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Billet de blog 18 septembre 2021

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Plaidoyer pour la prohibition du tourisme spatial

En gestation depuis plusieurs années, le tourisme spatial fait ses premiers pas avec le vol de SpaceX. D'apparence anodine et divertissante, cette fusée véhicule pourtant une pensée technicienne et de croissance sans limite, en plus d'être un gaspillage énergétique exaspérant. Raisons pour lesquelle les Etats responsables pourraient et devraient l'interdire.

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Mercredi 15 septembre 2021, quatre touristes décollent de Cap Canaveral en Floride à bord de la fusée Falcon 9 de SpaceX - la société d'Elon Musk - pour passer 3 jours en orbite autour de la Terre, marquant une nouvelle étape dans le développement du tourisme spatial. L'épisode fait suite aux premiers vols, plus courts, de Virigin Galactics (Richard Branson) et Blue Origin (Jeff Bezon), en juillet dernier.  Les projets prévisionnels sont encore plus nombreux et variés, allant du vol suborbital (pour ressentir quelques minutes d'apesanteur) jusqu'aux escapades sur la lune. Cette nouvelle frontière du voyage touristique est abordée dans la plupart des médias entre curiosité, légèreté et admiration des prouesses techniques, un sujet feel good dont ils raffolent.

Ce sujet est pourtant loin d'être aussi anodin qu'il n'y parait, non pas que les caprices de milliardaires méritent notre attention, mais de par les messages qu'il véhicule.

Faillite du bilan carbone

C'est tout d'abord un gaspillage climatique inqualifiable. Certains se sont risqués à évaluer le bilan carbone de telles expéditions, comme l'a relaté France Info en juillet dernier. Pour un vol de 3 jours comme celui de SpaceX, on avoisine les 290 tonnes de CO2 par passager, soit l'équivalent de le consommation de 2,5 millions de kilomètre d'une voiture récente ! Même si les techniques s'amélioreront avec le temps, s'extraire de l'attraction terrestre nécessite une telle quantité d'énergie que le coût environnemental restera considérable, et la mise en orbite un luxe réservé à une minorité d'êtres humains.

On me rétorquera que l'activité spatiale reste marginale, que d'un point de vue très "pragmatique" ce poste est insignifiant quant à l'équilibre climatique planétaire (c'est indéniable), et qu'il serait donc plus utile de se concentrer sur les domaines qui concernent le plus grand nombre, comme l'automobile, l'isolation des bâtiments, l'agriculture, l'aviation, etc, etc...

Une lubie de riches

Sauf que la lutte contre le changement climatique n'est pas une simple mécanique comptable. Laisser, et encore plus montrer, des nantis gaspiller sans vergogne est un très mauvais signal, surtout quand les politiques publiques en terme d'écologie se résument trop souvent à de la "pédagogie", à des injonctions aux petits gestes (relayés par les bonnes intentions comme les youtubeurs naïf), à une sur-responsabilisation des individus pour camoufler l'incurie collective.

Cette dichotomie dans les messages envers les citoyens nourrit l'impression que les riches s'arrogent tous les droits alors que les classe moyennes sont de plus en plus contraintes, elle alimente la défiance envers les élites qui se répand dans toutes les sociétés occidentales dont le mouvement des gilets jaunes est une illustration manifeste. Le mouvement a été déclenché à la base par une hausse du prix des carburants justifiée par la lutte contre le réchauffement climatique... 

L'effet de cette lubie de riches est bien plus qu'un simple ressentiment au sein des classes inférieures, c'est la face émergée d'un des fondement de notre société de consommation. Car pour prolonger la croissance économique et donc la croissance de nos besoins, alors que pour une grande partie de la population citoyens les besoin primaires sont largement satisfaits, une problématique essentielle est de susciter de l'envie; un des moyens les plus efficaces est la convoitise, nous faire désirer ce que d'autres peuvent se payer, attiser notre frustration. Une grand partie de notre imaginaire collectif contemporain s'articule autour de la fabrique de notre avidité, relayée par la publicité omniprésente. Le tourisme spatial est, pour la pointe extrême de la pyramide, le désir ultime, un luxe exorbitant qui permettra à des multimillionnaires de simples millionnaires, le trophée qui motive pour continuer la course pour le toujours plus, quand on est déjà gavé de tous les conforts et les luxes imaginables pour soi-même et pour sa descendance sur des générations.


Une vision scientiste
Le luxe de l'espace se distingue pourtant des autres luxes, qu'il s'agissent de gros bijoux ou d'œuvres d'art uniques. Il porte un second message subliminal avec la glorification de ces "exploits" : la vision technicienne, pour ne pas dire scientiste, du monde. Un message qui est toujours enrobé des meilleures intentions, caritatives en lien avec un hôpital pour enfants malades du cancer, et de recherches scientifiques.

A l'heure du péril climatique, où les scientifiques nous alertent sur l'urgence à agir, une nouvelle ruée vers l'espace, rendues possible par la science, s'amorce. Comment ne pas faire le lien entre les deux sujets ?

La conquête spatiale nous dit quelque part que toutes les prouesses techniques sont possibles, que l'homme parviendra toujours à repousser les limites du possible, et sous-entend l'idée que nous pourrions demain coloniser d'autres planètes (idée absolument fantaisiste, puisqu'il n'existe pas le début d'une piste pour trouver un lieu habitable à portée de vie humaine), bref la visionne moderne technicienne d'un progrès continu et ininterrompu de l'humanité.

