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Lorsque la musique s’arrête, un premier protagoniste, étrange créature à tête d’oreiller, entre en scène sur un plateau nu bordé, à cour et jardin, de deux bandes de réserves d’accessoires qui seront utilisés tout au long du spectacle. Le premier a déjà récupéré une sorte de grand plateau quand la seconde fait son apparition, prenant au passage un sac plein de billes que les deux acolytes, assis en tailleur l’un en face de l’autre, vont s’amuser à faire rouler sur la surface du grand plat avant de le secouer, créant un mini-tremblement de terre qui va éjecter les billes et les répandre partout sur le sol. Sans un mot, ils se positionnent alors sur les bords du fond de scène et commencent délicatement à tirer le fil qui entoure l’espace de jeu, ramenant ainsi toutes les billes vers eux. La scène, d’une grande beauté tant plastique que visuelle, est caractéristique du travail scénique du collectif Old Masters[1] qui, depuis 2014, s’approprie et réagence « les discours et les pratiques les plus variées, banales ou expertes, qu’elles soient artistiques, scientifiques, politiques ou quotidiennes[2] ».Marius Schaffter, Jérôme Stünzi et Sarah André, proposent de déconstruire les rhétoriques scientifique et artistique par la convocation de la beauté dans l’anodin et le dérisoire. Les deux amis, bientôt rejoints par un troisième, s’amusent toute la journée à faire des trucs. Kim, Cleub et Mauro font des choses avec des objets. Lorsque Jonathan, le cousin de Cleub, leur rend visite, il trouve incroyable ce qu’ils font, alors que tout ce qu’il fait, lui, il trouve ça nul. Alors, tous l’encouragent à « faire son truc ». Un trois plus un qui devient vite quatre dans cette « performance jeune public d'expérimentation de l'autonomie et de la liberté par l'émerveillement ».

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Première pièce de théâtre chorégraphique pour jeune public du collectif Old Masters, « La maison de mon esprit » apparait comme la somme de leurs spectacles précédents, empruntant à « Constructionisme », « Fresque[3] », « L’Impression », « Le Monde » et « Bande originale[4] », des fragments de scénographies, costumes, objets, lumières et autres effets sonores, agencés de façon inédite et à l’adresse du jeune public. S’interrogeant sur la surproduction de biens matériels mais aussi immatériels, le collectif affiche sa volonté d’inclure le développement durable au sein même de sa pratique artistique. On retrouve ainsi les ingrédients qui ont fait son succès : « une panoplie d’objets et de visions inoubliables, une bonne dose d’abstraction, une rasade de bienveillance et de la douceur par-dessus ». Déconstruire le monde pour en inventer un autre plus agréable, c’est bien ce qui anime ici le collectif, créer un lieu safe de l’imaginaire rien que pour les enfants, chacun d’eux étant capable d’inventer son propre univers. Le spectacle est en effet pensé spécifiquement pour les 6-10 ans, une tranche d’âge qui correspond au début de la construction d’un monde logique, où les questions de norme et de possible et d’impossible s’imposent comme primordiales, où est intégré la multiplicité des points de vue, le fait que chacun pense et perçoit différemment. Les enfants ont cette formidable capacité d’entremêler leur perception subjective du monde et la réalité objective. Le monde et leur monde ne sont pas séparés. En grandissant, cette faculté disparait hélas, et notre monde intérieur se retire dans un jardin secret, à l’abri des regards extérieurs. « La maison de mon esprit » a été imaginée dans le but d’offrir aux jeunes spectateurs un lieu propre à leur pensée, un espace pour réinventer le monde. Tous les enfants détournent les objets, ce que font précisément les protagonistes de la pièce, deux, puis trois et bientôt quatre étranges créatures, sortes de doudous géants, poupées à taille humaine et aux costumes doux, aux têtes en forme d’oreillers. Pour parler directement aux enfants, le collectif a choisi de privilégier l’action visuelle. Les dix premières minutes du spectacle sont d’ailleurs entièrement muettes, laissant aux enfants le temps d’observer avant de rire et même de faire des commentaires, s’adressant spontanément et avec bienveillance aux protagonistes. Quelque part entre une galerie d’art et les ruines de leurs précédents spectacles, la scénographie apparait volontairement épurée, colorée, à la fois artificielle et organique. Dans le théâtre de Old Masters, tout, les dialoguent, les chorégraphies, la mise en scène, est guidé par la scénographie qui est comme un monde à part entière avant d’être un décor.

