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Billet de blog 2 janvier 2022

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Italie. « Nous sommes l’opposition qu’on n’entend pas »

45 contributions d'écrivains, poètes et artistes italiens qui s'opposent au dessein politique greffé sur l’urgence en Italie, rassemblées dans l'ouvrage collectif « Noi siamo l'opposizione che non si sente », dir. G.Milani, Transeuropa ed., oct 2021. Dans ce billet : la préface de Giulio Milani, la contribution de Ginevra Bompiani, des extraits du texte de Lello Voce et du glossaire de Mia Lecomte.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Beaucoup d’autres grands auteurs qui partagent cette vision n’ont pas souhaité ou pu s’exposer. Car s’exposer est un risque, comme à chaque fois dans l’histoire quand l’autre visage de la démocratie, son âme totalitaire (J.Talmon), menace de prendre le dessus : quand l’État de droit cède le pas à l’État éthique, la société ouverte à la société immunitaire. » (Giulio Milani, in "Noi siamo l'opposizione che non si sente")

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Illustration 1

Préface, par Giulio Milani

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L’anthologie que vous avez entre les mains est le fruit des discussions fébriles que j’ai eues, surtout à distance, à partir du mois de mars 2020, avec les interlocuteurs de ma « bulle éditoriale » sur Facebook. Durant la période sombre où j’ai subi comme tout le monde la suspension – voire la « réduction » – de la plupart de mes droits constitutionnels et de mes libertés, il m’a très vite semblé évident, grâce à ma formation d’historien, que le « fait nouveau », comme on l’appelait, n’était pas le virus et sa discutable létalité mais la manière dont, pour la première fois en 75 ans d’histoire républicaine, on affrontait la situation : hors des hôpitaux, on assistait à une ingérence dans la vie quotidienne, l’état d’urgence se généralisait sans aucun fondement juridique hormis quelques renvois à la loi ordinaire instaurant la Protection Civile, qui ne mentionnait aucunement les épidémies et se limitait à prévoir des modes d’intervention et des domaines d’application à l’échelle municipale, provinciale ou, tout au plus, régionale. Or, non seulement le Gouvernement italien s’était donné carte blanche pour légiférer à ce sujet sans aucun débat parlementaire, à l’instar d’un cabinet de guerre, mais il se préparait à brandir l’adjectif « international » pour justifier le nouvel état de fait dont nous devions prendre acte : le lockdown[1]. Un mot anglais, incisif, dont la séduisante neutralité technique contenait en elle-même tout ce qu’il fallait savoir.

Deux jours plus tard, le 12 mars, après avoir assisté aux opérations mettant en scène un déploiement « total » des forces de l’ordre, de la santé et de la protection civile qui devait rendre ce slogan opérationnel, je m’étais déjà déclaré prisonnier politique. Et quatre jours plus tard, le 16 mars, j’ai fondé le groupe national « L’uomo che corre. Osservatorio civile sul Coronavirus » qui a donné naissance au groupe auto-organisé « Rivoluzione Allegra ». Il m’a suffi de comprendre la dimension précisément politique de l’autre slogan messianique, « la santé avant tout », pour voir comment le comité de santé publique et le « lockdown » contenaient les ingrédients que l’on retrouve dans n’importe quel « mouvement violent de l’histoire » (Luciano Canfora, La scopa di Don Abbondio) qui prend pour modèle la Révolution française.

Bien entendu, j’ai eu droit à une pluie d’insultes, de bannissements, de censures directes et indirectes (j’ai même vu partir en fumée un contrat avec Laterza qui avait été mon éditeur jusque-là). Il était devenu impossible de discuter de ce fait politique nouveau et très grave que représente la cession de son propre corps à l’État : les « gardiens de la Révolution » étaient désormais accourus au service volontaire.

En quelques jours à peine, l’urgence sanitaire était devenue le prétexte parfait pour se défaire des contraintes budgétaires prévues par la Constitution et pour demander à l’Union européenne des reports et des prêts du type « helicopter money », souvenez-vous, que même le souverainiste le plus radical n’aurait pas osé imaginer. De fait, le « rêve politique de la peste, moment merveilleux où le pouvoir s’exerce sans partage » (Michel Foucault, Les anormaux) était déjà parfaitement à l’œuvre[2]. Mais dans quel but ? S’agissait-il de mettre un terme à l’urgence comme tout le monde s’accordait à le dire ou de l’alimenter pour mettre fin à un modèle économique, politique et social désormais inutilisable – celui-là même qui avait montré à tous la profondeur de son abîme, peu avant, quand le pont Morandi de Gênes s’était effondré ? Après dix-sept mois et une progression sécuritaire inouïe, certaines personnes s’interrogent encore ou refusent de voir un lien entre le prétexte (urgence ou crise sanitaire) et le projet politique qu’on veut nous greffer. Mais d’autres ont compris que Covid et rêve politique de la Covid sont forcément imbriqués et parmi eux se trouvent les auteurs du présent volume.

