La ligne 17 du Grand-Paris-Express (GPE) se subdivise en deux segments (Voir carte, figure 1) : le tronçon « 17 Sud », qui fait tronc commun avec la ligne 16, de Saint-Denis/Pleyel au Bourget/RER ; le tronçon « 17 Nord », démarrant au-delà de la station Le Bourget RER et comprenant 6 gares : Le Bourget-Aéroport, Triangle de Gonesse, Parc des Expositions, Aéroport Charles de Gaulle T2, Aéroport Charles de Gaulle T4 et Le Mesnil-Amelot.

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Une démographie galopante du Nord-Est francilien ?
Le premier argument avancé par la Société du Grand Paris (SGP) pour justifier la ligne 17, est de prétendre qu’elle desservirait « 565 000 Franciliens des territoires [1]». Chiffre mirifique repris dans une tribune du 9 avril dernier - aux louanges de la ligne – signée par Valérie Pécresse et 45 élus franciliens [2], puis cité ensuite dans un article du Parisien du 21 avril [3], cette fois-ci sur le mode interrogatif. Mais d’où sortirait cette masse considérable de centaines de milliers de Franciliens dramatiquement enclavés, dans l'attente fébrile de ce fameux supermétro, censé les libérer d'un sévère et chronique «mal des transports »?
Nous présentons dans le tableau ci-dessous (figure 2) la liste des différentes gares, avec les 13 communes traversées par la ligne (Source : SGP) et les populations correspondantes du recensement INSEE 2016. Nous observons que la « 17 Sud » affiche un sous-total de 327 000 habitants et que la « 17 Nord » atteint un score moitié moindre : 168 000… Leur addition donne un total général de 494 000 résidents, résultat notablement inférieur aux « 565 000 Franciliens » avancés plus haut.

Figure 2 © J. Lorthiois
L'utilité de la 17 sud n'a pas à cautionner la 17 Nord
Par ailleurs, relevons chez les partisans du supermétro une volonté évidente - pour étayer leur argumentation - d’amalgamer les deux parties de la ligne, en les présentant comme un seul et même ensemble, de Saint-Denis au Mesnil-Amelot. Or, la 17 Sud ne génère aucune contestation : elle traverse une zone agglomérée dense ; elle se prolonge par la ligne 16 qui dessert des villes de quartiers « sensibles » (Sevran, Clichy-sous-Bois, Montfermeil…), comme le montre la carte de la figure 1. A l’inverse, les oppositions visent la 17 Nord, qui aurait une fréquentation largement insuffisante pour nécessiter un transport lourd. Méthode bien contestable d'utiliser un chiffre de population élevé au sud, pour justifier un soi-disant besoin qui s'étendrait au nord !
Car pour cautionner des urbanisations hasardeuses, les promoteurs de grands projets inutiles ont l'habitude de commettre des additions intempestives [4] et autres méthodes de calculs discutables. Ici, pour parvenir au résultat final, on a changé les règles du jeu en rajoutant des communes et on a dû racler les fonds de tiroirs de populations peu usagères des transports en commun aux heures de pointe – du bébé au vieillard -. Qu’on en juge.
Les habitants de Saint-Denis comptés 6 fois
Contestons déjà la prise en compte de l’ensemble des résidents des communes traversées par la ligne 17 Sud, également desservies par d’autres axes métropolitains. A terme, la station Saint-Denis/Pleyel doit devenir un énorme « hub » de transports en commun pour la banlieue nord, d’une importance similaire à celui de la Défense à l’ouest. Une interconnexion qui devrait accueillir pas moins de 5 branches du GPE : 14, 15 Ouest, 15 Est et le tronc commun 16-17. Sans compter l’existant : la ligne 13 et le RER D. En conséquence, il est parfaitement fallacieux d’affecter la totalité de la population de la ville de Saint-Denis à la seule ligne 17 Sud. La meilleure méthode consisterait à identifier les résidents localisés dans une aire d’influence déterminée par la gare : la DRIEA d'Ile de France [5] a effectué des évaluations basées sur un rayon de 800 m alentours (données que j’ai utilisées pour établir la carte de la Figure 7), la SGP a choisi 1 km. Admettons cet élargissement du périmètre d’attraction. Mais surtout il faudrait logiquement - pour estimer les habitants desservis par la seule ligne 17 - ne retenir qu’une portion de la population de Saint-Denis ainsi répertoriée, divisée par le nombre de lignes et de gares actuelles et futures présentes à l'intérieur du périmètre ! Même remarque en ce qui concerne Saint-Ouen, avec une situation complexifiée par la récente ouverture d'une partie de la ligne 14 du Grand-Paris-Express… Remarquons d’ailleurs au passage que, contrairement aux prévisions, le nouveau tronçon 14 ne décharge guère la ligne 13. Car visiblement leurs deux fonctions respectives ne sont pas interchangeables et les comportements des usagers… pas automatiques… Certains observateurs émettent l'hypothèse que cette mise en service n'aurait pas permis un transfert significatif de clientèle entre les deux lignes, mais attiré de nouveaux utilisateurs. Va-t-on rencontrer le même avatar pour la ligne 17, censée soulager le RER B ?… Curieusement, la SGP communique beaucoup moins sur les résultats réels du seul tronçon de ligne actuellement mis en service que sur des données escomptées sans preuves tangibles...
