L'Observatoire des sondages est un site qui suit l'actualité des sondages les plus contestables. Il pointe avec justesse des erreurs grossières qui confinent à la manipulation de l'opinion. Je n'ai certainement pas la compétence des auteurs, puisque je ne suis même pas « Un petit prof de fac », mais leurs analyses me semblent trop rapides, uniquement à charge. Or, un mensonge dit toujours quelque chose. Il est aussi impossible de ne dire que des vérités, que de ne pas en dire du tout. Si l'on ne peut pas corriger le biais des autres, on peut le mesurer, et profiter de leur yeux en adaptant leurs vues à notre angle. L'Observatoire semble animé de manières plus vindicatives dont voici un échantillon dans les billets récents :
Euthanasie : 156 élus intoxiqués par un sondage (2018-03-01) — Faut-il que leurs convictions soient à ce point chancelantes pour qu’ils éprouvent le besoin sur une question aussi évidente que mettre fin à des souffrances infernales d’en appeler à un sondage [...] le sondage sur le point évoqué par les élus est complètement truqué.
Réforme de la SNCF : le pour, le contre, et le pour et contre (2018-02-28) — Les sondages dits « flash » (éclair), sorte de sondages low cost encore « plus vite et mal fait » que la production standard [...] Inutile donc de s’attarder sur reste, le sondage est « bon à jeter », une issue connue d’avance ou presque.
Sauver le soldat Wauquiez — Il fallait s’y attendre. Après “avoir fait le malin” lors d’une conférence donnée à l’EM Lyon le 15 février, suscitant consternations et indignations, le président de LR a été contraint d’organiser son sauvetage. [...] Il ne manquait plus qu’un sondage au dispositif. C’est le sondeur Elabe qui s’en est chargé.
Ce dénigrement systématique à longueur de billet ne contribue pas à former l'esprit critique. Politiquement, cela peut produire un effet de connivence contre les sondeurs, leurs clients, les médias et l'oligarchie, mais cela n'attire pas les sensibilités modérées qui en sont encore à leurs premiers soupçons. Mon intention n'est certainement pas d'attaquer le projet d'un observatoire des sondages, mais de l'améliorer en évitant ces phrases automatiques qui n'apportent pas d'information.
Après une première version de ce billet, j'ai tenté une prise de contact avec cet Observatoire des sondages, qui s'est conclue par des tweets, dont ceux ci-dessous. Est-ce qu'un chercheur s'exprimant sous comité scientifique emploie maintenant les smileys et les manières d'un troll ? C'est l'occasion de saluer la fondation Jean Jaurès (critiquée ici à cause d'un sondage sur le complotisme). Ils publient une étude de Jérôme Fourquet (Ifop) sur la sécession des classes favorisées, en capital financier, mais aussi, en capital culturel. La stratégie internet de cet Observatoire des sondages illustre, d'une manière un peu extrême, une tentation de la recherche à se retirer sur sa science, plutôt que de contribuer utilement à la société.

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La/le chercheur anonyme en sondage de cet Observatoire a effacé ces tweets et continue une croisade irrationnelle au nom de «la science», en ayant perdu la première qualité scientifique qui est le débat argumenté. Les exercices universitaires dans les sciences humaines, et notamment la solitude de la thèse, sont des épreuves qui ne bénéficient pas à tous les caractère. Les sciences dures, du simple fait qu'elles doivent partager des équipements, formalisent un travail collaboratif qui protège peut-être plus de telles dérives.
Wauquiez expliqué au futur ou aux étrangers
L'anecdote Wauquiez ne va pas rester fraîche longtemps dans les mémoires, racontons-la pour dans 3 ans, ou pour des étrangers. Les Républicains est un parti politique français de droite traditionnelle, hérité du XXe siècle. Fondé sur l'anti-nazisme et l'anti-communisme, il défendait les valeurs bourgeoise du XVIIIe siècle, liberté de penser et d'entreprendre, contre la discipline de parti et les nationalisations. Avec l'échec du soviétisme, et le développement à gauche d'un parti social-démocrate-libéral, cette droite a perdu le monopole de ses valeurs. Les apparentes alternances entre gauche et droite ne montraient plus de différences dans les politiques. Une extrême gauche non stalinienne est restée vivante, une extrême droite (Front National) obtient ses premiers succès électoraux durant un gouvernement socialiste (1982).
