Laurent Mottron, ce psychiatre français qui a quitté son pays pour pouvoir, au Québec, mener les études scientifiques qu’il souhaitait sur l’autisme en fuyant la chape de plomb de la pensée conformiste française des années 1980 dans le domaine, vient de publier un nouveau livre « L’intervention précoce pour enfants autistes » (Editions Mardaga – 2016).
J’avais initialement comme but de vous rapporter les points principaux de ce livre remarquable. Et je me suis rendu compte que quelqu’un avait déjà publié une recension assez complète et équilibrée. Je vous y renvoie donc, le reste de mon article aura trait plutôt à ce que j’en ai ressenti.
Si je vous ai présenté rapidement son auteur, c’est pour souligner d’abord combien il est en opposition avec la « voie française » de l’autisme, et combien il se situe dans la lignée « scientifique » de l’autisme « moderne », celui qui s’appuie sur les neurosciences cognitives, les classifications internationales à base descriptive, et le consensus conceptuel américain. Rien donc à voir avec la vision historique française, puisque Mottron est un scientifique reconnu, qui dirige un pôle d’excellence en autisme à l’hôpital Rivière des prairies, et est auteur de multiples publications dans des revues internationalement reconnues.
La pensée de Mottron est fascinante en ce sens qu’elle est écartelée entre, d’une part, l’exigence de se conformer au standards de l’autisme « scientifique » au sens de la science cognitive, avec son appareil théorique propre, baignant lui même dans l’environnement conceptuel nord américain, et de l’autre par une perception diffuse de l’inadaptation de cet appareil, perception qui doit avoir quelque chose à voir avec les racines françaises de son apprentissage psychiatrique, mais a été éveillée par la rencontre qui sert de point de bascule dans sa vision de l’autisme, sa rencontre avec Michelle Dawson. Michelle Dawson est une autiste, et bigrement intelligente et courageuse. Rappelez vous le son « pire crime de Bettelheim » dont je vous ai transmis ma traduction.
Cette bascule, je pourrais la nommer « changer de considération sur la personne autiste ». Tant qu’on considère l’autiste comme atteint par ce que le processus culturel américain a créé comme consensus, ce que j’ai ailleurs nommé le « syndrome NeIGE », une maladie du cerveau incurable d’origine génétique, équivalente dans tout son spectre de description clinique, on reste dans la configuration du premier Mottron. Mais dès que par le tour de passe passe de la mise en évidence de l’hyperfonctionnement cognitif sectoriel chez certains autistes, à la fois on sort de la description purement déficitaire, et on parvient à la conception, dans les troubles du développement, à l’idée d’un « autre développement », d’une « autre construction cérébrale », quasiment d’une « autre espèce d’êtres » (Mottron utilise à plusieurs reprises des métaphores sur différentes espèces animales). Et ainsila malédiction cérébro-déficitaire se trouve conjurée, et l’autiste est désormais considéré simplement comme porteur d’une autre configuration cérébrale, ni meilleure, ni pire, simplement différente. Le précédent de l’extraction de l’homosexualité de la classification psychiatrique pour en faire une autre manière de vivre la sexualité, sur un même plan que hétérosexualité, est clairement évoqué, en parfait accord avec le mouvement de la neurodiversity, qui prône l’égalité de droits entre neurotypiques et autistes, et dont Mottron devient un cheval de Troie dans le glacis de l’alliance parents-scientifiques-fournisseurs de services de soins, ce que Michelle Dawon a nommé « le cirque de l’autisme ».
C’est donc une sorte de renégat, ou au moins un conquistador ayant brûlé ses vaisseaux, qui brise cette triple alliance en s’attaquant vigoureusement à l’Intervention Comportementale Intensive et Précoce, mais en utilisant les concepts, le vocabulaire, les procédures des neuro-sciences cognitives. Ceci prend tout son sens chez nous où la moindre critique du comportementalisme effréné vous vaut une requalification comme damné de la psychanalyse, ce qui, par les temps qui courent, est lourd de menaces. Les travaux de la HAS sont ainsi commentés par Mottron, et pour tout dire étrillés, sur le fond d’une comparaison dévastatrice avec les travaux de l’instance correspondant à la HAS au Royaume Uni, le NICE (National Institute for Health and Care Excellence – Institut National pour l'Excellence en Santé et en Soins). Cette dernière ne recommande absolument pas l’ICIP, ayant jugé du peu d’efficacité constatée dans les rares essais randomisés ayant une certaine validité scientifique. Au Royaume Uni, ces méthodes ne « marchent pas ».
Dire qu’il s’agit pour Mottron de critiquer l’ICIP est faible. C’est en fait un cri du cœur viscéral contre la prétention comportementaliste toute entière à appréhender ce qu’est l’autisme, et à pouvoir aider les enfants autistes à l’aide de son angle d’attaque, imposer à l’enfant autiste une progression des apprentissages comme s’il était non-autiste, quand Mottron démontre que cet enfant autiste a sa propre progression, ses propres modalités d’apprentissage, son propre calendriers, ses propres intérêts dont il faut se servir.
Il y a bien des surprises dans ce livre. Par exemple Mottron s’interroge sur ce que produit l’autiste sur l’autre de la relation, par exemple un parent, esquissant une théorie de l’autisme non plus à une seule personne, mais au moins à deux, brisant l’idole pseudo-scientifique du syndrome NeIGE puisqu’il faut maintenant considérer qu’une relation « sociale » s’établit avec un autre, et que son destin dépend aussi de cet autre.
Le livre de Laurent Mottron est une bénédiction, parce qu'il décolle le comportementalisme effréné de l'arrière plan scientifique sur lequel il prétend entièrement s'appuyer, ce qui est tout simplement faux. Il nous réveille. Le comportementalisme est une possibilité, pas la seule, et certainement pas la meilleure. Et il n'existe pas seulement une autre possibilité "la psychanalyse" à laquelle, pas une fois, je ne me suis référé. La bonne vieille psychiatrie, celle qui écoute, voit, empathit et compatit, pense et sait aller au-delà du cuticule superficiel des apparences, qui suppose un être quand rien ne l’assure, qui suppose une raison à ce qu’elle observe qui pense un processus, une histoire, un devenir au-delà d’un seul ici et maintenant, peut être une solution, pour peu que cette psychiatrie, dégrisée des tentantes liqueurs des grandes théories fondant les bonnes pratiques sache se perdre dans les petits pas et les obscurs bouts de ficelle.
Laurent Mottron a fui notre pays pour échapper à l’emprise d’une psychanalyse hégémonique, totalisante et totalitaire. Il combat maintenant contre la Nouvelle Psychanalyse, c’est à dire la nouvelle théorie hégémonique totalisante et totalitaire, le pan-comportementalisme qui prétend qu'il sait tout et peut tout pour tous.
Sachons en nos fors intérieurs tisser des petites théories et des petites pratiques autour des autistes, nous aussi en les considérant, en les écoutant, en les accompagnant à la petite semaine.