Mais revenons à la ligne 17 Sud : il apparaît nécessaire d'effectuer le même exercice pour les autres cas similaires… Il faudrait donc diviser par 2 le nombre de Blanc-Mesnilois obtenus (desservis également par la ligne 16), par 3 les Albertivillariens ainsi calculés (disposant aussi de deux stations de la ligne 15 Est) et par 2 les Drancéens (avec la gare Drancy-Bobigny de la 15 Est) [6]. Calculs d’apothicaires pour éliminer les doubles, triples, voire sextuples comptes… qui dépassent largement le cadre limité de cet article. Au total, nous parviendrions à une énorme surestimation quantitative… qui a de nouveau pour but de justifier l’injustifiable (voir article d'un précédent Bêtisier sur l'art de manipuler les chiffres du chômage des jeunes) [7].
Ne pas confondre habitants et usagers des transports en commun…
Autre sujet de polémique : la SGP additionne les populations des villes traversées et adjacentes, comme si cela revenait à les transporter… Pourtant les banlieusards de l'Ile-de-France - surtout ceux du nord et de l'est - rechignent à emprunter ces fameux réseaux, qui n'ont rien d'un « choix » délibéré. La très large majorité des voyageurs qui subissent tous les jours la « galère des transports» [8] vivent au contraire une situation de forte contrainte, surtout par ces temps de grèves, de pandémie, de conditions dégradées des « transports du quotidien », liées aux priorités budgétaires privilégiant les investissements d’un futur lointain et d'un « mieux » hypothétique (Grand-Paris-Express) … Piètre consolation pour des utilisateurs obligés de transports collectifs, tassés comme des sardines, subissant retards et interruptions de trafic (y compris pour des travaux du GPE) de se dire que dans 10 ans, « ça ira mieux »...
La situation est encore aggravée lors de la fameuse « HPM » (Heure de Pointe du Matin) censée indiquer la capacité optimale de l’offre de transport projetée. A cette heure fatidique, mieux vaut être un homme jeune, grand, en bonne santé et sans bagage… Les femmes enceintes, les enfants avec cartable, les touristes chargés de sacs et valises, les personnes âgées et/ou en situation de handicap… préfèrent boycotter cette « plage » peu idyllique. C’est pourquoi il serait plus rigoureux de ne comptabiliser que les « actifs occupés » comme usagers réguliers des transports : ceux qui exercent un emploi et sont tenus de rejoindre quotidiennement leur lieu de travail (sauf circonstances actuelles que l’on peut considérer comme exceptionnelles). On arrive ainsi (Tableau de la figure 4) à un total de 73 000 usagers potentiels (nous avons pris en compte aussi les communes de Roissy et Mitry-Mory, rajoutées par la SGP).

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Figure 4 © J. Lorthiois
Mais ce n’est pas tout : sur cet ensemble d’usagers potentiels, une minorité seulement fréquente chaque jour les transports en commun (TC). Tout d’abord, il convient de retrancher ceux qu’on appelle les actifs « sur place » (indiqués sur le tableau par « W s/place »), qui habitent et travaillent dans leur commune de résidence : ils n'ont aucun besoin d’utiliser des transports lourds, mais plutôt des modes doux (à pied, vélo) ou légers (bus). Ils représentent le quart des actifs occupés, soit 17550 personnes.