L’idée de rassembler les réflexions, les impressions, les expressions de celles et ceux, parmi les poètes, écrivains et artistes italiens qui n’ont pas suivi ou qui ont cessé de suivre le récit dominant, m’est venue au printemps dernier dans un échange avec la poète Mia Lecomte, qui me disait avoir perçu en France un débat plus ample, et plus élevé[3]. Nous avons réfléchi ensemble à une première liste de contributeurs à partir des informations directes ou indirectes dont nous disposions sur l’étendue de leur désaccord face à la dérive spirituelle, intellectuelle et démocratique en cours. Puis nous avons élargi la palette en essayant de trouver un équilibre entre le nombre d’interventions, la stature des auteurs et la qualité des contenus. J’espère que le livre témoignera de cet effort et de l’urgence d’une telle démarche. Nous savons que beaucoup d’autres auteurs importants partagent notre vision mais tous n’ont pas souhaité ou pu s’exposer. Car, disons-le, depuis plus d’un an et demi maintenant, s’exposer est un risque, comme à chaque fois dans l’histoire quand l’autre visage de la démocratie, son âme totalitaire (Jacob Talmon), menace de prendre le dessus : quand l’État de droit cède le pas à l’État éthique, la société ouverte à la société immunitaire.

Nous avons exclu d’emblée les journalistes, les scientifiques, les philosophes et les médecins dissidents car leur voix – aussi minoritaire soit-elle – a déjà pu s’exprimer dans des essais, des interviews et quelquefois aussi à la télévision. Nous voulions donner la parole aux gens de lettres, aux artistes, parce que nous sommes persuadés que la plus grande censure de notre époque, bien avant le rêve politique de la Covid, est celle qui a effacé de notre horizon l’image du sage et, parmi les sages, en particulier ceux qui procèdent de la « culture de l’initiation » – désormais largement déchue.

Aux « initiés », l’idéologie du marché préfère aujourd’hui « les scientifiques », surtout ceux que l’État et le marché ont sur leur livre de paie. Alors, de fait, de quoi parle-t-on : de science ou de marché ? Seul un naïf peut croire que Science et Culture, quoique pompeusement auréolées d’une majuscule, correspondent un tant soit peu à ce que les plus âgés d’entre nous ont connu, avant l’avènement de la fameuse « pensée unique » (autrement dit, l’oligopole éditorial qui plasme l’opinion publique et la plupart de nos « opinions en location » (Ingeborg Bachmann) dont la structure et le mode de fonctionnement ont été amplement décrits, par exemple, par André Schiffrin dans le volume Editoria senza editori (1999). Depuis trente ans au moins, il existe une « censure du marché » qui est capable de dénaturer les auteurs avant même qu’ils n’aient vendu leur première copie ou d’obtenir les travaux des chercheurs en échange d’une « visibilité » dans des revues autrefois indépendantes et prestigieuses, comme la revue « The Lancet » si souvent citée (détenue, depuis les années quatre-vingt-dix, par la multinationale Reed Elsevier qui a investi différents secteurs lucratifs[4]) transformant jusqu’à l’édition scientifique en un business en amont (éditions payantes) et en aval (depuis les manuels scientifiques et technologiques jusqu’aux échanges de faveurs, comme dans le cas éclatant du faux dossier contre l’hydroxychloroquine que « The Lancet » a lui-même fini par rétracter, ou du Rapport dont l’OMS avait chargé le groupe de travail de Francesco Zambon mais qui a été retiré parce que jugé « politiquement incorrect » à l’égard de la gestion italo-chinoise de la crise). Ainsi, quand on parle de science et de culture au sein de l’industrie éditoriale, de quoi s’agit-il ? De la désertification produite par l’idéologie du profit.

Alors voici ce que je propose : et si nous bâtissions, dans ce désert, un édifice entièrement neuf, dont l’objectif ne serait pas de remplacer ce système – surtout pas ! – mais de tenter de vivre à côté, de manière radicalement complémentaire, comme le Sardex avec l’Euro, jusqu’à ce qu’une méthode arrive à prouver, dans les faits, et d’en bas, sa supériorité sur l’autre, sur celle d’en haut ?

Je serais très heureux si ce livre pouvait être la « pierre rejetée » pour une nouvelle forme de consacration.