En 2017, le système électoral présidentiel français a enfin permis l'équivalent d'une coalition parlementaire au centre (Macron), comme en connaissent la plupart des démocraties européennes depuis 15 ans. Les Républicains avaient deux options, soit rester fidèles à leurs valeurs désormais au pouvoir et disparaître, beaucoup se rallièrent à Macron, libérés d'un appareil partisan lourd de dettes et de défaites ; soit de se distinguer, en cherchant des valeurs plus à droite. Laurent Wauquiez, 42 ans, peut espérer un retournement de l'opinion de son vivant, il a donc pris la tête de son parti de droite en voulant l'ancrer dans l'opposition, il le tire vers le populisme nationaliste. Il manque de notoriété. 30% des français n'ont pas d'opinion sur lui en février 2018. Même dans son camp, il est largement devancé par des anciens leaders comme Juppé ou Sarkozy. Mais cet homme sans scrupule me manque pas d'intelligence médiatique et politique.
Un manipulateur fait le buzz, les médias suivent
Le 15 février 2018, Laurent Wauquiez a donné un cours dans une école de commerce à Lyon, en tant que président de la région. Le professeur n'a rien préparé, il s'est étalé en confidences et ragots de bas niveau, tout le monde a pu découvrir le bonheur des journalistes lorsqu'ils obtiennent des confidences d'un politique, en off. Dès le début, il annonce aux étudiants : « pas de tweet, pas de post sur les réseaux sociaux, pas de transcription de ce que je dis, parce que sinon, ça ne peut tout simplement pas être un espace de liberté, et ce que je vais vous sortir sera juste le bullshit que je peux sortir sur un plateau médiatique ». Jamais un cours en université publique ne se permettrait une telle médiocrité de langage, car les cours peuvent toujours être enregistrés, et comme ils sont gratuits, les enseignements médiocres n'ont pas d'étudiants. Il est étrange que les commentaires médiatiques ne s'interrogent pas d'abord sur le salaire de Wauquiez pour ces séances, et l'objectif pédagogique dans la formation des étudiants.
Même en école de commerce, les étudiants ne sont pas aussi obéissants que des journalistes, leur revenu ne dépend pas de fausses confidences politiques. Un téléphone est si vite sorti que l'enregistrement s'est retrouvé dans l'émission Quotidien. Wauquiez est-il tacticien, ou naïf ? Il ne semble pas très fin stratège sur les menaces géopolitiques de la France : « on parlera beaucoup d'enjeux de sécurité, je ne suis pas un adepte de la thèse du complot, mais je pense que dans trois quatre ans, ça va péter très très mal et très très dur ! ». Mais politiquement, il affiche très clairement ses désirs, prendre les thèmes du Front National.
Les journalistes sont entrés ensuite dans une concurrence pour reprendre cette information, sans y ajouter de faits ou d'analyse, alors qu'avec internet, il suffit d'un lien pour revenir à la source du Quotidien. Malheureusement, la bande intégrale n'est pas encore publiée, ce qui ne permet pas de mesurer si ces perles sont des incidents ou bien significatives de l'ensemble. Par contre, le concert médiatique fut sans fausse note, chacun y prenant sa partition attendue, et des sondages ont été convoqués
Un petit sondage Ifop, pas si mal fait
Dans l’Ifop rejoint l’équipe de secouristes de Laurent Wauquiez, l'Observatoire des sondages tient sa partition, l'analyse critique des sondeurs et des médias. Le reproche scientifique concerne la formulation biaisée des questions : « Et d’après ce que vous en savez, diriez-vous que vous êtes d’accord ou pas d’accord avec chacune des affirmations suivantes ? Vous avez été choqué par les propos de Laurent Wauquiez. Laurent Wauquiez a eu raison de parler de manière « cash » lors de cette intervention ». L'observatoire reproche : « les propositions de réponse à la question principale ne sont pas symétriques ». Les universitaires ont une autre proposition d'alternative : « 1. L. Wauquiez a-t-il eu raison de “parler cash” ? 2. L. Wauquiez a-t-il eu raison de “parler trash” ? » L'observatoire conclut avec un argument professoral : « C’est le b.a.-ba de l’enquête par questionnaire. Impossible donc que l’Ifop ne le sache pas. »
Laissons l'exploitation journalistique et analysons les résultats détaillés rendus publics par l'Ifop. D'abord, l'institut demande aux sondés : « Vous personnellement, avez-vous entendu parler des propos de Laurent Wauquiez ? » en proposant trois options : « Oui, et vous voyez précisément de quoi il s’agit. Oui, mais vous ne voyez pas précisément de quoi il s’agit. Non, vous n’en avez pas entendu parler. » Un chiffre brut n'a aucun sens tout seul, par contre, il prend de la valeur lorsqu'il est croisé avec d'autres critères. L'Ifop a cette excellente habitude de ventiler les résultats selon les critères de son panel. Beaucoup de catégories peuvent être discutées, mais les conseilleurs ne sont pas les payeurs, commençons par tirer le parti de ce qui existe pour en voir les limites.
