Rappel : dans ce premier opus - I - Parce que nous sommes, nous aussi, la France - Fatima-Zahra, Lionel et Samir nous ont expliqué que le collectif "Nous aussi" est un collectif d'associations diverses qui interviennent de différentes manières dans des quartiers populaires de Clermont-Ferrand. Ce collectif créé fin 2022 veut lutter contre toutes les formes de racisme étant concerné·es directement parce qu "'issu·es de l'immigration" même si c'est depuis belle lurette et après des études supérieures en France. Nous poursuivons donc l'essentiel de cet interview enregistré le 7-12-22.
Le dernier de l'ensemble : III - Nous aussi - "Viens comme tu es, n'oublie pas d'où tu viens", spectacle artistique au parfum hip-hop.
« Blagues », inscriptions et actes racistes
Samir : Ils sont venus nous attaquer durant la manifestation de février, ils étaient cinq ou six ils ont frappé deux personnes et ils sont partis en courant. Quand on laisse quelqu'un comme Eric Zemmour s'exprimer sur les chaînes de télévision aux heures de grande écoute, la conséquence c'est la banalisation de ces actes à Clermont comme dans toute la France. Ici, on le voit de plus en plus et c'est de plus en plus fréquent.
Vous ne vous en rendez pas compte, il y a le racisme qu'on voit et celui qu'on ne voit pas. On a constaté deux types de racisme : le racisme visible, ce sont les attaques, les inscriptions racistes. Ils sont venus et ont collé « Non au racisme contre les blancs », « Non au racisme contre l'Eglise » comme si nous, on attaquait l'Eglise. C'était collé au centre Jaude derrière nous quand on était là. Je les ai enlevé. C'est le racisme visible. Il y a l'autre, invisible qu'on vit vingt-quatre heures sur vingt-quatre. On le vit au travail, en politique, etc. Aucune personne issue de l'immigration ne le vit pas. Des regards et on nous pique de remarques « Ah une petite blague, ah je rigole ! » On commence a en avoir marre ! Pourquoi ? J'ai peur pour mes enfants : aujourd'hui quand mon fils veut sortir le soir, je ne veux pas lui faire peur mais j'ai peur pour lui... Je me dis que s'il croise avec ses copains, deux ou trois de ces racistes, ils vont les massacrer, les insulter. Ou encore, mon fils dans une manifestation qui peut entendre de racisme, il en aura mal, très mal, plus que moi.
Tous les trois nous avons vécu de l'autre côté de la Méditerranée, venus ici pour faire des études. On est resté et on a aussi cette culture de l'autre côté de la mer avec une chance très importante : être allé à l'Ecole et l'Université de la République. Nous avons un bagage intellectuel qui nous permet de répondre de façon intellectuelle, sans agression, sans partir vers le radicalisme religieux en se disant que déclencher la guerre sera plus efficace... On ne se laissera pas faire c'est clair et net. On ne veut pas sortir de la citoyenneté parce qu'elle n'appartient à personne en particulier. Par contre, nous sommes là pour vraiment travailler autour des valeurs nobles de la République : égalité, fraternité, liberté. Des gens y ont laissé leur vie. Malheureusement c'est écrit sur le papier. En vrai : Est-ce qu'il y a EGALITE, y a pas - FRATERNITE, y a pas - LIBERTE pour les uns, pas pour les autres. Même si on nous donne la parole, d'autres vont déformer ces paroles puis disent « il ne fallait pas parler de ci, c'est intouchable, il faut parler de çà.... » Je commence à avoir peur parce que les responsables politiques n'ont pas décidé d'utiliser des actes forts pour contrer ces actes racistes. Un exemple flagrant, en pleine institution républicaine : un député dit « Rentre chez toi en Afrique ! », moi j'étais dégoûté, on l'expulse trois semaines, ! C'est tout ? Mais c'est quoi ça ?