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« La maison de mon esprit » constitue un fabuleux terrain de jeu, un refuge à travers lequel le collectif Old Masters a voulu s’adresser directement aux enfants. Dans ce monde minimal et altruiste, tout le monde est le bienvenu avec sa fragilité et sa force créatrice. Avec ce spectacle, comme avec les précédents, le collectif cherche à faire naitre une émancipation par le regard que nous portons sur les choses qui nous entourent. Ces regards sont multiples. Mis en partage, ils forment la base d’une réalité commune, fondent notre expérience du monde. « Certes, notre regard, nos perceptions, nos jugements se basent en grande partie sur une culture et une éducation dont nous avons hérité. Mais ils se fondent surtout sur notre capacité de résistance, de réécriture, de réappropriation et de déconstruction de cet héritage » affirme le collectif dans sa note d’intention. Old Masters envisage la représentation théâtrale comme une œuvre plastique totale et en fait à nouveau la démonstration ici. Cette maison où l’on se sent si bien est une métaphore de l’espace mental dans lequel chacun de nous se projette pour échapper au quotidien. Déconstruire le monde pour en inventer un nouveau encore inconnu n’est pas l’apanage des enfants. Chacun de nous est capable de bâtir l’univers.

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[1] Marius Schaffter (comédien et dramaturge), Jérôme Stünzi (scénographe et artiste visuel) et Sarah André (auteure, artiste visuel et scénographe, alias André André).
[2] Tel qu’il se définie sur son site : https://oldmasters.ch/le-collectif/
[3] Guillaume Lasserre, « ‘Moi ce que j’aime c’est les angles’. Une idée suisse de la beauté », Un certain regard sur la culture/ Le Club de Mediapart, 28 octobre 2017, https://blogs.mediapart.fr/guillaume-lasserre/blog/271017/moi-ce-que-jaime-cest-les-angles-une-idee-suisse-de-la-beaute
[4] Guillaume Lasserre, « Symphonie d’une brève histoire du monde », Un certain regard sur la culture/ Le Club de Mediapart, 30 janvier 2022, https://blogs.mediapart.fr/guillaume-lasserre/blog/300122/symphonie-dune-breve-histoire-du-monde
« LA MAISON DE MON ESPRIT » - Une création de Old Masters. Écriture, chorégraphie et mise en scène Old Masters et Sofia Teillet. Interprétation Sarah André, Marius Schaffter, Jérôme Stünzi et Sofia Teillet. Création lumières Joana Oliveira. Régie lumière Edouard Hugli. Création sonore et musique Nicholas Stücklin. Administration Laure Chapel – Pâquis production. Diffusion Tristan Barani. Production Jessica Vaucher. Co-production : Théâtre Saint-Gervais, Genève et Arsenic – Centre d’art scénique contemporain, Lausanne, Kicks! Festival, Bern. Soutiens : Pro Helvetia – Fondation suisse pour la culture, Organe genevois de répartition de la Loterie romande, Corodis, République et Canton de Genève.
Du 2 au 4 avril 2025,
Comédie de Valence CDN Drôme Ardèche
Place Charles Huguennel
26 000 Valence
Du 30 octobre au 1er novembre 2025,
Le Ciel Scène européenne pour l'enfance et la jeunesse
22, rue du Cmt Pégout
69 008 Lyon

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