Restent les actifs « navetteurs », ceux qui effectuent quotidiennement des aller-retour domicile-travail. D’après le recensement INSEE de 2016, ils sont moins de 27 000 à utiliser les TC (tableau de la figure 4, colonne de droite), soit 37% des actifs occupés, c'est-à-dire 16% de la population totale. Mais attention, ceci concerne l’ensemble de tous les types de TC : aussi bien le futur métro que les RER B et D existants… ainsi que les lignes de bus et autres tramways…
En synthèse, grâce à des manipulations statistiques successives, on veut nous faire croire que cette nouvelle ligne 17 serait l'unique solution à tous les maux des « 565 000 Franciliens des territoires » situés le long d’un axe Saint-Denis-Pleyel/ Roissy qu’il s’agirait de « désenclaver ». Ainsi, par rétrécissement de focales successives, on passe d'une population élargie de 565 000 âmes à... un cœur de cible d'usagers potentiels de 27.000 travailleurs en activité, utilisateurs de transports en commun toutes catégories, dont bus et tramways. 21 fois moins.
Ce chiffre est à rapprocher du seuil maximal d'un mode de transport ne réclamant nullement la construction d'un métro : le tramway du Boulevard des Maréchaux à Paris qui dessert 200 000 voyageurs/jour.
Dialogue de sourds entre élus et populations locales
La méconnaissance du terrain explique sans doute ce décalage entre les discours des décideurs et les données du réel. Comme si cette ligne s'implanterait dans un désert d’offres de transports, alors qu’il existe en réalité une multiplicité de moyens de déplacements, mais pensés d’abord au service de la Métropole et de ses grands équipements (aéroport international de Roissy, aéroport d’affaires du Bourget, parc des Expositions de Villepinte, zones d'activités et entrepôts de logistique…), sans aucune analyse des besoins de la main-d’œuvre locale.
D'où ces exagérations statistiques, qui atteignent un record de surenchère avec la tribune de Valérie Pécresse, gratifiant la ligne 17 de « promesse d’avenir pour les millions d’habitants qui l’attendent »!... Même remarque pour une autre déclaration de la présidente du Conseil Régional affirmant dans une interview à CNews que cette ligne est « indispensable aux 1,5 millions de Val d’Oisiens » (chiffre supérieur à la population totale du Val d’Oise qui compte 1,2 million d’habitants ! Comme si l'ensemble du département allait s'engouffrer dans la gare en plein champ du Triangle de Gonesse)...
Ces chiffres délirants font contraste avec les interviews recueillies par Jade Lindgaard, journaliste à Mediapart, qui relate une manifestation organisée à Villiers le Bel en février dernier, en faveur des transports de proximité [9]. Des témoignages qui viennent totalement contredire cette soi-disant ferveur populaire pour le supermétro, miraculeuse « promesse d'avenir ». Ilham souhaite des transports près de chez elle et « pas au milieu d'un champ » ; Carlos réclame « des investissements dans les transports du quotidien » et précise que « les transports doivent passer dans les quartiers, au contact avec la population ». Khalid se plaint d'un projet de « gare à plus de 2 kms de Villiers-le-Bel et à 1,7 km de Gonesse ». (En réalité, la station du Triangle se situe à plus de 8 kms de Villiers-le-Bel et à 6 kms des habitations les plus éloignées de Gonesse, ce qui supposerait un autre moyen de transport pour s'y rendre).
Effectivement, on constate une fracture entre des élus locaux qui campent sur leurs positions : « On n'a pas l'intention de se faire voler cette gare » soutient Pascal Doll, président de l'agglomération Roissy-Pays de France... Et des habitants qui rêvent d'alternative : « l'Est du Val d'Oise mérite mieux » affiche la pancarte d'un jeune manifestant. Et Jade Lindgaard d'expliquer : « Pour les élus locaux, la gare du Triangle de Gonesse est un dû, un rattrapage des investissements publics promis, mais jamais obtenus ». Certes. Mais alors pourquoi flécher ces projets-là ? Les habitants interrogés veulent des emplois de proximité et la préservation de leur cadre de vie... On leur propose de sacrifier leurs espaces agricoles et on leur offre des transports lointains, à horizon 2030 (sans compter les inévitables retards de calendrier) et à destination d'un pôle qui licencie... Difficile d'aller raconter à un chômeur : « Revenez donc dans une dizaine d'années, vous aurez accès aux emplois de Roissy... » En juin-juillet 2010, j'avais écrit un article très critique sur le « mirage du développement de Roissy » [10] et notamment le chiffre invraisemblable de « 440 000 emplois en 2025 »... cité dans le rapport de Christian Blanc. C'est d'ailleurs à la suite de cette publication que j'avais été invitée par des militants locaux à participer à une table ronde en janvier 2011 à Gonesse, au cours de laquelle a été décidé la création du Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG). Une décennie plus tard, mes propos restent d'une étonnante actualité, tandis que le « mirage Blanc » s'est envolé en fumée...