[Giulio Milani est éditeur et écrivain, licencié ès Lettres avec une thèse d’Histoire militaire et sociale. Acteur de la recherche littéraire, il a co-fondé le mouvement Gli imperdonabili. Il a dirigé les anthologies I persecutori (Transeuropa, 2007) et Over Age. Apocalittici e disappropriati (Transeuropa, 2009). Il a publié les romans La cartoonizzazione dell’Occidente (Transeuropa, 1998, n.e. Laurana, 2018), Gli struggenti o i Kamikaze del desiderio (Baldini & Castoldi, 2004), La terra bianca (Laterza, 2015). Il a interviewé l’écrivain Mario Rigoni Stern dans Storia di Mario. Mario Rigoni Sterne e il suo mondo (Transeuropa, 2008). Promoteur et coordinateur de la collection « Indies » en co-édition avec Feltrinelli et de celle pour la bibliodiversité avec LibrerieCoop. Il a créé la collection « Wildword » pour Transeuropa. Son dernier ouvrage est l’essai historique I naufraghi del Don. Gli italiani sul fronte russo 1942-1943 (Laterza, 2017).]

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Black Pass, par Ginevra Bompiani

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Il n’est pas aisé de comprendre ce qui nous arrive. Nous voyons que notre vie a brusquement changé et qu’elle tarde à redevenir ce qu’elle était. Beaucoup commencent à penser qu’elle ne sera plus jamais celle qu’on a connue. En ce qui concerne le climat, une idée a définitivement pris pied : le niveau de dégradation de la Terre que nous avons atteint est irréversible. Quant à la maladie, les optimistes les moins acharnés commencent à se dire qu’elle pourrait ne jamais se terminer, si ce n’est pour faire place à un nouveau variant ou à un nouveau bond de la maladie de l’animal à l’homme. Beaucoup finissent par accepter l’hypothèse qui nous voit passer d’un vaccin à l’autre, ignorant chaque fois un peu plus leur contenu et leurs effets directs et indirects.

Autrement dit, nous avançons à grands pas vers la résignation.

Comment se fait-il que nous nous résignions si vite, si facilement à la maladie et à la mort ?

Autrefois, quand quelqu’un mourait, les proches, de foi chrétienne, se posaient la question de savoir si le défunt avait été content de mourir.

Mais peut-on être content de mourir ? Seul celui qui croit fermement à une vie meilleure après la mort le peut. Et nous, y croyons-nous ?

Certaines religions maintiennent les fidèles dans cette croyance tenace et vont même jusqu’à les encourager à donner et à se donner la mort pour atteindre plus vite la récompense que celle-ci leur réserve.

Et nous, est-ce que nous nous demandons : mort, quelle est ta récompense ?

Que nous réserve la résignation, à nous, croyants et non croyants ?

Dernièrement, j’ai repris en main un livre que j’ai lu dans ma jeunesse : Brave New World (Le nouveau monde) d’Aldous Huxley. Bien que le monde dystopique qu’il décrit soit encore très loin du nôtre, je crois pouvoir dire qu’une première caractéristique commune est désormais bien visible : nous sommes conditionnés.

Cela fait presque deux ans qu’on nous conditionne, par des messages répétés à l’infini, des images qui suscitent la peur et le désarroi, des ordres méticuleux et incompréhensibles, des menaces, des accusations et des injures. Conditionnés par la peur, l’isolement, la distance, l’impuissance. Conditionnés à ne pas être-là, à ne pas être présents !

Les instruments d’un tel conditionnement sont facilement identifiables :

  • le « consensus autoritaire », l’homogénéité enragée de la non-pensée commune. Autoritaire, d’une part parce qu’il vient d’en haut (le même message dans les médias, dans les émissions télévisées et radiophoniques, dans les déclarations politiques, et toujours sans la moindre intervention critique ou contraire) et, d’autre part, parce qu’il attaque furieusement quiconque ne le partage pas.
  • la culpabilisation continuelle des citoyens comme si les erreurs et les manquements du gouvernement étaient plutôt attribuables à ceux et celles qui n’ont jamais eu droit au chapitre et qui n’ont cessé d’être ballottés d’une mesure à l’autre.
  • le chantage comme instrument final, pour imposer l’obéissance à tout citoyen refusant d’assujettir son corps à des vaccins dont l’utilité et les effets secondaires sont incertains, avec pour conséquence de couper la population en deux, où une partie est presqu’entièrement privée de droits – depuis le droit à la culture et à la récréation jusqu’au droit au voyage, au travail, aux études, tandis que l’autre jouit de ses privilèges.

Telle est désormais la soi-disant démocratie occidentale. Incapable d’affronter une maladie contagieuse mais capable de mettre en place (grâce à la maladie et aux vaccins) un contrôle minutieux de tous les citoyens, en faisant fi des lois, de la Constitution, de toutes les règles de la vie civique et de la fameuse liberté qui devrait être le flambeau de nos sociétés.

Les armes de ce conditionnement sont l’hypocrisie, la mystification, la numérisation.

