regarde là celle-là, elle a un beau cul » ; Quand vous avez un petit décolleté, ils regardent vos seins au lieu de regarder en haut. Nous on regarde pas votre cul ni votre bite, on ne fait pas ce genre de choses ; et si on le fait, c'est avec discrétion, pas avec la langue par terre. Le milieu de travail pour les femmes c'est compliqué. Dans un milieu d'hommes ou pas forcément un milieu d'hommes, cela revient au même. Le mythe de la serveuse... La serveuse c'est en général une fille facile. Moi, j'ai jamais été une fille facile, fallait même plutôt s'accrocher. Des avances, j'en avaient tous les jours, à un moment donné ça suffit quoi enfin ! Même quand mon compagnon de l'époque venait au bar, ils continuaient quand même. Sachant que c'était mon compagnon c'est énorme. Il y a un tel manque de respect c'est indécent, ils en ont rien à faire.
Sabrina : En plus des problèmes que j'avais avec ces messieurs qui ne savaient pas tenir leurs pulsions où elles étaient, j'avais un problème par rapport à mon handicap. Il m'autorisait à avoir un poste un peu aménagé et ça créait des jalousies : j'étais privilégiée. Une fois à l'un d'entre eux je lui ai dit : « Si je suis privilégiée, je t'en prie, je te donne mon handicap et tu me donne ton corps, enfin ta force et ta jambe normale et tout et après on verra si c'est moi qui suit privilégiée. ». J'avais parfois aussi des surnoms : « patte d'acacia », « bancale du cul », parfois pire : « déchet de la nature... rejet de fausse-couche... résidu de capote... »
Donc femme et handicapée au fur et à mesure du temps, j'ai commencé à me fissurer intérieurement, à me sentir de plus en plus mal dans ma tête. Je suis solide mais à un moment donné je ne pouvais plus encaisser ce genre de choses. Je n'y arrivais plus et moi quand je ne suis pas bien je réponds par de la colère, une vraie, de la colère quoi... Du coup, ça c'est retourné contre moi, parce que chaque fois c'était des fins de contrats, des trucs alors que j'essayais simplement de me protéger de me défendre. Déjà j'ai eu une enfance pas facile du tout, mais vraiment avec harcèlement à l'école. Maintenant je suis devenue vraiment très dure et beaucoup de gens me reprochent d'être dure, raide... Ces gens là ne connaissent strictement rien à ma vie, ne connaissent strictement rien à ce que j'ai vécu et à mes épreuves. Je suis raide, oui je suis raide, c'est un bouclier, tu n'entres pas...
Q : Et au syndicat ?
Sabrina : Je le dis haut et fort : depuis que je suis au sein du Comité des précaires et privés d'emploi, mon état dépressif si je puis dire s'est beaucoup amélioré ; parce que j'ai trouvé là des gens avec lesquels je peux être moi-même sans être obligée de me museler, de faire semblant d'être… parce que souvent les employeurs me reprochent d'être trop grande gueule, de toujours trop dire ce que je pense ; ça personne ne me changera. Ici je peux dire ce que je pense, je peux être moi même, c'est une chose que je ne peux pas faire avec un employeur. La plupart du temps quand je marche, toujours je prends sur moi, pour essayer de marcher bien droit, sans que ma jambe parte de travers. A la CGT, je relâche un peu, je marche avec ma démarche naturelle qui n'est pas naturelle, je n'ai pas besoin de me surveiller ; parce que je sais qu'il n'y en aura pas un qui va me dire que j'ai une démarche d'alcoolo... Ailleurs, quand ils me connaissent pas, ils croient que c'est parce que je suis bourrée du matin au soir que je marche en tanguant comme ça, comme un ours, sauf que non, je marche comme ça parce que ma jambe il y a des moments où je ne peux plus la commander. « … démarche d'alcoolo,...patte d'acacia » tous ces trucs là, à force, c'est insupportable.
Quand j'ai eu ces problèmes au travail, j'ai essayé de changer de stratégie c'est à dire masquer au maximum ma pathologie et mon handicap ce qui incluait de porter des charges bien trop lourdes, de me faire mal, de me blesser. C'étaient des journées, aux nerfs, à la volonté, au mental, toute la journée marcher bien droit, toute la journée soulever des charges même si ça me faisait un mal de chien. Toute la journée faire comme si j'avais pas mal, toute la journée, Sourire aux murs alors que j'avais envie de hurler. Aujourd'hui j'en viens à être dégoûtée de l'emploi. Je le dis franchement : aujourd'hui je suis dégoûtée de l'emploi, je déteste les employeurs.