L'inadéquation offre / demande n'est aucunement corrigée par la branche 17 Nord, qui est une radiale comme les autres (allant de la périphérie vers le centre, comme les RER B, D, CDG Express...), alors que les populations locales ont besoin de liaisons en rocades (de banlieue à banlieue), au cœur des quartiers. Citons le tramway T5 Saint-Denis /Sarcelles qu'il suffirait de prolonger en deux branches (vers Villiers-le-Bel et Le Bourget RER) pour rejoindre le fameux "hub" de Pleyel ; la tangentielle T11 Sartrouville/Argenteuil/Epinay/ le Bourget/Noisy-le-Sec ; des bus plus réguliers et fréquents en site propre, avec extension des plages horaires, des pistes cyclables, etc...
Sur un plan plus général, il faut souligner l’accroissement des inégalités entre les franciliens « premiers de cordée » plutôt logés à l’ouest et au sud de l’Ile-de-France et les « premiers de corvée » assignés à des postes non télétravaillables, situés majoritairement en banlieue nord et est. On se reportera à une carte parue sur le site de Métropolitiques [11], intitulée « concentrations d'emplois en Ile-de-France » où je montre que 19 communes sur 1274 en Ile-de-France (1,5%)... cumulent la moitié de l'emploi régional. Avec un tel degré de polarisation territoriale, rien d'étonnant que les actifs soient obligés de se déplacer pour se rendre à leur travail. De là à prétendre qu'ils souhaiteraient davantage de transports... Je pense qu'à choisir, ils préfèreraient exercer une activité à proximité de leur domicile : le rêve de « Vivre et travailler au pays » n'est pas un slogan réservé aux paysans du Larzac.
Il ne suffit pas qu’un axe de transport traverse un territoire pour le desservir
Nous nous focalisons cette fois sur les seuls besoins des habitants desservis par la ligne 17 Nord, au-delà de la gare du Bourget-RER. Nous nous basons sur un tableau - déjà ancien - établi par la DRIEA Ile-de-France estimant le nombre d'emplois et d'actifs par quartiers de gare de la ligne 17 Nord (figure 5), que nous réactualiserons au besoin.

Figure 5 © J. Lorthiois
Listons les 6 stations du réseau 17 N envisagé.
- Gare du Bourget- Aéroport
Contrairement aux indications de la SGP qui évoque sur son site la desserte des «quartiers résidentiels de la ville du Blanc-Mesnil », cette gare ne concerne en réalité que les Blanc-Mesnilois du seul quartier de l'Aviation. Elle est essentiellement dédiée au pôle aéronautique de Paris-Le Bourget, au musée de l’Air et de l’Espace et au parc des expositions du Bourget. L’APUR dans une étude [12] indique que la fréquentation de la station est « fortement liée à la montée en puissance du pôle évènementiel et culturel et au développement du pôle aéronautique et aéroportuaire ».
Sur le tableau de la figure 5, les usagers desservis sont évalués par la DRIEA à 2471 emplois salariés et 3573 actifs occupés, dans un rayon de 800 m. En se basant sur les évolutions des recensements INSEE, j’estime les chiffres réactualisés en 2016 à 2900 emplois et 3900 actifs occupés.
Des scores fort modestes, démontrant clairement que le site dédié au premier aéroport d'affaires d'Europe constitue un « espace servant » de la métropole, avec un impact local très faible. Quant au projet de développement du pôle, on peut émettre de sérieux doutes sur sa viabilité, au regard de la conjoncture actuelle et des aléas du futur.
