La chorégraphe Fatima-Zahra El Moumni, très engagée dans le collectif "Nous aussi" de Clermont-Ferrand et les associations "Mosaïc" et "Toutes et tous ensemble", expose le déroulé de cette création originale dynamisante, à la fois artistique et sociale « Revel'toi - I'm somebody » présentée dans le cadre des trans'urbaines du 8 au 13 novembre 2022.
Lire nos deux premiers billets pour entendre le pourquoi et le comment de ce collectif "Nous aussi" de la bouche même de Samir, Fatima-Zhara et Lionel, tou.tes militant·es de cette cause anti-racisme avec évènements et réalisations dans la ville pour promouvoir la République pour et avec tou·tes :
I - Parce que nous sommes, nous aussi, la France
II - Nous aussi : du racisme bien-pensant aux moyens de le combattre
Je suis danseuse Hip-Hop mais je danse aussi professionnellement avec une autre compagnie, la Compagnie « Danse /Cité « qui fait du Hip Hop contemporain. J'ai eu l'occasion de faire les plus gros festivals de France, toute une expérience que j'ai voulu partager avec ces filles . Le cadre du projet est la création pour la 25 ème édition du festival « Les trans'urbaines ». Tous les ans, le festival programme des spectacles mais aussi un spectacle créé localement dans un cadre socio-culturel. Cette année, c'est un partenariat entre « les tran'surbaines », la ville de Clermont-Ferrand, principalement le centre Nelson Mendela et la compagnie FAT'FIL qui est donc ma compagnie émergente qui existe depuis un an tout juste. Nous sommes deux directeurs artistiques : « Fat » pour moi-même Fatima-Zahra et « Fil » pour Philippe Bonnet, musicien Jazz.
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L'idée est de prouver que les jeunes peuvent être productifs dans le cadre d'un spectacle et il l'a prouvé. La thématique du spectacle qui a été proposée dans le cadre du festival, la commande, la subvention, est bien d'aller voir au niveau de filles des quartiers entre 12 et 25 ans, comment elles peuvent réagir à la danse, à la culture et à quel point elles peuvent s'engager dans un projet artistique danse, ce qu'elle vont exprimer ?
Ateliers-danses
On a dansé quatre fois. Avant de le créer, il a fallu trouver des filles intéressées. Nous avons organisé quatre à cinq sessions, d'« ateliers de danse » c'est à dire sans la finalité de spectacle. Nous n'avons pas cherché à engager directement les jeunes-filles dans la création du spectacle qui suppose coordination avec les parents, heures d'entraînement etc. Ce que j'ai essayé de faire c'est de créer une dynamique autour du quartier de la Gauthière, autour du centre Nelson Mandela, que, pendant l'été, ces jeunes trouvent un repère où ils peuvent aller danser.
Il y a eu une session d'atelier de création en avril sur une semaine, une autre en juin, juillet et août pour la même durée, cette année en 2022. En septembre, des week-end et fin octobre une semaine encore. Pendant ces semaines, les jeunes venaient. On était ouvert aux filles et aux garçons parce qu'on n'était pas sûr de réussir à avoir l'engagement d'un groupe d'une dizaine de filles. Pour pouvoir créer le spectacle, on a vraiment pris le risque d'entamer seulement fin octobre pour danser les 2, 4, 9 novembre et 30 novembre.
Seulement des filles ? Le projet a été écrit et subventionné . Le festival m'a contacté et m'a proposé le partenariat c'est à dire pour un travail avec filles seulement. Je leur ai dit que ce serait franchement compliqué. Nous avons mené ce projet vraiment en amont. J'étais autant chorégraphe que chargée de communication, dans la logistique, dans le contact direct avec les jeunes, dans la pédagogie et bien sûr avec Philippe le musicien. Nous avons été ensemble sur ces ateliers avec tout un travail sur la musique, sur la danse, sur l'expression, beaucoup d'échanges avec les jeunes. Nous avons aussi pu accueillir des jeunes d'un foyer d'immigrés qui ont vraiment accrochés mais qui n'ont pas eu avaient pas l'autorisation par la suite de participer au spectacle et d'être médiatisés.