Cindy : Cette stratégie, c'est essayer de rentrer dans la normalité quand on a un handicap, mais le matin quand on met une heure et demie à se lever de son lit parce que les douleurs sont là, parce qu'on sait que la journée sera dure mais qu'il faut rien montrer parce que dès qu'on montre la moindre faiblesse de toute façon les gens appuient dessus, c'est bien compliqué et effectivement la dépression, je pense que c'est une fatalité. Depuis deux ans et demi, je suis suivie pour dépression aussi, parce qu'on m'a écœuré complètement de mon métier alors que j'étais si amoureuse de mon métier vraiment. J'étais en arrêt régulièrement, dès que je revenais, j'en prenais plein la tête : « de toute façon, toi t'es bonne à rien, regardes moi ça t'es tout le temps en arrêt ! » Alors que non en fait, et c'est très compliqué... Alors le matin, on se lève et on n'a plus envie de y aller, puis on y va en pleurant, puis on n'y va plus du tout.
Sabrina : Moi pareil ! J'ai fait deux burn out, un en 2014 et un en 2021. Un matin, j'ai essayé de me lever et le cerveau a fait NON et de longs arrêts maladie ont suivi.
Aujourd'hui je me bats pour les différences ; on est tous différents et on a tous notre place et je n'arrêterais jamais de me battre pour qu'on le reconnaisse. Mon petit-fils est autiste, il est juste un peu différent mais c'est un super gamin. Il faut arrêter de pointer du doigt les gens parce qu'ils sont grands, maigres, gros, petits, ils ne marchent pas bien, ils ont un œil en moins, ils ont... On est tous égaux, différents et égaux.
Q : Que vous apporte votre activité syndicale ?
Cindy : Pour moi, elle est salvatrice vraiment parce qu'apporter aux gens, apporter mon aide aux précaires privés d'emploi ça m'aide aussi à moins gérer mon état personnel.
Q : Que fais-tu plus précisément ?
Cindy : On accompagne les privés d'emploi à France Travail. On les accompagne dans leurs démarches, une aide précieuse. On fait aussi des diffusions, on est beaucoup investi avec le multi-pro. J'ai fait les campagnes de TPE ; quand ils organisent les concours de pétanque, les formations, je vais leur filer un coup de main, Le fait de s'investir tout le temps m'aide à aller un peu mieux et à m'occuper et ils veulent plus que je travaille donc ! J'ai toujours travaillé, et quand ils m'ont dit « Là c'est fini ! », je travaillais 18 heures par jour. Ils m'ont dit c'est fini, A partir de là, j'ai vraiment sombré.
Avec le syndicat, le fait d'être en plus au niveau du Comité, on peut parler, on a les mêmes problématiques, on s'entraide, on travaille sur les revendications, enfin c'est pas un emploi mais c'est un vrai travail ! Moi, je suis occupée quasiment tous les jours de la semaine. Tous les jours de la semaine, j'ai des choses à faire au niveau syndical ou de mon association et ce travail m'apporte un vrai effet bénéfique sur le psychique en tout cas, et puis quand on arrive à aboutir sur un dossier qui tient la route, qui aide les gens c'est tout bénef quoi ! Moi, c'est ça que j'adore c'est vraiment pouvoir aider les gens.
Q : Tu es déjà en reconversion ?
Oui. C'est pas salarié, mais moi ça me va et c'est une reconversion : c'est pas un emploi mais c'est un travail.
Q : Et tu acquiers des compétences nouvelles ?
On est très bien formé à la CGT. On a quand même cet avantage avec de beaux modules de formation. Je vais d'ailleurs faire la formation de formatrice pour devenir formatrice au sein de la CGT. Je pense que je vais m'orienter sur l'organisation des privés d'emploi parce que c'est mon truc, puis m'impliquer dans la CGT en formations, dans les UL par exemple en commençant par accompagner les formateurs puis après ils nous passent la main.
Sabrina : Moi je suis rentrée récemment dans la commission handicap c'est une commission du Comité des précaires et privés d'emploi. Dans cette commission, on met en place des choses pour pousser les personnes en situation de handicap à se syndiquer, à leur faire comprendre qu'eux aussi, ils ont des droits comme chacun de nous, essayer de les accompagner au maximum quand ils ont des problèmes, ce qui arrive fréquemment. Pour le moment dans cette commission, on prépare un tract qui explique la situation d'une majorité de travailleurs en situation de handicap donc la précarité... et pour inciter ces personnes à nous rejoindre dans la lutte.