Sexe, âge, diplôme
Après avoir analysé les «je ne sais pas» du baromètre politique d'un autre institut (Ipsos le Point), on peut confirmer le profil des électeurs moins informés. Dans l'ordre, ceux qui ignorent le plus l'affaire Wauquiez sont : chômeurs (33%), âgés de 18 à 24 ans (32%), employés (32%), sans alignement partisan (30%), diplômés d'un CAP ou d'un BEP = Bac-2 (29%), âgés de 25 à 34 ans (27%), électeurs de Marine Le Pen au premier tour des présidentielles 2017 (25%). On retrouve des caractéristiques classiques du niveau d'information politique, faible dans la jeunesse, et chez les non alignés. Le rapport au niveau d'études n'est pas parfaitement linéaire. Les sans diplômes sont plus nombreux à en avoir « entendu parlé » que les CAP-BEP, mais, ils sont les moins nombreux à « voir de quoi il s'agit ». Les moins diplômés auraient-ils de la défiance à l'égard des questions qui testent des connaissances ?

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La présentation graphique ci-dessus étale le niveau d'information par un dégradé de couleur et pose la courbe des réactions aux propos de Wauquiez, « tout à fait ou plutôt choqué », « tout à fait ou plutôt d'accord avec la manière “cash” ». La proportion est calculée par le sondeur sur « les personnes ayant entendu parler des propos de Laurent Wauquiez », alors que parfois la majorité d'une catégorie dit ne pas savoir de quoi il s'agit. Cette réaction est donc peu précise, problème méthodologique non évoqué par la critique de l'Observatoire. Pour les deux questions, les réponses enregistrent 4 degrés d'adhésion. On regrettera que le sondé soit forcé de trancher sans avoir les options : neutre, je ne sais pas, ou, je m'en fous. Ces réponses seraient tout à fait comprises par les interrogés, mais évidemment, l'analyse demanderait plus de nuances que ce que permet une pastille radio. En conclusion, les chiffres absolus des réactions ne sont pas représentatifs de grand chose, il faut plutôt observer leurs variations.
Le premier déséquilibre, qui concerne toute la population, est la différence sexuelle. Les femmes s'avouent un peu moins informées que les hommes, mais surtout, elles sont beaucoup plus nombreuses à dire qu'elles ne savent pas exactement de quoi il s'agit. Par ailleurs, c'est aussi la catégorie qui a le moins de réponse extrêmes. Sont elles plus scrupuleuses dans la réponse aux sondages, ou s'intéressent-elles moins à l'actualité ? Cette dissymétrie sexuelle sur l'aveu d'ignorance et la modération des réactions s'observe aussi sur le baromètre politique d'un autre institut. Ce déséquilibre joue un peu sur l'appréciation des propos, les femmes sont un peu moins choquées, et un peu moins favorables au « parlé cash ». Il demeure en tous cas un biais massif qui traverse toute la population, il faudrait genrer toutes les catégories du panel, notamment l'âge et le diplôme, pour mieux étudier la différence sexuelle. Le sondeur a les données, gageons qu'il sache s'en servir dans ses bases, on regrettera qu'il ne les publie pas.
Des phénomènes sociaux majeurs sont lisibles dans ce simple graphique. L'intérêt pour la politique augmente avec le diplôme et l'âge. Un point est rassurant pour la démocratie française, l'âge permet peut-être de rattraper le retard pris par le niveau scolaire. Cependant, les sans diplôme sont aussi plus souvent chômeurs, catégorie la moins informée, qui risque de le rester si la société ne s'organise pas de nouveau autour du travail. Par ailleurs, passé 50 ans, et le Bac, les propos de Wauquiez choquent et « la manière “cash” » est moins appréciée, mais d'autres critères sont plus distinctifs.