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Huit filles ont participé au spectacle
Nous avons réuni une trentaine de jeunes pour huit participantes au spectacle, habitant des quartiers de la Gautière et de la Croix de Neyrat. On a communiqué avec flyer, sur les réseaux sociaux, des affiches partout et surtout, nous avons fait le tour des associations avec la directrice du festival, ici, par exemple, au bas de l'immeuble. L'idée c'était de nous faire voir, Philippe et moi, dans notre création artistique avec ce spectacle appelé « meet in » sans G qui a une toute autre signification Il suivait le spectacle « I'm Sombody »]. C'était tout un travail de médiation culturelle sur le Hip-hop qui vient des quartiers. C'est important que les quartiers profitent de la culture. Peu importe si le Hip Hop est considéré culture ou sous culture. Il reste une culture, maintenant transformé en culture urbaine, qui enlève le côté ethnique d'origine. C'est une danse mais c'est toute une culture, c'est tout un mouvement social. J'ai fais de mon mieux pour être pleinement sur du socio-constructivisme. En fait construire avec l'autre, être avec l'autre et apprendre parce qu'on est en interaction avec l'autre et vice-versa, donc je ne me suis jamais placée en tant que prof ou en tant que chorégraphe. Je travaille avec des jeunes et mon objectif est de dire à tout le monde : « Regardez les jeunes sont productifs , il faut juste leur mettre les conditions favorables, ne pas les agresser, être cool avec eux ». C'est pas parce qu'on est adulte se permettre d'avoir un rapport …Si on fait ça, ça fonctionne ! Et aujourd'hui, des jeunes sont formés à cette approche, des jeunes qui ont leur association. Aidez vous aussi ces jeunes, pour qu'ils puissent aider d'autres jeunes et qu'on s'entraide tous enfin !
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Effets constatés après spectacles ?
C'était pour les 12 – 25 ans, mais les ateliers étaient ouverts aussi aux 7/ 8 ans. Pédagogiquement et didactiquement c'est une prise de risque : il ne faut surtout pas brusquer mais travailler avec une pédagogie différenciée qui est une approche de chaque personne par rapport à son âge, son engagement moteur, son état mental. J'ai été formé à l' analyse fonctionnelle du corps en mouvement dansé, les symboliques du corps. A mon niveau, c'est pouvoir observer dans la posture du corps des enfants ou des jeunes ou des personnes en atelier et comprendre ses blocages psychologiques pour faire en sorte que ces personnes expriment où ça bloque, où ça fait plaisir., ce qui dépend par quelle émotion on décide d'approcher la problématique. Ensuite on déconstruit en mettant sur scène ou dans un cadre d'atelier les conditions favorables sur un jeu de scène pour que cette personne puisse s'exprimer. Le seul fait que la personne exprime, elle se retrouve dans une autre posture dans l'interaction avec son entourage, ce groupe qui se crée. Comme on a ouvert aux plus petits aussi , j'ai pu observer qu'ils avaient vraiment un poids scolaire. : ils arrivent tous à l'atelier, les poings bien serrés ou alors des petits gestes, jambes bien en place, tu bouges pas, tu restes à ta place. C'est vraiment ce rapport de prof- élèves, qu'il fallait fallait déjà déconstruire tranquille ! Franchement à des moments, j'ai fait le clown pour détendre l'atmosphère, je fais ma ridicule ! C'est pour vous dire en fait on peut tous se louper, on peut tous pas être bien, il n'y a pas de forme d'autorité, il n'y a pas un dieu qui va venir t'apprendre quelque chose. C'est un échange, t'apprends, j'apprends avec toi et même si tu es beaucoup plus jeune que moi, peu importe ce que j'ai fait dans ma vie, je me mets bien bien là pour que tu es les yeux en face de moi et que tu m'expliques, ce que tu as voulu dire...
