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Charles Heimberg. Historien et didacticien de l'histoire

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Billet de blog 9 novembre 2025

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Une Maison des Mémoires a été inaugurée à Annemasse

Bonne nouvelle pour l'histoire et la mémoire: une Maison des Mémoires a été inaugurée dans les locaux de l'ancienne prison du Pax, avenue de la Gare. Un intéressant parcours historico-mémoriel y est proposé dans lequel il est beaucoup question de passages de frontière advenus ou non-advenus. Il pourrait contribuer à ouvrir la frontière de mémoires qui caractérise le bassin franco-genevois.

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L'année 2025 marque les 80 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale et ce 8 novembre l'inauguration à Annemasse d'un Centre d'interprétation sur la Seconde Guerre mondiale, une Maison des Mémoires appelée ultérieurement à se développer sur d'autres thématiques patrimoniales ou historiques de l'agglomération. Elle est située avenue de la Gare, dans un lieu de mémoire authentique, les locaux de l'ancienne prison du Pax, juste en face de ce qui a été le siège de la Gestapo, dans l'hôtel Pax, durant l'occupation allemande entre le 8 septembre 1943 et le 18 juillet 1944.

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L'entrée du bâtiment inauguré. © heimbergch

La ville d'Annemasse est une ville-frontière et son histoire durant la Seconde Guerre mondiale concerne en particulier des passages de frontière advenus, souvent au péril de la vie de leurs protagonistes, et parfois tragiquement non-advenus. La narration historico-mémorielle concerne donc des passeurs et passeuses, dont les emblématiques Mila Racine et Marianne Cohn, mais aussi des personnes ayant pu passer en Suisse, et surtout des personnes détenues, victimes juives ou victimes résistantes qui sont passées par la prison du Pax et dont le destin ultérieur a pu être encore plus dramatique. Sans oublier la figure de Jean Deffaugt, maire d'Annemasse à l'époque, qui a eu un rôle important, notamment pour la défense, la protection ou le sauvetage d'enfants qui se sont retrouvés dans cet enfer.

Illustration 2
L'ancienne prison du Pax à Annemasse. © Archives Municipales Annemasse

L'espace d'exposition est modeste, 120 m2, mais il se révèle plutôt riche par sa scénographie et ses contenus (voir cette courte vidéo). Il propose un récit général autour de panneaux explicatifs évoquant notamment l'Annemasse ville-frontière susmentionnée, la création de la prison, juste en face du siège de la Gestapo, avec ses conditions inhumaines et ses tortures, les bourreaux du Pax, la Shoah comme extermination systémique, les sorties du Pax, la libération d'Annemasse du 18 août 1944 ou le difficile retour à la normale. Une série de documents photographiques est également présentée. Les montages audiovisuels de témoignages filmés, issus d'archives ou du travail de documentation du réalisateur Florian Geyer, auteur du film La haine et la peur réalisé et présenté à l'occasion de cette inauguration, constituent un élément fort du dispositif. De même, et surtout, une vitrine présente le registre d'écrou de la prison du Pax et un écran donne accès à la version numérisée de l'intégralité de ses pages recensant 689 matricules pour 742 prisonniers connus, les enfants n'ayant pas tous été nommément inscrits. Bien entendu, c'est d'abord à la mémoire de toutes ces victimes que le Centre d'interprétation est dédié, c'est dans cette mémoire qu'il trouve sa première raison d'être. Or, de ce point de vue, ce registre d'écrou, le volume et ses contenus, paraissent tellement importants pour cette narration historio-mémorielle qu'ils auraient même pu trouver une place encore plus centrale dans le dispositif général de l'exposition.

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© heimbergch

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Le registre d'écrou dans sa vitrine. © heimbergch

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L'écran tactile pour la lecture numérique du registre. © heimbergch

L'apparition de cette Maison des Mémoires à Annemasse est à saluer à l'échelle du bassin franco-genevois parce qu'elle peut aider à enfin dépasser la faible connaissance mutuelle de l'histoire et de la mémoire de l'autre, en particulier autour de la Seconde Guerre mondiale, de chaque côté de la frontière. Les personnes qui ont par exemple entendu parler de Marianne Cohn côté suisse sont vraisemblablement peu nombreuses, alors que les contenus critiques dudit rapport Bergier de 2002, leurs contestations récurrentes et le caractère fragile de leur reconnaissance ne sont probablement pas très connus non plus côté français. C'est là une véritable frontière de mémoires qui s'observe. Or, avec la récente apparition de la ligne du Léman Express entre Genève et Annemasse, il y a désormais une connexion à faire valoir. En effet, tout près de la gare de Genève Cornavin, au parc des Cropettes, se trouve une plaque commémorative rappelant un "camp de triage de l’armée pour les réfugiés passés clandestinement en Suisse", ainsi qu'un chemin dédié à Rosette Wolczak, une très jeune réfugiée de 15 ans et demi victime en automne 1943 d'une expulsion abusive et choquante par les autorités suisses pour une prétendue "mauvaise conduite" liée à des faits dont elle a été en réalité plutôt la victime. Cette mesure funeste devait la mener à la prison du Pax, puis à Auschwitz d'où elle n'est pas revenue. Or, c'est à quelques gares de là, par une ligne de train très bien desservie, que l'on peut rejoindre l'avenue de la Gare et la Maison des Mémoires d'Annemasse, c'est-à-dire cette ancienne prison du Pax où la petite Rosette a été expédiée avec une telle inhumanité. Cette histoire tragique établit un lien évident entre les deux côtés de la frontière, mais il y en a sans doute d'autres possibles.

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Projection virtuelle de l'ancien escalier de la prison. © heimbergch

Avec cette inauguration de la Maison des Mémoires, deux observations nous viennent encore.

La première, c'est que l'apparition d'un tel lieu d'histoire et de mémoire est une nouvelle réjouissante par les temps qui courent, alors que l'histoire et la mémoire sont fragilisées, compte tenu de la montée de l'extrême droite et de l'obscurantisme, mais en considérant aussi la disparition en cours des derniers témoins de cette époque tragique des fascismes et de la Seconde Guerre mondiale. 

La seconde, c'est que l'un des potentiels de la scénographie et des contenus que nous avons découverts est de montrer en quoi et combien l'histoire et la mémoire ne s'opposent pas frontalement, mais peuvent interagir et se renforcer mutuellement pour autant qu'il s'agisse d'une histoire sensible aux enjeux de mémoire, capable d'entendre les propos des témoins et de les mettre en perspective, et d'une mémoire attentive aux contenus de l'histoire, prête à intégrer la complexité des situations humaines à sa quête de reconnaissance.

[Mise à jour du 11.11.25]: La Maison des Mémoires d'Annemasse peut être visitée, et cela en vaut la peine, de la manière suivante:

"[Elle est] ouverte à tous le mercredi, samedi et dimanche de 14 h à 18 h, en entrée libre et gratuite. 

Pour les groupes, y compris les scolaires, la quantité maximum est de 15 personnes, et la réservation est obligatoire, via mediation.culturelle@annemasse.fr. Les visites en groupe ont lieu uniquement le mercredi matin, et jeudi et vendredi en journée. 

Les visites guidées ont lieu mercredi et samedi à 15 h 30, et sont d'une durée d'environ 45 minutes. 

La Maison des Mémoires est fermée les jours fériés. 

Pour toute demande, merci de contacter mediation.culturelle@annemasse.fr." 

Source: https://www.annemasse.fr/actualites-et-evenements/grands-projets/creation-dune-maison-des-memoires

Charles Heimberg (Genève)

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