Ce que ces gens-là sont entrain de faire ? Si Rachid, enfant d'émigré commet un délit ici, on va lui enlever la nationalité et l'expulser. Si Jean-Luc enfant de français fait la même chose, il va lui arriver quoi, on lui fait quoi ? C'est ce qui me fait peur, pour nos enfants. Quelqu'un qui est né ici en France, on va lui dire, « Tu vas rentrer chez toi » mais il va rentrer où chez lui ? Chez lui c'est ici. Il est né là, il a commis un délit mais son père a construit, il n'a pas la responsabilité parce qu'il faut aussi se poser la question : pourquoi nos enfants sont dans la délinquance alors qu'ils ont vécu toute leur vie dans l'Ecole de la République, voire au-delà ; il y a quelque chose qui cloche dans le système. Il faut avoir le courage de dire « Malheureusement on n'a pas fait le nécessaire dans les quartiers populaires ». Heureusement, dans ces quartiers il y a les associations. On ne le sait pas mais si on enlève aujourd'hui toutes les associations qui militent aujourd'hui dans des conditions très difficiles, trop difficiles, dépendantes des subventions, si le système politique ne change pas, certains vont politiser. Maintenant c'est la droite est là, on va la massacrer ou bien vice-versa et on vient politiser les associations. On peut faire ce qu'on veut, personne n'échappera à la politisation des associations et c'est grave ici en France, Les associations, faut les laisser travailler, elles font le travail des politiques et le travail de l'Etat.
Samir : Oui la situation est sombre et le racisme ça fait très mal, trop mal. ça nous arrive et ça m'arrive de rentrer chez moi et ne pas pouvoir dormir parce que j'ai été victime d'une remarque, d'un regard par l'intermédiaire des gens qui travaillent avec nous que ça soit dans le champ politique, que ça soit dans la vie de chaque jour. Ils vont te piquer, te dire un truc... Parfois, on entend des discours et ce qui est grave aussi des discours de certaines personnes qui se disent de gauche qui ont aussi le complexe de supériorité !
Ce travail doit commencer dés l'école primaire auprès des enfants pour leur expliquer le rôle de l'immigration, la force de la France, sans la laisser se canaliser seulement dans le foot, tout le monde est français ! Tout le monde « M'Bappé ! M'Bappé ! ». C'est qui M'Bappé ? sa maman est algérienne, son père est africain. Ils ont émigré. Voilà ce qu'ils ont donné, ils ont donné quelqu'un dont tout le monde parle. Et si demain M'Bappé dit « Je veux être allemand », il sera allemand. Mais il n'y a pas que dans le foot, il faut montrer à nos enfants que dans la politique, il y a des gens qui leur ressemblent peuvent prendre des décisions, dans les entreprises, les médias, la radio, la télé, des gens qui leur ressemblent et qu'ils peuvent aussi avoir des postes comme ça. Donc, il faut commencer dès le jeune âge par donner une éducation citoyenne à celui qui est issu de l'immigration comme celui qui ne l'est pas quand il se croit meilleur parce qu'il est blanc ou qu'il a un prénom qui ne ressemble pas à « Mohamed » comme s'il devait changer de prénom !
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Mobiliser contre le racisme
Fatima-Zhara : Aujourd'hui la plupart sont très conscients du racisme, de son existence. Récolter des témoignages, les afficher reste un temps de travail, de mise en place d'action. Pour moi, le besoin, c'est de sensibiliser les gens, d'être avec eux en petits groupes pour vraiment mettre en place des actions qui permettent à plus de personnes de s'exprimer, pas forcément pour les médiatiser mais davantage pour rentrer vraiment dans un débat humain et spontané : l'histoire de ce qui s'est passé, pourquoi le racisme existe et encore sensibiliser. Nous ne sommes pas nombreux à militer contre le racisme, pas juste pour le dénoncer mais toucher toutes les populations, concernés et non concernés avec une éducation sur le temps long et, petit à petit, les gens peuvent s'y intéresser, être sensibilisés. Au bout d'un moment, en s'accrochant aux actions, aux manifestations, le rapport de force peut basculer. Je reste très optimiste mais sur la durée.