J'ai mis en place avec d'autres camarades de la commission handicap, une permanence téléphonique au bénéfice des personnes précaires privées d'emploi et en situation de handicap ; une espèce de permanence d'écoute. Pour accompagner une personne au mieux, il faut connaître ses problématiques, c'est pas juste connaître son environnement, connaître ce qui fait que la personne a eut tel ou tel problème. Une permanence d'écoute, des gens m'appellent ou appellent mon camarade qui habite dans le Jura et là ils expliquent leur problématique. J'aimerais la mettre en place ici à Clermont, cette permanence téléphonique y compris dans le cadre de l'union locale. Ces personnes appellent pour expliquer leur litige avec l'employeur ou encore pour savoir comment bien faire leur dossier MDPH et toucher l'AAH.
Cindy : On fait des permanences dans toutes les UL. Un jour par mois on est dans chaque UL du département, Riom, Clermont, Cournon, Issoire et on va ouvrir bientôt Gerzat et Thiers. On se déplace toutes les deux sur les permanences. Quand personne ne vient à la permanence, on peut mettre en place des actions, discuter des projets sur l'année prochaine,
Sabrina : Je veux développer l'antenne téléphonique mais aussi diversifier le contact avec un face à face bien utile pour les malentendants qui ont bien du mal au téléphone. Je voudrais mettre en place aussi des diffusions de tracts au sein des chantiers ateliers d'insertion parce que, pour avoir travailler dans les chantiers d'insertion, ce sont des personnes extrêmement vulnérables, en situation irrégulière, qui viennent d'arriver, qui ont fui leur pays suite à des conflits, qui ont eu des parcours de vie pas simples, des personnes qui ne savent pas lire ou écrire en français. Elles sont en général dans une grande précarité. En principe, les patrons les aiment bien parce que vulnérables (étrangers, parlant mal ou peu le français) pour leur faire faire des boulots que je qualifierais d'indigne.
Q : Finalement, vous découvrez une précarité qui rejoint la vôtre ?
Faut être blindé, faut encaisser. J'ai eu l'occasion de rencontrer une maman vraiment dans une grande précarité avec ses trois enfants. Elle m'a touchée. Effectivement, après nous on relativise sur notre condition malgré le handicap, malgré qu'on travaille pas et que l'AAH c'est pas grand chose. On découvre des situations bien pires que les nôtres.
Cindy : Quand on reçoit des personnes en permanence ou en rendez-vous, on traite le dossier, on prend les informations et derrière il y a un vrai travail, tous les petits textes, les petites aides qu'on peut leur fournir, c'est un travail monumental enfin. Et puis investies comme nous le sommes, on ne veut rien lâcher, on lâche rien. On nous dit souvent qu'on est la hyène et le lycaon. Oui, on lâche rien parce qu'on a pris des engagements, ces gens sont venus nous voir parce qu'ils étaient souvent désespérés, parce qu'en plus les services sociaux sont tellement débordés qu'ils ne savent plus vers qui se tourner.
Sabrina : Une petite précision : je ne pousse pas les gens à se syndiquer, simplement je veux que ces personnes, surtout les plus démunies et les plus vulnérables, comprennent qu'ils ne sont pas des chiens mais qu'ils ont des droits et pas seulement des devoirs comme veut nous faire croire France Travail actuellement. J'ai eu récemment une personne au téléphone, qui me dit : « J'ai la RQTH. Je voudrais un accompagnement à « CAP emploi » et ma conseillère « France Travail » elle ne veut pas ! ». Je lui dis : « Comment ça elle veut pas, c'est votre droit en tant que personne titulaire de la Reconnaissance en qualité de travailleur handicapé, d'être suivie par CAP emploi qui propose un accompagnement personnalisé au bénéfice des personnes en situation de handicap, c'est un droit, le conseiller de France Travail, il n'a pas le droit de te refuser un accompagnement CAP Emploi ! »
Moi aussi, on a voulu me refuser l'accompagnement par CAP Emploi mais j'ai dit « Désolée mais ça, vous pouvez pas » et j'ai ajouté « Vous êtes faite pour accompagner les personnes en situation de handicap comme moi je suis faite pour être bonne sœur ».
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Depuis cette interview, Sabrina n'est pas entrée au couvent mais a ouvert un blog sur MDP et a déjà publié deux billets :
22 décembre : Le sexisme existe encore
18 décembre : La difficile insertion des personnes handicapées