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Il y a le temps de transmission, le temps de création puis le temps d'expérimentation de la scène et du rapport au public, du rapport au grand, c'est à dire à la masse. Nous avons quand même dansé devant 1400 personnes à la maison de la Culture et les filles ont bluffées tout le monde ! Je ne peux être que ravie et je tiens à répéter : Déjà qu'on enlève l'étiquette « jeunes » ; Qu'on enlève l'étiquette « quartier » ; Qu'on enlève l'étiquette « milieux ruraux » ; Qu'on enlève l'étiquette « femmes » et qu'en plus elles travaillent avec moi-même, chorégraphe femme qui a eu son parcours de maghrébine et nani et nana, regardez ce que ce groupe, ces individus qui se rencontrent peuvent créer et ce n'est pas une fierté ,c'est juste un truc normal. L'objectif, c'était que le public puisse juste accueillir le résultat de ces filles comme un truc normal, juste apprécier le spectacle sans stéréotype même si on y est pleinement sur le stéréotype du projet « dans le quartier pour les filles de 12 à 25 ans! ». D'un côté c'est un stéréotype, parce qu'il devrait y avoir plus d'ateliers ou d'activités pour cette population, qu'on n'est pas le vide à ce niveau et d'un autre côté se dire que ce genre de projet est possible donc, s'il vous plaît, peut-on le mettre en place ?
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Suite prévue, suite souhaitée
Le résultat est qu'artistiquement ces filles portent le spectacle. Le spectacle s'appelle « Révèle-toi, je suis quelqu'un » en anglais. Toute une transmission de la culture, de l'état d'esprit, des valeurs hip hop. Nous l'avons vu et ressenti dans le comportement de ces filles. On est passé à l'une qui dit « moi j'ai subi du harcèlement scolaire à l'école » et c'est pas une jeune d'un quartier mais une jeune d'une petite ville à côté de Clermont-Ferrand qui a ces problèmes, à l'autre qui va dire : « Je pensais pas venir car je pensais être la seule noire » etc. Elle a complètement déconstruit sur scène, elle s'épanouit, elle prend tout l'espace. Vous imaginez, le courage d'être sur scène quand-même et d'avoir face à soi un public, un large public ? A Mandela, nous avions 150 personnes et nous n'avons pas rempli les salles à chaque fois. Mais les filles savaient qu'il y allait avoir un public de de danseurs et de connaisseurs. Elles n'ont subi aucun stress parce que pendant tous les ateliers il n'y avaient que Philippe et moi. Nous avons fait intervenir des gens qui font partie de l'association, des adhérents qui sont en lien avec la compagnie. Sony, historien du Hip-Hop qui enseigne dans les formations professionnelles du conservatoire au niveau de Paris. Il est venu échanger avec les filles, des danseurs locaux de Clermont-Ferrand. Pour nous, le Hip-Hop c'est l'échange et ce qui a fait que les filles ont acquis ces valeurs et s'en servent aujourd'hui dans leur vie scolaire. Les familles nous ont fait des retours sur leur comportement. Nous avons fait de notre mieux pour que chacune découvre sa zone de confort en tant que citoyenne, être humain, en tout cas stimuler cette curiosité vers cette recherche.
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La dernière a été le 30 novembre avec la délégation Jeunesse Europe sur la mobilité européenne et internationale ce qui fait le lien avec un voyage de quarante-huit jeunes en novembre au Parlement Européen à Strasbourg, projet mis en place ici avec Mosaïc pour initier et sensibiliser. Nous avons visité le parlement et assisté à une pièce de théâtre à Strasbourg. Le lendemain nous avons visité une galerie d'art en Allemagne, une exposition sur la Palestine sur les dégâts de la guerre avec casques pour apprécier la réalité virtuelle.
La suite de ce projet serait qu'avec l'association, nous puissions avoir des ateliers réguliers à partir de janvier/février 2023 parce que le spectacle ne devait être produit que dans le cadre du festival « Trans'urbaines » en novembre, c'est tout récent, mais le travail a commencé en avril dernier.
Les photos publiées ont été gracieusement transmises par la chorégraphe.