Cette idéologie est dangereuse car elle freine l'action et avant tout la remise en cause de nos modes de vie, en nous promettant sans cesse de nouvelles solutions "techniques" aux problèmes écologiques : la voiture électrique, les agrocarburants, la dématérialisation, le nucléaire, l'hydrogène vert, etc...  des solutions qui souvent ne résolvent aucun problème (cf l'exemple des agrocarburants) ou en engendre de nouveaux encore de plus complexes (e.g. la gestion des déchets et du risque nucléaire). Certains libéraux extrémistes l'expliquent parfaitement en nous disant qu'il ne faudrait pas entraver l'innovation technique des entreprises car c'est ce qui nous permettra de trouver les solutions pour faire la transition écologique, qu'il serait préférable de laisser polluer aujourd'hui pour mieux s'en sortir demain !

En plus de freiner les efforts à court terme ce genre de discours prépare aux solutions techniciennes de demain, une fois que les dérèglements du climat secoueront durement nos sociétés, on nous dira que nous devons recourir à la géo-ingénierie pour réparer les dégâts sans rien changer : séquestration industrielle du carbone, injections d'aérosols dans l'atmosphère, fertilisation de l'océan, etc... Si on nous devons respecter les croyances de tout à chacun, suivre cette voie est un pari mystique plus que risqué, qui n'est pas dit explicitement et choisi démocratiquement par les citoyens.  

L'interdiction est possible...
Nous français et plus largement européens, ne sommes pas à la pointe de ces innovations technique (on nous le reproche d'ailleurs souvent), pas à la pointe du "progrès", et même sans doute les plus techno-sceptiques parmi les pays développés. Les prémices du tourisme spatial sont encore balbutiants, et avant qu'elle ne se déploie plus amplement, nous pourrions interdire cette activité qui n'a aucune utilité pour la communauté. 

Une loi nationale à protée universelle pourrait prohiber tout voyage au-delà de la stratosphère hors programme scientifique officiel (l'exploration spatiale à caractère scientifique est aussi polluante mais sa raison d'être tout autre, bien que la question des limites mériterait quand même d'être posée). Tout contrevenant risquerait une amende très lourde (dissuasive pour les millionnaires qui peuvent se payer un tel voyage) et quelques jours d'emprisonnement (pour ceux que l'amende ne dissuaderait pas !).Voilà une application concrète du principe d'écocide, de crime contre l'environnement qui in fine met en péril l'humanité toute entière.

Bien sûr, personne n'irait chercher les contrevenants à l'étranger, ni n'émettrait de mandat d'arrêt international, mais tout individu épris de "liberté" qui aurait fait le choix de l'espace là où peu de personnes le peuvent se retrouverait de facto interdit du territoire d'un pays, et donc amputé d'une partie de la liberté de se mouvoir. Ceci prendrait encore plus de poids si tous les pays européens s'alignaient.

On peut même imaginer pousser plus loin en inquiétant les groupes qui organisent ces voyages, de la même manière que les Etats-Unis ont contraint toutes les entreprises occidentales à respecter leur embargo contre l'Iran avec les lois extraterritoriales. Les moyens nécessaires pour ces voyages sont tellement colossaux, que ces entreprises sont adossées à des multinationales (Amazon, Tesla, Virgin) qui peuvent être menées devant un tribunal voire interdite de toute activité sur le territoire national. Même ces mastodontes peuvent difficilement se permettre de se priver du business sur un pays, ou encore pire sur un continent entier.

... et souhaitable

Une telle initiative serait, à coup sûr, source de tensions diplomatiques dommageables, avec les américains en premier chef. Mais ne serait-ce pas là un mal pour un bien ?

Si je suis le premier à penser que la "transition", les changements de nos modes de vie, doivent commencer au niveaux locaux et nationaux, qu'il faudra convaincre les autres pays par l'exemple plus que par le discours, ne rêvons pas pour autant à une société écologique qui infuserait par elle-même et sans accroc partout dans le monde.

La crise écologique, comme la crise climatique ont des causes et des conséquences partout sur la planète. Lorsque des dégâts lourds se feront jour et que de réelles mesures fortes (et pas seulement des promesses) seront prises par certains, l'écologie sera fatalement un motif de frictions diplomatiques entre les Etats. Alors si l'Europe est - un peu - en avance, pourquoi ne pas l'affirmer haut et fort sur la scène internationale ? S'affirmer, non pas pour protéger des intérêts particuliers et économiques mais pour défendre un intérêt supérieur au nom de l'humanité toute entière. Cela aurait pu par exemple être le cas quand Donald Trump a fait le choix de retirer les Etats-Unis de l'accord de Paris. Evidemment, prendre les risques d'un conflit diplomatique et économique avec la première puissance mondiale, allié historique des européens, c'est donner un poids bien plus important à l'écologie qu'à l'économie, ce qui n'est la volonté d'aucun dirigeant européen à ce jour.


Pourquoi perdre du temps à discuter, à légiférer ou à écrire des articles sur un sujet aussi futile diront assurément certains détracteurs. Même si en volume de GES émis le tourisme spatial est marginal, nous avons vu que ces fusées véhiculent bien plus qu'une poignée de passagers privilégiés. Dans la bataille idéologique à mener pour nous sauver, cette prohibition représenterait un acte symbolique fort et international pour affirmer que la préservation de l'environnement nous concerne tous à commencer par les plus riches, objecter la croissance sans limites de nos activités, montrer la prévalence de ces limites y compris sur la liberté individuelle, et enfin porter le débat étouffé du choix entre foi technologique et sobriété.

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