Gilles Rotillon (avatar)

Gilles Rotillon

Economiste, professeur émérite à Paris-Nanterre

Abonné·e de Mediapart

105 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 septembre 2024

Gilles Rotillon (avatar)

Gilles Rotillon

Economiste, professeur émérite à Paris-Nanterre

Abonné·e de Mediapart

Le RN atteint l’avant-dernière marche grâce à Macron

Macron marquera sans doute l'Histoire pour avoir oeuvré avec constance à l'accession du RN au pouvoir. Ce dernier n'a plus qu'une marche à franchir et il s'y prépare en maîtrisant le calendrier politique.

Gilles Rotillon (avatar)

Gilles Rotillon

Economiste, professeur émérite à Paris-Nanterre

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On ne pouvait pas s’attendre à autre chose de la part de Macron, après son numéro des deux derniers mois à jouer l’indécis soucieux de « préserver la stabilité institutionnelle ». Du refus de reconnaître ses défaites électorales, à l’imposition d’une trêve olympique, ou à l’enfilage de faux prétextes pour refuser de nommer Lucie Castets, de la censure immédiate dont elle aurait fait l’objet[1], à la soi-disant barrière infranchissable de la présence de ministres LFI au gouvernement, puis cette « barrière » ayant été levée, en sortant l’argument du programme du NFP, trop frontalement contre SES réformes si nécessaires qu’ont été celles des retraites et du chômage, un programme qui devenait la barrière ultime à le voir gouverner le France, ne fut-ce qu’une semaine (alors, il faut le rappeler sans cesse, que la nomination de Bardella à Matignon n’aurait pas posé de problème en cas de victoire électorale, même relative, du RN), en terminant en apothéose par cette ronde de parodies de consultations, tous les moyens[2] ont été utilisés pour refuser que les élections puissent se traduire démocratiquement avec un gouvernement NFP face à un Parlement qui aurait joué son rôle. Un rôle qu’il n’avait pas tenu durant les sept années précédentes, lui faisant perdre la sale habitude de débattre démocratiquement de la politique à suivre, trop habitué qu’il était à avoir une majorité absolue durant le premier quinquennat acceptant systématiquement les réformes du gouvernement ou au passage en force à coups de 49.3 durant les deux premières années du second quinquennat. Il y avait clairement pour Macron un risque qu’il se refusait à prendre, celui de voir cette Assemblée passer des compromis (quelle horrible perspective quand ces compromis portent sur sa propre politique, alors qu’on ne cesse d’en exiger de la gauche), par exemple en revenant sur SES réformes ou en lançant un processus de réduction des inégalités avec une revalorisation du Smic et une réforme de la fiscalité taxant sérieusement les ultra-riches.

Macron a donc nommé Michel Barnier, contre toute logique démocratique, en désignant un membre de LR, un parti devenu ultra-minoritaire dont toutes les dernières élections ont montré la perte d’influence et qui ne doit sa place actuelle à l’Assemblée qu’au fonctionnement d’un Front républicain qu’il a lui-même refusé. Même l’argumentation macronienne du « personne n’a gagné » ne peut concerner LR qui a nettement perdu.  

Bien sûr, les « commentateurs » (il est difficile de les appeler journalistes) ont immédiatement salué un homme de consensus, justement capable des fameux compromis que le NFP a été incapable d’accepter (tout en continuant à taire leur contenu, le mot, suffisamment répété suffisant à garantir leur existence), et qui a conduit brillamment le Brexit, est le père des JO d’Albertville (une aubaine après ceux de Paris unanimement fêtés comme une grande réussite, quel bon présage), a la sagesse du montagnard,[3] bref a toutes les qualités nécessaires pour sortir la France de la crise politique qu’elle connaît grâce à Macron.

Bien sûr, les mêmes commentateurs ne se lassent pas de détailler les chantiers qui sont devant lui et de disserter sur la politique qu’il va mener, comme s’il avait le moindre pouvoir de dévier de celle voulue par Macron. Un président qui a commencé par lui imposer un directeur de cabinet à sa botte et impliqué dans l'affaire Darmanin/PSG (une condition qui semble presque indispensable pour être proche du pouvoir), ne risque pas de le laisser imprimer sa marque, sauf si elle lui convient. Même s’il affirme le contraire lors de sa récente entrevue avec Olaf Scholz en déclarant qu’il laissait Barnier composer son gouvernement.

En réalité, la seule marge de manœuvre que possède Michel Barnier, ce n’est pas celle que Macron lui autorisera, c’est celle que lui accordera le RN en ne le censurant pas.