Son but : le contrôle ? l’isolement ? la transformation économique et numérique ? Ou tout cela n’est-il qu’un instrument pour atteindre un autre objectif que la plupart d’entre nous – voire tous – ignorent encore ?

Que les choses soient claires, je ne pense pas à un complot mais à des convergences, celles qui se produisent dans l’air, à partir desquelles les époques changent, les cultures meurent, les griffes s’aiguisent.

Que pouvons-nous contre elles ? Equitare, arcum tendere, veritatem dicere, selon la devise que Karen Blixen a empruntée à Hérodote : Penser, résister, dire la vérité.

[Ginevra Bompiani est née à Milan. Elle a vécu à Paris, à Londres et à Sienne – où elle a enseigné à l’université pendant vingt ans – et elle vit actuellement à Rome. En 2002, elle a créé avec quelques amis la maison d’édition ‘nottetempo’. Elle a écrit et traduit plusieurs livres. Parmi ses dernières publications : La Station thermale ([La stazione termale], trad. J.-L. Defromont, éd. Liana Levi, 2012, roman), Mela zeta (nottetempo, 2016, mémoires), L’altra metà di Dio (Feltrinelli, 2019, essai). À paraître : La penultima illusione (Feltrinelli, 2022). Son blog : Tramontana]

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Extraits de Petites notes au tempo du Charon-Virus (bonus tracks), par Lello Voce

[lire le texte complet ici]

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Pour qui sonne le glas ?

Dans un passage de La journée d’un scrutateur, Italo Calvino fait dire à son personnage, qui regarde perplexe les images des beaux gars musclés et des jolies filles souriantes reproduites sur les cartes du Parti communiste italien, à peu près ceci : « Le communisme serait-il fait pour les personnes en bonne santé ? »

Je cite de mémoire, bien entendu.

Cette phrase m’est revenue à l’esprit récemment en observant la réaction de la Gauche italienne face aux mesures sanitaires (et pas seulement sanitaires) prises par le gouvernement de Conte puis de Draghi pour lutter contre la pandémie.

Son adhésion totale et, disons-le, dédouanée par le fait que l’infâme Ministre de la Santé se situe dans la sphère la plus à gauche des deux alliances gouvernementales, a été sidérante : une adhésion acritique, fidéiste, je dirais même stupide et, précisément, gauche voire sinistre, à absolument toutes les initiatives prises par l’exécutif. Elle a ainsi abandonné à une « fausse opposition », portée par un agrégat de droites plus ou moins « complotistes » et violentes, la gestion d’un mécontentement qui avait et qui a encore de bonnes raisons d’exister. […]

Une vraie Gauche a le devoir de veiller à ce que certains espaces restent ouverts à la discussion et au débat civil et démocratique et non pas celui de s’unir au chœur des agitateurs. En plus de l’évidente erreur (et horreur) « politique » commise, sa faute a été de ne pas avoir compris que la pandémie est en fait une syndémie, de ne pas percevoir l’aspect politique qui sous-tend le drame. Peut-être est-ce parce qu’elle porte elle-même une grande part de responsabilité politique de ce qui s’est produit. Si certains souhaitaient entendre sonner le glas annonçant la mort des forces de gauche en Italie, eh bien, on peut dire de manière assez sûre qu’il a retenti haut et fort.

Les sages qui deviennent bêtes et l’étrange cas d’un « petit poisson »

Comme chacun sait, les effets du maudit Charon-Virus sont multiples et, apparemment, ils mutent dans le temps.

Un effet dont on ne parle jamais est sa capacité instantanée à transformer un Prix Nobel, un virologue de très haut niveau et le philosophe italien le plus connu et le plus estimé en trois grands abrutis.

Luc Montagnier, Didier Raoult et Giorgio Agamben sont tombés comme trois anges déchus. […]

Et puis, on ne manquera pas de citer le cas tout particulier de Francesco Zambon, le fonctionnaire de l’OMS qui a dénoncé publiquement les pressions et les censures que certains hauts-dirigeants de la principale et plus prestigieuse organisation de santé internationale ont fait peser sur son rapport à propos de la gestion de la première phase de la pandémie en Italie.

Les preuves documentées que Zambon a fournies sont telles et d’une telle gravité que rien ne peut les réfuter.

Prévenir et/ou soigner

Est-ce que prévenir vaut toujours mieux que soigner ? […] Mais si on ne peut pas prévenir ? On renonce à soigner ?

Et, surtout, comment prévenir quelque chose qui a cours ? Pour commencer, puisque nous ne sommes ni des chercheurs ni des médecins, il ne serait pas inutile que ces derniers s’accordent au moins sur un point : la vaccination de masse est-elle la bonne réponse en cas de pandémie ? Et si oui, sommes-nous vraiment en mesure de vacciner tous les habitants de la planète, soit environ huit milliards de personnes, et de le faire en quelques mois, ou un an au maximum, pour atteindre la fameuse immunité collective tant recherchée ?