Lutter contre le racisme juste pour faire masse - « OK, on va à la manifestation à quatre ou cinq mille » - d'accord, mais si après on n'est pas vraiment tous conscients à l'intérieur que ce qu'on dit peut être raciste... c'est pas intéressant. Il faut avoir de l'empathie envers les gens, un rapport humain doit se recréer, une éducation doit se faire, pour moi c'est vraiment une question de travail avec les jeunes,. Avec ce que j'ai déjà dit sur le spectacle, il y a eu un vrai travail de transmission et c'est dans toutes les actions qu'il devrait exister. C'est ce qu'on essaie de tous mener, c'est de l'éducation, de la sensibilisation, pas juste pour raconter à tout le monde. Pour moi c'est se victimiser encore une fois avec un livret, une vidéo... Au début du stage une jeune a dit « Je ne voulais pas m'inscrire au début, parce que je pensais que j'allais être la seule noire et que personne va m'aimer ». Au cours de cette expérience, petit à petit, la fille a complètement lâché l'affaire sur sa perception d'elle-même, sur sa couleur, sur son rapport à la société, sur sa place dans la société. Elle existait juste avec tout le reste du groupe qui venait de milieux différents, rural, de la ville, de quartiers populaires... avec une vraie cohésion du groupe.
Pour moi, il est là le travail de fond : aller dans les écoles, les collèges, les lycées, les universités, les EPHAD, les hôpitaux, dans les prisons ; rencontrer des professionnels de santé, des professionnels de la police, de la gendarmerie, pour des échanges de sensibilisation qui partent dans les deux sens s'il le faut. Au bout d'un moment, on voit tous que le racisme existe, tout le mal fait à des personnes, à titre individuel aux jeunes, l'incohésion que en résulte dans la société, on aurait déjà moins de problèmes et la cruauté humaine n'aurait pas sa place. Je pense que le collectif et les associations s'inscrivent dans cet état de sensibilisation : on a quand même grandi de l'autre côté [de la Méditerranée], en cohésion avec nos codes :on sait ce qu'est le respect.
Je suis née au Maroc et y suis restée jusqu'à mes vingt ans. Je suis venue faire mon Master ici en France, un master international d'excellence en STAPS à Bordeaux. Je peux vous assurer que là, on s'intègre sans même s'en rendre compte. On ne se dit même pas que c'est un problème de devoir s'intégrer, au contraire, c'est un plaisir, on apprend une autre culture. On échange tout le temps avec des gens, toutes les actions à côté de la fac qu'on peut mener aussi... En fait, tout ce qui est possible au bout d'un moment si on arrête de pointer du doigt une population, de l'écraser, de ne pas lui permettre tout ce qui est orientation pédagogique des jeunes et tous les problèmes de C.V. Des amis ont dû changer leur nom et leur prénom sur leur C.V., j'en étais choquée. Ils ont eu des entretiens mais ils n'étaient pas été acceptés. Je peux vous assurer que je n'étais pas au courant : deux ans que je suis sortie de la fac, que j'ai cherché du travail avec un Master et je n'ai pas trouvé. Je me suis organisée pour faire des choses et aujourd'hui, je travaille. Je suis très fière de moi, vraiment. Je n'ai pas eu le coup de main de la société mais j'ai travaillé dans des associations, fait du bénévolat. Je suis allé comprendre pourquoi je n'ai pas réussi à travailler alors qu'on m'avait bien dit : « T'inquiète ! Tu fais des études, tu es jeune, tu es une femme, tu fais des études, tu as un Master, tu vas réussir à travailler dans le sport c'est pas grave... ». Grand coup de claques, d'où ma révolte. J'ai aussi une licence en pédagogie, en métier d'enseignement physique et sportif. Ma vocation première c'est d'aller vers l'éducation, vers les jeunes, vers la sensibilisation par le biais de l'art, de l'expression corporelle, de l'expression artistique et de débattre, ouvrir des débats, sur l'action, sur être avec l'autre, sans plus.
Lionel : La sensibilisation c'est ce qu'il faut faire. C'est le travail que nous, associations faisons. Le mal est tellement profond aujourd'hui. Certains qui subissent le racisme en viennent à croire que c'est normal et ils n'en parlent plus. Ils disent « je suis immigré, donc je subis ». Le racisme n'est pas une opinion, c'est un délit. Notre travail, c'est dire à ces gens là non ! Il ne faut pas accepter ça. Il faut parler, il faut le dénoncer. Voilà un mois, j'ai vu encore une vidéo à Paris avec un restaurant interdit aux africains, aux noirs. Ce sont des choses à dénoncer, ce n'est pas normal. Il faut sensibiliser les gens, en leur disant « Ne prenez par sur vous quand vous subissez des actes comme ça dites-le ! » C'est comme cela que nous réussirons à bouger un peu les choses !