Déplacement des alignements politiques

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Depuis les résultats des présidentielles 2017, l'Ifop a l'habitude de situer son panel selon le vote déclaré au premier tour (il manque malheureusement les abstentionnistes), et selon la proximité partisane aujourd'hui. Les réactions des électeurs ne correspondent pas nécessairement aux partis d'aujourd'hui, décalages très significatifs des dynamiques. On observe d'abord un niveau d'information politique différent pour l'extrême-droite et les non alignés. Le niveau des choqués et des cash observe une courbe symétrique en 8, retrouvant presque exactement la moyenne aux extrémités (choquant : 56%, cash : 44%). Les formulations non symétriques ne semblent pas avoir perturbé les sondés, qui ont du répondre en miroir assez automatiquement.
Les soutiens au parti présidentiel (La République en Marche!, EM!) tiennent le centre de l'indignation contre le « parlé cash ». Les électeurs d'il y a bientôt 10 mois de Macron, ancien ministre d'un gouvernement socialiste, s'indignent un peu moins.
Sur la gauche, le PS actuel semble proche d'Hamon, mais il y a un fossé entre eux et la France Insoumise, sur l'irritation au style démagogique. Gageons que le PS campera sur la « faute morale » de Mélenchon qui n'a pas appelé à voter Macron en 2017, ils auraient voulu le plonger dans leur désastre de 2002 où ils ont appelé à voter pour la droite de Chirac, contre le FN. Les électeurs de Mélenchon sont un petit peu moins politisés que les alignés FI, une partie a peut-être rejoint les sans parti.
À droite, l'électorat de Fillon, particulièrement âgé, tolère mais n'est pas enthousiaste aux excès de Wauquiez, qui rencontre son public avec les Républicains (LR) d'aujourd'hui. Si le style plaît aussi à l'extrême droite, pour ceux qui en ont entendu parlé, le niveau de culture politique montre une différence sociologique avec la droite traditionnelle. La frontière ne relève probablement pas de la morale anti-raciste, qui a fondé la droite d'après-guerre, elle ne tient plus qu'à un style, qui présente mieux. Les non-alignés partagent avec le FN de s'être moins informé de cette affaire, ils ne sont pas plus séduits que choqués par le style cash.
La stratégie de Wauquiez est un calcul de triangulation selon les mêmes paradigmes que ces analyses. Il ne surgit pas avec une offre qui renouvellerait l'arc politique, il creuse une différence de posture entre Macron et le FN, espérant que le trou fasse tomber des gens chez lui, sans avoir à définir un programme politique. Les riches ont trouvé en Macron un serviteur plus compétent pour leur épargne, et les pauvres que la gauche dégoûte préféreront l'original frontiste à la copie. LR s'installe dans une stratégie de parti minoritaire, qui compte sur l'usure de Macron et le moralisme anti-FN, pour rafler la mise présidentielle à l'occasion. Ils n'ont plus de thèmes économiques ou identitaires à eux, à moins que Wauquiez compte tirer parti de la crise du chef au FN.
Un complot des sondeurs ?
Pour une mauvaise enquête, il y avait pourtant beaucoup d'informations à en tirer. L'Observatoire des sondages s'empêche (pour l'instant) d'analyser par une hypothèse trop simple de collusion entre les sondeurs et les journalistes. Cet effet existe probablement, mais il est économiquement négligeable, relativement à l'intérêt des instituts à mesurer exactement l'opinion. Le sondeur qui a l'évaluation la plus précise d'une élection gagne une compétition commerciale auprès de ses clients les plus rentables, les marques, pour des enquêtes marketing. Comment une firme peut elle évaluer la qualité du travail d'un sondeur ? Elle ne peut évidemment pas mettre en place un instrument de mesure aussi global qu'une élection.
On peut imaginer que les sondeurs ont intérêt à influencer les résultats électoraux pour les prévoir plus précisément, mais ils ne pourraient pas être assistés de la même fièvre médiatique pour leurs enquêtes marketing. Fillon a bien essayé de soutenir sa candidature avec l'institut Filteris, fondé par un sarthois domicilié au Canada, et prétendant faire parler le big data de Facebook et Twitter. Les journalistes n'ont pas manqué de relayer ce sondeur dissonant, mais le site est fermé depuis les résultats du premier tour des présidentielles. Même si la tentative avait été honnête, cet institut n'a plus un client, et a même durablement discrédité (à tort) le sondage qualitatif des expressions sur Internet. L'erreur n'est pas de dégager les traits sémantiques attachés à des candidats, mais de croire que ces qualités peuvent être ramenées à une intention de vote chiffrée. Avec une main directe sur les données et de tout autres moyens informatiques et intellectuels, Facebook ne manquera pas de montrer à l'avenir ce que peuvent ces méthodes.