Or il ne me semble pas qu’il y ait le moindre accord sur ce point. […]

Le naïf incompétent que je suis ne comprend toujours pas pourquoi, d’un côté, on a empêché les essais sur le fameux plasma hyper-immune et on a fait échouer les efforts du pauvre docteur Di Donno qui tentait de créer un système efficace de récolte et, d’un autre côté, on a applaudi et on applaudit encore chaque avancée sur les anticorps monoclonaux synthétiques qui ont le même effet, mais le mérite certain de coûter des milliers de fois plus cher.

Le silence qui a entouré le suicide de Di Donno apporte, me semble-t-il, une grande partie de la réponse. […]

[…] il faudra à un moment donné que nous ayons un débat sérieux, réellement scientifique et radicalement politique sur les vaccins, leurs effets, leur fonction « symbolique » et les intérêts énormes et complètement économiques qu’ils véhiculent et qu’ils ont véhiculé. Ainsi que sur toute la gestion de la pandémie, sans oublier ce que disait Naomi Klein il y a quelques années à peine, dans son livre sur le capitalisme et sur la manière dont il gère les urgences et les catastrophes.

Sans une telle réflexion, toute analyse purement matérialiste n’aurait pas de sens.

Donnez-moi une urgence sans fin et un bouc émissaire et je soulèverai le monde

En effet, le besoin de créer une situation sans possibilité de voie médiane (ou ceci ou cela) et la recherche presqu’obsessionnelle d’un bouc émissaire sur lequel faire peser toutes les responsabilités ont été deux constantes des mesures adoptées dans la gestion et la communication de la pandémie et aussi – par un inquiétant effet de miroir – des thèses qui ont essayé de les contester.

Dès le début, en 2020, tout a été volontairement présenté non pas comme une urgence sanitaire mais comme une guerre : la guerre contre le virus. Un virus qui, grâce à ses propriétés indiscutables – « invisible », mutant, difficile à identifier, frappant les innocents les plus fragiles (les vieux), avoir été provoqué par une grande puissance ennemie, le capital-communisme chinois, susciter l’effroi, la peur, un sentiment d’insécurité et de désespoir, mettre en péril la « zone de confort » (la « vie nue » d’Agamben) à laquelle chaque citoyen n’avait pas et n’a pas l’intention de renoncer – semble reprendre plusieurs traits caractéristiques de l’urgence précédente, celle créée par le terrorisme, avec une surprenante continuité de situations et d’événements que le sens commun juge toutefois totalement différents et non assimilables aux précédents.

Par ailleurs, c’est une guerre qu’on était et qu’on est toujours à deux doigts de perdre, non pas à cause des troupes héroïques envoyées au front (médecins et infirmiers, …), ni de leurs généraux (les « Meilleurs » du Comité Technique Scientifique, entourés d’une poignée de contractors télé-visibles), mais à cause d’une pléthore de « déserteurs » que l’on a identifiés successivement à différentes catégories de citoyens. […]

Inutile de déranger René Girard. Ni Manzoni et sa Colonne infâme, d’ailleurs. […]

La seule chose qui ne s’est jamais vraiment interrompue, c’est la production. Allez savoir pourquoi.

Le vaccin, dans son avènement (je crois que c’est le bon terme), a résumé à lui seul ce mécanisme et l’a rendu pleinement efficace grâce à son incroyable pouvoir symbolique. À partir du moment où nous avons eu accès au premier vaccin, tout a changé : nous avions la solution grâce à un miracle de la science (une science qui fait des miracles devrait poser question mais ici, au contraire, elle a rassuré notre vieille nation, catholique jusque dans la moëlle) et quiconque osait s’y opposer devait recevoir le traitement mérité, comme le traître sur le front. Fusillé dans le dos. […]

Certaines théories ne se discutent même pas, les vérités scientifiques avant tout – tant pis s’il n’est pas clair qui décide ce qui est une vérité scientifique et ce qui ne l’est pas – puisque le débat, le doute systématique, l’intersubjectivité sont à la base de ce que nous définissons comme « vérité scientifique », aux antipodes de toute vérité dictée par la foi.

Pourtant, ce qu’on nous demande c’est d’avoir foi dans la science, au mépris total du ridicule et forts d’un grand succès de masse. Comme quand on s’entête à qualifier de « mission de paix » toutes les guerres dans lesquelles notre pays se fourvoie, affamés que nous sommes de profits et de privilèges.