Samir : Lorsque les gens sont victimes d'actes racistes, rien ne se passe. 2ème fois victime, 3eme fois victime, rien ne se passe. Des gens, quand on leur dit de manifester, vont dire que ça va rien changer dans leur vie ! De l'autre côté, avec ce qu'il voit à la télé, le racisme devient banal : tout le monde peut dire « ces gens là, on n'en veut plus, ils s'intègrent pas, leur religion ce n'est pas la nôtre, nous sommes un pays chrétien, judéo-chrétien.... » Donc ceux qui ne voient pas pourquoi manifester sont victimes de cette banalisation. Il n'y a aucun acte fort pour condamner. Donc, ils ne vont pas sortir mais regarder de loin. Ils ne sont pas acteurs.
On peut faire un match de foot dans le quartier, un tournoi, on peut avoir quatre à cinq mille personnes, facile ! Mais lorsqu'il y a une manifestation c'est autre chose. On fait tout pour que les jeunes restent dans leur quartier, entre eux. Ils sont contents alors que c'est un piège ; on fait tout pour les sortir de la citoyenneté, de la République ! T'es en train de chanter un hymne du pays d’origine de tes parents voire de tes grands-parents, c’est bien de le connaître mais tu es surtout citoyen français, on te sort de la République et t'es content ! Ceux qui font ça sont très intelligents parce qu'ils n'ont pas envie de voir des manifestations contre le racisme. Si on arrive à sortir du quartier et dénoncer ensemble, on peut le combattre le racisme. Chaque jour, on va sortir, on est à Jaude, il y a mille personnes, alors là ça va être facile ! Donc au bout d'un mois on va dire stop, il y a quelque chose qui se passe ! Du racisme, même au sein du parlement français ! Je n'ai pas vu des responsables politiques ici à Clermont-Ferrand ou ailleurs, faire une manifestation, contre ce comportement inacceptable. Il n'y rien eu, rien du tout ! Donc tout le monde dit : « Ouais c'est grave et tout ». Et c'est passé à la télé tant de fois ! Le raciste se dit qu'il peut s'exprimer... et ça marche, ça rapporte... Aujourd'hui les citoyens et les citoyennes françaises sont en train de virer vers la droite, voire vers l'extrême-droite parce que c'est un discours qui rapporte.
Le gazole est à peu près à 2 euros, la vie est très chère donc il faut trouver une explication : la faute de qui ? Les immigrés ; RSA, les immigrés, ceux qui profitent des impôts, les immigrés... Mais le système ne veut pas montrer combien rapportent les immigrés. Combien ils rapportent les gens qui sont venus faire des études ici en France ? Certains ont fait des études pendant dix ans et ont cotisé dans de petits boulots, aux vendanges etc et sont rentrés chez eux. Il part où cet argent de retraite, il va pas les suivre, donc qui va consommer cet argent ? Nous devons poser ces questions. Des gens ici travaillent sans papier qui touchent quatre ou cinq euros l'heure… on condamne ce qui se passe au Qatar mais il faut qu'on condamne ce qui se passe chez nous avant de partir très loin, avant de donner des leçons à d'autres. Chez nous, c'est la même chose : on ne parle pas des gens qui tombent malades suite à un chantier ; on ne parle pas des gens qui sont dans la dépression ; on ne parle pas des gens qui sont devenus malheureusement des produits de consommation. Pour tout cela, aujourd'hui mobiliser beaucoup de monde c'est dur, c'est très très dur, il faut passer et c'est ce que nous faisons, par de petites actions et on croit faussement que ça ne rapporte rien du tout. De temps en temps, on voit des élus qui nous ressemblent, de temps en temps on voit des journalistes qui nous ressemblent, ce n'est pas beaucoup mais ils sont là et même eux ils sont victimes. Hier j'ai entendu Nagui raconter : je reçois parfois des messages « sale juif », « sale arabe », parfois « Rentre chez toi » alors que le gars qui est ici est un métis, mère française, père égyptien. , Ce n'est pas parce qu'on est bien placé qu'on ne subit pas la discrimination.