Dans tous les sens, il est beaucoup plus plausible de penser que les sondeurs font de leur mieux, qu'ils ont l'argent pour recruter les meilleurs spécialistes, mais ils sont limités par des contraintes commerciales qui orientent leur communication. La machinerie à mettre en place pour sortir des résultats comme ceux analysés ici n'est pas à la portée d'un individu seul, ou d'un laboratoire public de sociologie, qui n'aura pas la notoriété et la pérennité pour attirer et entretenir un panel représentatif. Par contre, on mesure bien que la formulation des questions est négociée avec le commanditaire, qui cherche à avoir tout de suite la phrase choc sur laquelle communiquer. Le décalage entre la richesse de l'information fournie par le sondeur, et l'indigence du commentaire journalistique, est assez désolant.
Des journalistes trop centrés sur leur profil de classe
Les journalistes ont-ils tort ? Au vu du niveau d'information politique très variable des électeurs, ils sont pris dans une concurrence de l'attention où une analyse sans souci d'audience, comme ici, perdrait une grande partie de leur public. Entre une population de diplômés annuellement croissante qui n'a pas besoin de leur médiation intellectuelle, et une partie de l'opinion que la politique n'intéresse plus, leur rôle est difficile, d'autant que les conditions de travail s'empirent. Les jeunes sortis de Science-Po le savent et s'orientent beaucoup moins vers le journalisme.
« Laurent Wauquiez chute de 13 points auprès des sympathisants de droite ». Ce titre semble tout droit tiré d'un journal, il est en effet repris dans les médias presque tel quel depuis le 1er mars 2018, la source est le baromètre politique Elabe pour Les Échos et Radio Classique. Le sondeur a parfaitement compris comment plaire à ses clients, qui ne prennent pas la peine de lire les résultats qu'ils ont payé, il leur fournit donc directement des gros titres. Globalement, Wauquiez n'a perdu que 3 points de popularité selon cette étude, il a surtout gagné 4 points de notoriété, en faisant baisser les sans opinion sur lui de 29% en février à 25% en mars. Il aura toujours le temps de retourner ceux qu'il a froissé aujourd'hui, par contre, il est urgent pour lui de s'imposer dans le paysage des mémoires, comme un pôle répulsif ou attractif mais incontournable. S'il baisse « à droite », c'est que le terme se redéfinit et se rapproche de Macron. Wauquiez force les hésitants à choisir pour pouvoir compter sur son parti, stratégie qu'un Mélenchon n'a pas manqué d'analyser.
Les journalistes, diplômés prolétarisés, ne se décentrent pas assez, et probablement faute de temps, laissent s'exprimer mécaniquement leur profil de classe. Relativement à l'affaire Wauquiez, ils s'indignent spontanément contre une stratégie populiste, trouvant un accord avec les autres diplômés et les soutiens à Macron, ce qui ne doit pas déplaire à leurs employeurs et annonceurs. On les voit chercher toutes les informations qui montreraient que Wauquiez a fait une erreur qui lui coûtera cher, ils servent involontairement son plan. Il en résulte aussi qu'ils n'informent pas leur public de ce qui se passe réellement, sciant un peu plus leur branche, abandonnée par les deux bords de l'opinion qui sentent qu'on ne leur dit pas tout, auxquels s'ajoutent ceux qui le savent.
Pour un observatoire des sondages
Un blog indépendant d'observation des sondages est certainement une excellente idée, mais il faudrait plus de monde pour élever le niveau des analyses par la diversité et les débats. C'est dans cet esprit de controverse scientifique bienveillante, mais sans aucune concession sur ce qui semble vrai, que ce billet a été écrit. Dans l'idéal, un tel Observatoire deviendrait une école d'analyse pour les étudiants, les journalistes, et les sondeurs eux-mêmes, qui seraient peu à peu invités à publier plus de chiffres bruts, permettant de construire des analyses alternatives. Mon souci personnel, parce qu'il ne faut jamais le cacher, est politique. Je ne veux pas m'enfermer dans ma bulle sociologique protégée par Facebook, je veux me construire une représentation réelle de la société, même si elle ne me plaît pas.

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