Il faut donc jeter aux oubliettes les nombreux travaux sur la non neutralité de la science, sur ses aspects politiques, jeter l’enfant avec l’eau du bain, que l’enfant s’appelle Jervis, Arnao, Szazs, Illich ou Basaglia ou tant d’autres qui, comme eux, nous ont montré au cours des dernières décennies que la santé publique, la recherche scientifique et sa transformation en techniques médicales sont une question politique avant même que médicale ou épidémiologique.

On a alors assisté à un déferlement assez inquiétant de néopositivisme sauvage habitué, aujourd’hui comme hier, à prêter le flanc au capitalisme – libériste et tout aussi sauvage – en lui fournissant des pseudo-justifications scientifiques. On a vu se déchaîner un peu partout des troupeaux de « progressistes » atteints de ce que le collectif Wu Ming 1 (à qui je dois aussi la définition de « ratio-suprématistes ») a récemment appelé le « syndrome du perceur de ballons » à la recherche obsessionnelle et obsédée des « fakes des anti-vax », des essaims de Gendarmes de la Vérité Scientifique, qui ne manquent jamais à la fin de leurs actions de dévoilement du honteux mensonge anti-vaccinal d’inciter leurs disciples à la violence, ni d’attribuer l’un ou l’autre épithète injurieux à quiconque ne pense pas comme eux. […]

Or réclamer la liberté de choix pour les traitements thérapeutiques n’est en rien une position anti-vax. Au contraire, cela suppose la possibilité pour chaque individu de choisir librement son traitement thérapeutique, y compris la vaccination. […]

Et si nous avions raison tous les deux ? Et si la peur, ce ciment social, était en fait devenue notre nouvelle réalité ? La seule réalité capable de faire tenir ensemble tous les morceaux d’un monde au bord de l’implosion…

Le Green Pass, ce revolver fumant

[…] Nous avons dépassé le stade du traitement sanitaire obligatoire, nous en sommes au traitement sanitaire « par chantage ».

Et certains vont jusqu’à réclamer à grande voix que les non-vaccinés soient exclus des soins médicaux ou, en tout cas, qu’ils couvrent eux-mêmes les frais (très élevés) en cas d’hospitalisation – une idée relayée avec succès d’ailleurs dans les médias.

Personne pour faire remarquer qu’à ce rythme, il me semble évident que les prochains sur la liste seront les fumeurs, les toxicomanes de tout poil, puis viendront les alcooliques, les obèses, et pour finir quiconque a un style de vie « non salutaire », mange trop de sucres, trop de viande, etc.

Tout comportement peu « salutaire » est considéré dommageable pour la société et, par conséquent, celui ou celle qui adopte ce type de comportement ne doit plus avoir accès à la santé publique et – pourquoi pas alors aussi ? – à toute une série de droits « sociaux », voire même l’école, la culture, l’assistance sociale, la mobilité.

On s’achemine vers une société où la santé n’est plus un droit mais un devoir, un devoir « social ».

Bien évidemment cela ne vaudra pas pour tous… […]

Le Green Pass est en quelque sorte le revolver encore fumant qui prouve, au-delà de tout raisonnable doute, qu’à l’heure qu’il est la pandémie est avant tout une question politique, une syndémie, avec tout ce que cela comporte. […]

Le monde qui nous attend est celui où les êtres humains auront pour seul objectif la défense de la « vie nue », libres de troquer leur propre capacité (et mieux encore celle des autres) à penser et à agir de manière autonome en échange de promesses de sécurité, où la démocratie s’éteindra définitivement et cèdera le pas à une société totalitaire et totalisante où être sain est un devoir, un devoir social pour ne pas peser sur les autres. Et personne, en réalité, n’est jamais complètement sain, ni immune. Life is a killer, disait John Giorno…

Entretemps, les autres (les peu très peu nombreux autres) œuvrent et continueront à œuvrer à la destruction de toute condition de vie « saine » dans le monde, à l’élimination totale des équilibres écologiques. Avec tous les effets néfastes et inéluctables que cela entraîne mais dont eux, les autres, se seront certainement mis à l’abri, grâce à leurs richesses et à leurs privilèges.

Jusqu’à l’explosion finale, celle-là même dont nous parlait déjà, dans les années vingt, le fameux complotiste, terreplattiste et probablement anti-vax qu’était Zeno Cosini.

[Lello Voce fait partie des pionniers européens du spoken word et de la spoken music. C’est lui qui a introduit la Poetry slam en Italie. Il a publié plusieurs livres et CD de poésie, avec des artistes comme P. Fresu, F. Nemola, A. Salis, M.P. De Vito, M. Gross, S. Merlino, dont : Farfalle da combattimento (Bompiani, 1999), Fast Blood (MRF Music, 2005 – Premio Delfini di poesia, avec les illustrations de Sandro Chia), L’esercizio della lingua (Le Lettere, 2010) Piccola cucina cannibale (Squi[libri], 2015, avec F. Nemola et C. Calia), pour lequel il a reçu le Premio Napoli. Il a publié chez Transeuropa le roman Il Cristo elettrico (2021). Son dernier livre-CD, toujours avec Frank Nemola et avec la participation de Paolo Fresu, est Il fiore inverso (Squi[livri], 2016), qui a reçu le Prix national de poésie Elio Pagliarani. Depuis 2017, pour Squi[libri] il dirige « Canzoniere », la collection de livres/CD consacrés à la poésie avec musique et aux Poetry comix.]