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« Vous mangez le pain des français »
Samir : On entend « sale arabe », « sale nègre », « Rentrez chez vous », « qu'est-ce que vous faites ici ? », « vous mangez le pain des français »... C'est choquant avec bien d'autres formes de racisme... Avec ta nationalité française tu fais la même chose que les autres français, tu fais des études, tu es excellent, au bout d'un moment tu crois que c'est bon. Tu te dis dans ta tête, c'est bon, j'ai fait ce qu'il fallait faire, les portes vont s'ouvrir et en vérité, les portes sont fermées. C'est la discrimination quoi ! Dans certaines formations - je sais de quoi je parle - tu te trouves le seul diplômé autour de la table mais on fait tout pour t'éviter et ceux qui sont autour de la table vont te parler de discrimination ! Ils vont te dire : « ouais, il y a beaucoup de discriminations ». Toi, tu te dis mais c'est quoi ça ? Ils se foutent de nous !
Et la gauche est frileuse, aujourd'hui. Elle se dit : faut pas qu'on s'implique, attention, parce que demain s'il y a des élections ça va être la droite et l'extrême droite, parce que le peuple français veut écouter ça, donc on ne va pas se mouiller trop. On regarde. De temps en temps, on va dénoncer, on va dire ce n'est pas bon. Lorsque il y a une manifestation, on va t'envoyer une personne qui va prendre la parole, machin ou truc. Mais attends : t'as gouverné ou tu gouvernes aujourd'hui et qu'est-ce que tu as fait ? C’est quoi le projet du gouvernement contre les discriminations, le budget parce qu'il faut voir les petites sommes contre les discriminations alors que pour la culture, le sport c'est autre chose, les sommes sont très importantes. Je suis pas contre mais il faut un équilibre parce que la culture peut être aussi un moyen pour combattre le racisme, le sport peut être un moyen pour combattre le racisme, parce que le sport c'est la religion de tout le monde, tout le monde pratique le sport, c'est la même religion pour le noir, l'arabe, le petit, le grand et tout …
Au départ lorsqu'il va croiser Lionel, il ne connaît même pas Lionel, il le met en bas et lui il se met en haut. Pourquoi il le met en bas ? Parce que c'est un noir. Lionel le sait très bien comme moi, quand il arrive dans une manifestation où sa radio va l'envoyer, il vont même pas te regarder, parce qu'ils vont croire que ce n'est pas toi et penser : Qu'est-ce qu'il fait là, c'est lui, c'est lui, c'est pas possible ! Moi ça m'arrive souvent, je vais faire une conférence sur le volcanisme en Auvergne, j'arrive et personne ne me regarde, voire, souvent étonnés que ce soit moi.
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Féminisme et anti-racisme, même combat
Samir : Nous avons dit aux féministes : « votre combat est le nôtre et si demain vous gagner votre combat on sera contents, parce que nous gagnerons le nôtre ». Elles nous ont dépassé. Nous nous réveillons mais un peu tard. Aujourd'hui même au sein de la sphère politique avant de parler d'une femme, la personne pense des milliers de fois avant de dire n'importe quoi ! Une fois un responsable politique voulait rigoler en parlant d’une élue. Les féministes, de droite, de gauche, l'ont massacré. Il a été trop gêné. Le combat doit être mené par les femmes et les hommes, comme le combat contre le racisme, on peut le gagner mais ensemble, avec une grande place à l’éducation dés le jeune âge !
Je dis toujours : on a été victime dans notre éducation. Quand on étaient petits, on me disait : toi t'es l'homme , tu rentres à trois heures du matin tranquille et ta sœur non ! Dans nos têtes, on croyait que c'était comme ça. Je suis l'homme de la maison, c'est pas ma sœur qui décide. C'est qu'après, le bagage intellectuel nous nettoie un petit peu. On est partis à l'université. Heureusement, nos parents nous ont donné un coup de main, nous ont accompagné pour faire des études. Après tu vois ta sœur à l'université, tu vois qu'elle va devenir médecin, puis devient médecin. Elle est médecin. Elle commence à prendre la parole. Elle commence à décider elle-même, donc c'est avec le temps qu'on a commencé à changer, sans oublier la place de l'éducation et les études.
Il y en a d'autres qui ne changent pas parce qu'ils ont pas eu le même parcours. Pour moi, il ne faut pas les condamner mais d'autres ne sont pas d'accord avec moi quand je le dis. Ils sont victimes. Quelqu'un qui est aveugle, tu vas pas le condamner parce qu'il est mal-voyant, on est là pour se rapprocher et lui donner un coup de main ! Donc quelqu'un qui est dans la violence et qui croit qu'il est supérieur à sa femme, on est là aussi pour discuter et débattre.