Et comme il a déjà fait la preuve de sa compatibilité avec le parti de Le Pen, que ce soit sur l’immigration[4]avec sa proposition d’un moratoire, du rétablissement de la double peine ou d’un durcissement du regroupement familial ou en votant contre la dépénalisation de l’homosexualité, on comprend que le RN accepte de le voir à Matignon (tout en entretenant la menace d’une censure si son programme n’est pas à la hauteur de ses attentes).

C’est en fait la leçon principale de la phase de la crise ouverte par Macron avec sa dissolution et refermée par la nomination de Michel Barnier : jamais le RN n’a été aussi proche du pouvoir qu’il exerce d’ailleurs en partie du fait de la possibilité qu’il a de faire tomber le gouvernement quand il le décidera.

Pour un président qui serinait depuis 2017 que son objectif était de convaincre les Français de tourner le dos au RN, on ne peut pas dire qu’il ait réussi (un point crucial dans le « bilan » de ses sept années de règne que les médias se gardent bien de souligner). Et on peut même douter qu’il ait eu un jour cet objectif.

Cette situation d’un RN faiseur de roi et bien davantage « maître des horloges » que Macron, ne peut que conduire à une politique encore plus droitière que la précédente, et ce d’autant plus que la force d’appoint que vient de retrouver LR, pourrait le faire participer à un gouvernement de « rassemblement »[5] bien que Wauquiez ait clamé haut et fort qu’il n’y aurait aucune coalition avec les macronistes. Un revirement qui se comprend quand on sait que Barnier a dénoncé l’assistanat, prôné la retraite à 65 ans et exprimé sa méfiance envers l’éolien, lors de la primaire LR en 2021. Michel Barnier a beau affirmer qu’il n’a aucune ligne rouge et est prêt à ouvrir des débats tous azimuts (une spécialité macronienne pour faire croire qu’on agit) et qu’on ne va pas lui faire un procès d’intention avant de prendre connaissance de ses premières décisions, la déclaration de Wauquiez de ne lui accorder son soutien que s’il met en œuvre « un programme qui donne la garantie de répondre aux préoccupations des Français et rien d’autre » réduit fortement la crédibilité d’une politique plus sociale. Pour Wauquiez et LR, les « préoccupations des Français » sont étrangement proches de leurs obsessions, qu’elles soient sécuritaires (Barnier souhaite davantage de places en prisons, peut-être en réduisant encore celles de l’hôpital ?) ou budgétaires.

Sur ce dernier point, on va être assez vite fixés avec le vote du budget en voyant si l’effort essentiel porte sur la réduction des dépenses ou sur la recherche de nouvelles recettes (par exemple en mettant en place une taxation des grandes fortunes comme le suggère Gabriel Zucman dans son plan d’action remis à la présidence brésilienne).[6] Et le « rien que le programme » de Wauquiez n’a évidemment rien à voir avec celui qu’évoquait Jean-Luc Mélenchon le soir des résultats du second tour. La preuve c’est que Wauquiez soutient Barnier qui est un « homme du consensus » grand amateur de compromis alors que LFI n’a pas confiance dans Cazeneuve !

En résumé on peut anticiper que la protection sociale va être encore plus détricotée, prix du soutien de LR, que les immigrés vont souffrir davantage, prix du soutien du RN et que l’écologie va rester un gros mot (supplément gratuit offert à la FNSEA et au Medef).

Mais c’est loin d’être la fin de l’histoire, car le risque de censure qui empêchait soi-disant le NFP de former un gouvernement existe toujours, il est simplement différé, tant que le RN obtient satisfaction sur la politique suivie (réduite à l’insécurité et l’immigration). C’est dire à quel point le sens politique de Macron est aiguisé. Dissoudre l’Assemblée pour clarifier la situation en donnant la parole aux Français (on a toujours raison quand on demande l’avis du peuple paraît-il), pour ensuite ne pas tenir compte de cet avis dont le message principal et Trans partisan est le refus de voir le RN au pouvoir (tiens, un parfum de compromis que les médias se sont bien gardés d’observer), puis nommer un représentant du seul perdant net des élections à Matignon qui se trouve justement dominé par ce même RN tout en continuant à expliquer qu’il faut voter, c’est vraiment créer les meilleures conditions pour augmenter le nombre d’abstentionnistes et affaiblir considérablement le front républicain en dissuadant les électeurs de gauche de « faire barrage » au RN quand les bénéficiaires de ce barrage refusent la moindre concession sur une ligne politique largement minoritaire.[7]

Quant à l’argument de la stabilité institutionnelle, construit sur la certitude d’une censure du gouvernement NFP, Macron risque fort de le voir s’appliquer à son gouvernement fantoche avec une probabilité croissante que cette censure survienne au fur et à mesure que l’élection présidentielle de 2027 se rapproche, le réduisant ainsi à se révéler comme ce qu’il n’a jamais cessé d’être, une excuse de mauvaise foi pour mettre la gauche définitivement sur la touche. Le RN ne peut pas rester trop longtemps un soutien passif de Barnier s’il veut apparaître comme la seule alternative crédible au macronisme. Une alternative qui lui interdit un soutien dans la durée.