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Extraits du Glossaire pour la fin du monde, par Mia Lecomte

[Lire tout le glossaire ici]

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Armée : joker des forces de l’ordre. Ferme la main.

Asymptomatiques : (infra Positifs) complices inavoués de virus (infra) dormants.

[...]

Bien : commun. Monétisable par quelques privés dans des paradis fiscaux.

[...]

Chauve-souris : pangolins (infra Wuhan) et autres animaux. Y avait des gros crocodiles et des orangs-outangs. Des affreux reptiles et des gros moutons blancs. Des chats des rats… Et leurs semblables. À entonner tous ensemble, à grande voix, pour renforcer la construction de vérités.

[...]

Complotistes : négationnistes, no-vax, free vax... Une seule famille aux multiples formes et couleurs (supra). Les Barbapapa du désaccord, à enrégimenter tous sans exception.

Confinement : apothéose des frontières, pour nous séparer de nous-mêmes.

Couvre-feu : entre le prince et la citrouille. Avec un seul escarpin.

[...]

Culture : AWOL.

[...]

Démocratie : AWOL.

Dialogue : AWOL.

Distanciation : sociale. Ratification des inégalités.

[...]

Enfants : à condition d’accepter qu’ils n’ont pas le droit de l’être.

Europe : viol mythique, plus que jamais actuel (infra Lockdown). Entretemps, « elle nous le demande » (infra Pass, Sacrifice).

Fermeture : démantèlement progressif de la réalité physique. Et de la réalité virtuelle non conforme.

Gestes : barrières. Danse macabre de la nouvelle humanité.

Héros : médecins et personnel soignant ayant dû combattre en première ligne une guerre sans armes ni ressources. Décorés, pour leurs mérites, du traitement sanitaire expérimental obligatoire.

Hygiénisation : rite purificatoire. À l’aide d’agents chimiques et d’eau, cotés en bourse.

Information : AWOL.

Innovation : et progrès… des investissements financiers.

Isolement à domicile : aussi appelée agonie. Autrefois, quand le médecin quittait la pièce, un prêtre se chargeait d’administrer l’extrême onction. Aujourd’hui on monte dans la gloire avec du paracétamol.

Jeunes : irresponsables, privilégiés car ne risquant pas de mourir. Afin de protéger les plus faibles, ils sont priés de se sacrifier jusqu’au suicide.

Justice : AWOL.

Liberté : AWOL.

Lockdown: cluster, disposer, cashback, fake, green, hub, plan, recovery, tracing, testing, treating... La langue de la pandémie (infra) : origine, causes, buts et objectifs. Sous-titres en chinois pour malvoyants.

Mortalité : si elle n’est pas validée par un taux, elle ne nous concerne pas (infra Vieux).

Pandémie : synecdoque pour contenu syndémique.

Pass : vaccinal, covid, green (supra Lockdown). Laissez-passer pour l’avenir qui est le nôtre.

[...]

Pitié : AWOL.

Plateforme : forme plate, sans épaisseur, apte à prédisposer à une conscience virtuellement bidimensionnelle.

Positifs : négatifs par antonomase. Tester (infra Test) pour croire.

Prévention : AWOL.

Protections : hygiénico-sanitaires. Masques, gants, visières, gel à l’efficacité incertaine et assurément toxique. Marqueurs de la distanciation (supra) et de l’acceptation. Impact environnemental garanti.

Réouverture : précède et suit à outrance la fermeture (supra).

[...]

Sacrifice : des éternelles victimes sur l’autel du veau éternel (supra Bien).

Science : et conscience (et dérivés). Grammaticalement inséparables. Plus distants que jamais.

Sécurité : à tout prix, sans concession. Face à tous et à tout ce qui est imposé comme ennemi.

Spiritualité : AWOL.

Système immunitaire : AWOL.

Test : télescopage de l’existence réelle du virus (infra).

Thérapies géniques : expérimentales (infra Vaccins). Plurimarques, interchangeables. De préférence de masse et périodiques. Elles ne requièrent ni anamnèse ni pharmacovigilance, en particulier pour les mineurs (supra Enfants). L’exceptionnalité scientifique absolue garantit des effets salutaires y compris dans le domaine éthique et politique : la prédisposition au bien commun (supra) est certifiable grâce à un sauf-conduit (supra Pass).