On n'est pas né raciste. ça m'est arrivé d'avoir des élèves ou un autre prof me dit : « celui-là ses parents votent Front National,... ». Je dis non, il m'intéresse. A la naissance, on ne se dit pas, « Je vais être vendeur de shit dans le quartier nord. Je vais être délinquant », on le devient. Lorsque des jeunes d'ici me racontent leur vie, je me dis que si j'étais comme eux, je ferais la même chose. Je ferais la même chose parce que tout ce qu'il a vécu chez lui avec le père et la mère c'est des histoires qui font pleurer. Parfois, au bout d'un moment, la personne change et part soit dans la délinquance soit dans l'extrémisme religieux mais grave et il croit qu'il a bien choisi. Il faut condamner et trouver aussi des solutions. La meilleure des choses ce sont des solutions éducatives. La pression ne change rien mais, avec le temps, augmente l'explosion. Il faut donc trouver aussi des solutions par les associations, en même temps que de l'autre côté, les décideurs donnent un coup de main, arrêtent de diviser les gens, arrêtent la préférence pour telle association parce qu'elle ne parle pas beaucoup, ne fait pas de bruit.
Je suis dans le quartier depuis vingt-sept ans. Quand je suis arrivé dans le quartier, il n'y avait pas assez d'associations comme aujourd'hui, seulement des associations des anciens - que je respecte – mais qui acceptaient tout. Depuis ça a changé un peu. On a une jeunesse qui arrive, d'autres personnes sont ouvertes sur le monde qui disent non, qui sont capables de dire « Je suis pas d'accord » et qu'on ne peut pas acheter facilement. Voilà ! C'est un système qu'on a laissé de l'autre côté [de la Méditerranée] où chaque quartier est géré par quelqu'un qui regarde ce qui se passe. En France, dans certaines villes et quartiers, c'est la même chose et on ne l'accepte pas ! La France c'est un grand pays ! C'est ce que vous nous avez enseigné même chez nous au Maroc avec la langue française. On a été obligé à partir de cinq ans, d'apprendre l'arabe le matin, le français l'après-midi. Au collège et au lycée, très peu d'arabe, beaucoup de français ! l'Université, le français. Ils nous ont parlé des valeurs de la France ce grand pays d'égalité, de fraternité, de liberté. Tout le monde avait envie de faire des études ici, envie d'aller là bas en France. C'est là où je peux m'exprimer ! On est là pour que cette République arrive à prendre sa vraie place. C'est une République où tout le monde peut s'exprimer, une République qui condamne les actes racistes, qui défend ses enfants qu'il soit Rachid ou Jean-Luc, qui donne la parole à tout le monde et où tout le monde peut construire.
Malgré mon doctorat, le système m'a écarté. C'est pour cela que je milite aujourd'hui pour que mes enfants, ceux de Fatima-Zhara, de Lionel, les enfants issus de l’immigration soient traités comme les autres, qu'ils aient leur place comme les autres. Le domaine associatif aujourd'hui, c'est le seul moyen pour s'exprimer, exprimer son talent, son savoir-faire. C'est ce qui m'a permis de ne pas déprimer parce qu'au bout d'un moment, tu déprimes. J'ai dit « Comment je vais leur montrer mon savoir-faire, comment je peux participer à la vie économique, sociale, politique… de mon pays d’accueil, alors qu'on me ferme la porte, allez, l’associatif ! »
« Ces gens là, il faut leur donner des miettes, comme aux chiens »
Au départ, je suis venu dans le quartier, je me suis présenté pour donner envie à des citoyens.es issus.es de l’immigration maghrébine et africaine de participer à la vie de leur cité. A mon arrivée, mes enfants étaient petits, j'étais parent d'élèves. Une des premières fois où je suis venu dans le quartier, une femme est venue me chercher pour discuter avec moi. Maintenant décédée, elle était professeur à l'université et de droite. J’ai dit au conseiller départemental de l’époque qui l'est toujours, que dans les quartiers populaires, beaucoup de personnes sont issues de l'immigration, il est temps de les préparer et de les former pour l’avenir. En plus, je suis contre l’héritage en politique, il faut laisser la place à ceux qui résident et leur donner envie de participer à la vie politique de leurs quartiers. On m’a dit à l’époque, chose qui m'a choqué : « Monsieur El Bakkali, ces gens là (les habitants des quartiers), il faut leur donner des miettes... c'est comme les chiens, tu leur donnes beaucoup, ils vont te snober, il faut donner que des miettes et à chaque fois ils vont revenir... ». Évidemment, après un long travail dans nos quartiers, les mentalités ont changé et on nous voit autrement. C'est pourquoi je dis qu'il faut être présent. Maintenant des gens sont capables aussi de rentrer dans le débat que ce soit en politique ou hors politique. C'est ce qu'on appelle « militer ». Les gens croient qu'on va militer en 2020 et en 2023 c'est bon, ce sera fini. La référence, c'est l'Afrique du Sud au temps de l'apartheid. Notre ami Nelson Mendela, défenseur des droits des noirs et des blancs est allé en prison puis, longtemps après est devenu président. Quand on rentre dans ce combat citoyen pour l'égalité, il ne faut pas croire que c’est facile, que le combat va être vite gagné, ce n’est pas possible.