Une situation qui oblige la gauche, d’une part à rester unie, et d’autre part à redoubler d’efforts pour regagner les voix des abstentionnistes et de ceux que des années de pouvoir social-démocrate converti au néolibéralisme ont fait basculer vers le RN. Malheureusement, le temps est compté et ce combat ne peut être que défensif. Pour construire, il faut d’abord empêcher le RN de prendre le pouvoir et ne pas croire que « tout le programme mais

rien que le programme » suffirait à sortir simplement du macronisme (sans parler d’une sortie du capitalismequi ne sera pas obtenue par un « petit soir électoral »).

Nous en sommes là, après sept années de macronisme, le RN est à l’avant-dernière marche, prêt à gouverner et les événements récents ne font que hâter le moment où il y parviendra

[1] Faisant ainsi preuve de sa connaissance de l’avenir, une démonstration supplémentaire de ses capacités exceptionnelles.

[2] Y compris une campagne médiatique féroce contre un NFP « contaminé » par LFI, qui se poursuit une fois la nomination de Michel Barnier actée, s’évertuant à distiller l’idée que c’est l’intransigeance de la gauche qui, en refusant Cazeneuve comme premier ministre, aurait conduit Macron à nommer Barnier. Comme si cette nomination avait été une certitude, alors qu’il n’était qu’un nom lancé dans la liste de ceux qui circulaient et qu’il était certain que la politique menée par Cazeneuve aurait été suffisamment en phase avec le programme du NFP (ce qui est quand même le minimum qu’on peut demander à une force politique qui a exposé son programme et à qui on demande de ne pas l’appliquer totalement, en acceptant qu’elle passe de « tout le programme et rien que le programme » à autre chose que « rien du programme »). De toute façon, le simple fait que Cazeneuve ait exprimé publiquement qu’il avait des réticences vis-à-vis de la réforme des retraites de Macron rend peu probable que ce dernier ait fini par le nommer.

[3] Lors d’un transit en voiture de quelques kilomètres, en zappant avec l’autoradio, je suis resté fasciné par le numéro de Catherine Nay dans l’émission de Pascal Praud sur Europe 1, vantant avec une flagornerie indépassable toutes les qualités de l’homme Barnier en commençant par son physique et sa posture droite (pour un homme de cet âge précisait-elle), qui dénotait « sa classe » comme s’est empressé de surenchérir Pascal Praud, lui-même expliquant que c’est cette même classe dont avait fait preuve Sarkozy quand il avait perdu le pouvoir. Avec un tel modèle, effectivement transpirant la « classe », des talonnettes au langage châtié, le qualificatif perd un peu de sa force de conviction nous persuadant qu’on a bien affaire à l’homme de la situation.

[4] Alors qu’il avait exprimé le contraire en 2014 dans son livre Se reposer ou être libre.

[5] Dans son interview au 20h de TF1, Michel Barnier assure qu’il va chercher à « attirer des gens de gauche » dans son gouvernement. Je ne doute pas de sa volonté de le faire mais beaucoup de sa réussite sur ce point. Sauf bien sûr Ségolène Royal. Et je ne doute pas non plus que les médias toujours prompts à enfumer le public ne qualifient de « représentant de la gauche » le moindre ancien PS, cadre (ce ne peut pas être un travailleur d’une CSP différente) ou chef d’entreprise ayant par le passé affiché une sensibilité dite « sociale » qui accepterait de rejoindre Barnier.

[6] Selon ses calculs, en tenant compte de la fraude et de l’évasion fiscale que les très riches ne manqueraient pas (ils le font déjà) de pratiquer, la taxation des près de 3000 milliardaires dans le monde à un taux de 2% sur leur fortune, ce qui impliquerait un surcroît d’impositions de 1,7%, rapporterait 193 milliards de recettes fiscales par an. Pour 68 milliardaires en France en 2024 le supplément de recettes serait de 4,3 milliards, un montant qui pourrait être facilement multiplié par au moins deux si on étendait la mesure aux millionnaires à plus de cent millions de fortune, donc du même ordre de grandeur que les dix milliards que Bercy veut faire en coupant les dépenses et pour ma part je n’ai pas de ligne rouge à vouloir l’étendre encore.

[7] C’est d’ailleurs pourquoi je ne crois guère à une dissolution de l’Assemblée d’ici un an, qui cette fois-ci réduirait à peau de chagrin les macronistes à l’Assemblée en menant contre toute raison démocratique une politique qui a fait la preuve de sa nocivité pour le plus grand nombre.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.