Traçage : au crayon, au bic, au sang, électronique, génétique… selon le degré de civilisation.

Traitements à domicile : fake (supra Lockdown). Trop efficaces et pas assez rentables pour être vrais. Incompatibles avec le plan de réforme de la Santé, ces traitements vont jusqu’à vanter l’accompagnement constant et gratuit des médecins en chair et en os.

Vaccins : AWOL (supra Thérapies géniques).

Variants : dudit leitmotiv, pour orchestrer la terreur.

Virus : Lui, le Seul.  

Vieux : (à ne pas confondre avec les personnes âgées de la gérontocratie) toujours « nôtres », à protéger et à défendre, surtout face aux jeunes (infra) qui n’acceptent pas les restrictions des libertés. C’est pourquoi on les enferme tous dans des EPHAD : pour les protéger – la solitude et la peur disparaissent avec l’antidépresseur quotidien, d’autres médicaments se chargent du reste –, pour défendre leur droit de se souvenir de la mort à chaque instant, et le nôtre de l’oublier.

Wuhan : ville chinoise de plus de dix millions d’habitants qui, jusqu’en 2020, n’était connue que de quelques présidents, ministres et immunologues américains et français, amateurs de chauve-souris et de pangolins (supra).

[Mia Lecomte est une poète et écrivaine italienne d’origine française. Parmi ses publications, on retiendra : un recueil de poèmes Al museo delle relazioni interrotte (2016), des récits Cronache da un’impossibilità (2015), un livre pour enfants Gli spaesati/Les dépaysés (2019). Ses poèmes sont traduits dans plusieurs langues et sont apparues entre autres dans For the Maintenance of Landscape (2012, trad. Johanna Bishop et Brenda Porster), Nuda proprietate (2020, trad. Eliza Macadan) et La où tu as ton corps (2020, trad. Éric Sarner et Roméo Fratti). Elle a fondé La compagnia delle poete. Elle traduit du français, écrit des critiques et dirige des publications dans le domaine de la littérature transnationale italophone, essentiellement poétique. Elle est rédactrice pour les revues « Semicerchio » et « La Traductière ». Elle collabore à l’édition italienne du Monde Diplomatique. Elle a co-fondé l’agence littéraire transnationale Linguafranca.]

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[1] L’expression « lock down » utilisée par les anglophones indique, dans le jargon carcéral, un enfermement arbitraire, imposé par l’autorité à tous les prisonniers. Un « détail » linguistique qui a échappé à la plupart, mais plutôt parlant : « Lock down – an operational status when all prisoners are confined to cells and unit. » Ou encore : « An emergency security procedure in which prison inmates are locked in their cells and denied the usual privileges of dining, showering, etc. outside of them. » Autrement dit, nous avons été traités dès le début comme les reclus d’une prison de haute sécurité soumis à un régime punitif : ils nous l’ont dit de manière explicite.

[2] Une analyse plus vaste et documentée de ces aspects historiques, politiques et anthropologiques, ainsi qu’un « premier Vademecum de lutte », est contenue dans mon livre La peste e la rivoluzione, auquel je renvoie le lecteur pour tout approfondissement.

[3] Avec Mia, à cette époque, je caressais l’idée de publier sa traduction du livret De la démocratie en pandémie de Barbara Stiegler mais Gallimard a depuis cédé les droits à d’autres.

[4] Lire à ce sujet l’analyse critique d’André Schiffrin, op. cit., p.89 et suiv.

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Traduit de l'italien par S.Guzzi

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Les 45 auteurs de l'ouvrage collectif publié en italien sont : Roberto Addeo, Giovanni Agnoloni, Lucianna Argentino, Fabrizio Bajec, Francesca Bartellini Moech, Francesco Benozzo, Franco Berardi Bifo, Giorgio Bianchi, Donatella Bisutti, Ginevra Bompiani, Mario Bramè, Davide Bregola, Stefano Burbi, Michele Caccamo, Simone Cerlini, Carlo Cuppini, Raphael d’Abdon, Caterina Davinio, Monica Dini, Luca Fassi, Rita R. Florit, Gabriele Frasca, Andrea Garbin, Andrea Genovese, Peter Genito, Giovanna Giolla, Marco Guzzi, Mia Lecomte, Enrico Macioci, Flavia Mastrella, Eva Milan, Emanuela Nava, Aldo Nove, Riccardo Paccosi, Vincenzo Pardini, Antonio Francesco Perozzi, Federico Pietrobelli, Andrea Ponso, Antonio Rezza, Luca Rossi, Federico Sanguineti, Gianfranco Sanguinetti, Francesco Scardone, Marco Tutino, Lello Voce.

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