Aujourd’hui je veux rester citoyen sans carte politique. On était une dizaine des citoyens à entrer dans cette liste. Je suis dans le groupe « communiste et citoyen ».[...] Je ne regrette pas. On apprend beaucoup de choses parce que lorsqu'on est à l'extérieur, on est dans la critique. Je l'ai toujours dit : avant de critiquer, il faut rentrer et participer.[...] C'est facile de critiquer une association, c'est facile de critiquer un parti, c'est facile de critiquer tout. Il faut mettre la main à la pâte, il faut rentrer. Dans les partis politiques malheureusement, il n'y a pas beaucoup de jeunes et surtout pas de diversité. Je suis donc élu, une première expérience pour moi que j'espère réussir. Aujourd'hui, beaucoup de choses ont été faites. Il est bien préférable d'avoir une ville gérée par des groupes de gauche parce qu'avec la droite et l'extrême droite, ce serait une politique discriminatoire devenue normale. Une politique dure, très dure, sans discussion. Il faut continuer et pas en changer comme certains peuvent dire, il resterait ces miettes.
C'est pourquoi aujourd'hui, notre combat veut continuer cette politique humaine, de fraternité, d'égalité et de pousser certaines personnes qui ont peur de s'exprimer contre le racisme, contre les discriminations, parce que les autres ont un discours de haine qui rapporte. [...] C'est très difficile de gagner ce combat, on le sait tous autour de la table.[...] Je suis venu en 89, 89 c'est pas 2022 mais un autre monde : je suis d'une génération où il n'y avait pas les jeunes des quartiers à l'Université, on venait tous du Maroc, de l'Algérie, de la Tunisie faire des études ici. C'est à partir de 93-94 qu'on commençait à trouver des gens en universités et écoles supérieures, qui disent «Moi je suis né là ». Aujourd'hui, à l'Université, beaucoup de jeunes sont issus des quartiers populaires. Avant c'était un autre monde ! Moi je suis parmi les gens qui ont pleuré lorsque Mitterrand a gagné les élections présidentielles parce qu'on a cru en lui. La marche des Beurs, SOS-Racisme, ils ont ramené les Malek Boutih et d'autres personnes, qui ont plutôt profité du système au lieu de contribuer à son changement. Il n'a pas fait ce qu'il devait faire parce que c'était le moment où Mitterrand avait tout le pouvoir de placer vraiment haut la vraie diversité. Ils n'ont rien préparé malheureusement.
... Nous devons être présents dans le débat pour éviter certain complexe de supériorité, voulu ou pas, ce qu'exprime notre ami Thuram dans son livre « La pensée blanche ». On est resté dans cet esprit de colonisation. On ne peut pas vivre ensemble sans travailler ensemble que ce soit en politique, dans les débats, les radios, à la télé.[...] On peut dire ce qu'on veut des américains, même s'il y a du racisme, ils sont très très forts dans ce domaine : lorsqu'il y a de la publicité à la télé, ils montrent l'ensemble du peuple américain et les minorités sont visibles. Les Etats-Unis, c'est pas le top du top, du racisme oui mais pensez à Obama, président. En France pour avoir un noir ou un arabe président, je pense ça va être le petit-fils de ton petit-fils et le mien.
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