Publiées dans un décret au journal officiel le 3 août dernier, de nouvelles dispositions vont contraindre les sites et applications de guidage - dont les plus connues sont Waze, Google Maps ou encore Mappy - à mieux "informer" les utilisateurs sur les émissions en gaz à effet de serre engendrés par les trajets proposés.
Ce décret peut sembler de prime abord "cocher toutes les cases" : lutter contre le réchauffement climatique, dire non à l'"écologie punitive", cibler de "méchantes" entreprises du numérique de type GAFAM. La reprise de cette petite brève à la radio et dans de nombreux journaux sans autre commentaire que la dépêche AFP, produit l'effet probablement escompté en laissant penser que le gouvernement s'affaire pour nous à lutter contre le réchauffement climatique.
Sauf que si on s'intéresse un peu plus au contenu, on découvre vite qu'il ne s'agit là que d'un écran de fumée qui fait partie des nombreuses propositions de la convention citoyenne pour le climat reprises mais dénaturées par le pouvoir en place (en l'occurrente l'application article 122 de la loi Climat d'août 2021).
Concrètement, le décret comporte les obligations suivantes pour les applications de guidage :
1) afficher une estimation des émissions de gaz à effet de serre engendrée par le trajet
2) diffuser des messages de sensibilisation avec le repère #SeDéplacerMoinsPolluer sur le modèle de "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé" (message déjà rendus obligatoires dans les publicités pour des automobiles)
3) proposer des alternatives moins émettrices, autres moyens de transport ou réduction de la vitesse de 20 km/h sur les portions limités à 130 km/h
Ce dernier exemple est le plus sarcastique. Comment le gouvernement peut-il inciter les automobilistes à réduire leur vitesse sur autoroute, alors que la réduction générale de la vitesse à 110km/h figurant dans les propositions de la convention pour le climat a été retoquée ? Elle fût même la première écartée par Emmanuel Macron en personne, dès la fin des travaux en sortant un joker, alors qu'il s'agissait selon moi de la mesure proposée présentant le meilleur ratio simplicité/efficacité. Comment la parole des politiques peut-elle encore conserver du crédit quand ils font l'inverse du volontarisme qu'ils préconisent ? Rappelons que la principale réponse du gouvernement à la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine a été de subventionner l'essence pour acheter la paix sociale, au lieu de ressortir des propositions comme celle-ci.
Notons aussi le renoncement à s'attaquer réellement à la publicité et la dissonance que cela engendre. On laisse les annonceurs de produits dangereux ou "à problème" nous inciter à consommer, mais avec l'ajout d'une message contradictoire : "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé", "ne pas manger trop gras, trop salé, trop sucré", "jouer comporte des risques", et bientôt "les émissions de carbone nuisent au climat". On laisse faire la publicité qui stimule la croissance et on y colle une sort de mention légale rejetant toute responsabilité sur le consommateur. Comment peut-on croire que ces messages auront un impact significatif et entraveront le déferlement des messages publicitaire nous incitant à consommer toujours davantage ? Cf l'exemple récent d'invitation à une croisière autour du monde en jet privé...
Enfin, la contrainte imposée aux entreprises du numériques concernées n'en est pas vraiment une. Bien sûr elles devront en urgence développer quelques fonctionnalités pour répondre à ces nouvelles obligations d'affichage, mais in fine, ce type d'inflation réglementaire avantage les gros, les sociétés déjà établies en créant une barrière à l'entrée pour de futurs acteurs plus petits. Rien de bien grave sur ce cas précis, mais c'est un exemple parmi tant d'autres où au nom du bien commun on impose des règlements peu efficaces qui avantagent les grands entreprises.
En résumé, je pense que ce petit décret d'application aura un effet nul dans la lutte contre le changement climatique, et que cette petite brève qui l'annonce a elle un effet délétère en laissant croire que l'on s'active dans cette lutte alors qu'il n'en est rien.
Dans la continuité de l'appel de trois grands patrons de l'énergie à consommer moins, le gouvernement poursuit l'immuable stratégie visant à faire porter la responsabilité par les individus sur les questions écologiques pour se disculper de son inaction. La liberté de consommation est érigée en dogme qui ne peut pas être remis en cause. Mais une réduction de la vitesse de 130 à 110km/h sur autoroute serait-elle réellement une entrave à nos libertés fondamentales ? Plus importante que le droit à vivre dans un environnement sain, ou même habitable ? J'y vois plutôt un argument fallacieux. Ce gouvernent n'est pas tant que cela attaché aux libertés, sa vraie motivation est de préserver l'ordre et des intérêts économiques. Pour cela il se cache derrière des discours grandiloquents, un volontarisme de façade, mais des actions concrètes creuses.
Les médias qui relaient cette petit brève sans aucune forme d'analyse critique s'en font complices.