- Gare du Triangle de Gonesse
D’après la SGP, le Triangle serait « promis à un développement économique sans précédent et à un désenclavement inédit ». Est évoqué ensuite « un ambitieux projet d'aménagement… sur une surface de 220 hectares comprenant un quartier d'affaires et un parc paysager » [1]. A croire que cet organisme n’a pas été informé de l’abandon d’EuropaCity par le gouvernement. Visiblement les données concernant le site n’ont pas été actualisées et n’intègrent pas les incertitudes qui règnent sur cet « ambitieux projet » de territoire. Pour le moment, constatons qu’il n’y a que des hypothèses d’implantations, sans aucune candidature concrète et crédible. Car les grands équipements envisagés par la présidente du CD 95 et certains élus val d’oisiens sont pour le moins sujets à caution, quand ils ne sont pas totalement délirants : antenne nord du MIN de Rungis (dans un site sans accès routier, le long de l’A1 axe le plus saturé d’Europe, 180 000 véhicules/jour) ; antenne de la Philharmonie de Paris (localisation sous les pistes de 2 aéroports internationaux avec un avion toutes les minutes et demie, endroit le plus bruyant d’Ile-de-France après le Boulevard périphérique, où il est plus que difficile d'y faire de l'harmonie !!) ; Archives de la BNF (implantation refusée par les salariés et notamment le syndicat Sud, voir la tribune d’un responsable syndical sur le site de Reporterre [13])… Quant au parc paysager, il existe déjà le parc de la Patte d'Oie de plus de 100 ha où quelques rares promeneurs flottent dans ce vaste espace, trop éloigné des habitations. Il n'y a aucun besoin d'un nouvel équipement de ce type.
Le Triangle de Gonesse, frappé par un PEB (Plan d’Exposition au Bruit) qui interdit la construction de logements, est pourtant densément habité… par de nombreuses espèces animales (vers de terre, lapins de garenne, une trentaine d’espèces avicoles, notamment des œdicnèmes criards, etc…) et végétales (par exemple des orchidées pyramidalis) dont aucune ne prend le métro [14]. En résumé : actuellement, compte tenu de promesses nullement démontrées, nous comptabilisons sur ce Triangle zéro emploi et zéro habitant humain.
--> (NDLC : On reproche aux opposants que nous sommes de ne pas "être du territoire".... Normal, y a pas d'habitants !)
- Gare Parc des Expositions (Villepinte)
Là encore, la station ne dessert que des activités économiques. La SGP évoque trois pôles en développement : le Parc International des Expositions (PIEX), les zones d'activités de Paris Nord 2 et d'Aérolians (nouveau quartier d’affaires localisé sur Villepinte et Tremblay-en-France, porté par Grand Paris Aménagement), soit 2000 emplois dans un rayon d’un km.
A signaler que le PIEX est déjà desservi par le RER B (avec les risques de doubles comptes de populations desservies évoqués plus haut). Le nombre des usagers est aléatoire et fortement tributaire des évènements et salons professionnels accueillis dans les locaux d’exposition. Pour le moment, la fréquentation est très faible et devrait le rester un certain temps.
La gare est loin des habitations : la DRIEA indique un effectif de 11300 salariés (problème évoqué plus haut de doubles comptes avec les usagers du RER B) et zéro résident.
On voit sur la carte jointe (figure 6) - extraite de l'étude APUR déjà citée - qui indique les densités de population alentours, le caractère désert de l'implantation des deux gares du Triangle de Gonesse et du Parc des Expositions. On observe davantage de population dans un rayon de 4 kms, mais alors les gains de temps sont réduits par la nécessité d'utiliser un deuxième transport de rabattement.

Figure 6 © APUR
- Gares de Roissy 2 et de Roissy 4
Avec la suppression du Terminal 4, on peut s’interroger sur le maintien de la station Roissy 4. Observons que la SGP comptabilise pour ces deux gares 92 000 emplois, soit la totalité des postes de l’aéroport (avant crise sanitaire), ce qui est contestable à plus d’un titre. En effet, le site est desservi également par le RER B et de nombreuses lignes de bus (problème de doubles comptes), la plateforme bat tous les records de gigantisme (3200 ha, à comparer aux 1100 ha de Heathrow avec un trafic aérien supérieur) ce qui oblige les actifs utilisant les transports en commun à prendre un autre moyen (bus) pour rejoindre leur lieu de travail. Il y a donc transbordement, ce qui rallonge le temps de transport, non comptabilisé dans les calculs de gains de temps de la SGP. En conséquence, on ne peut pas prendre en compte l’ensemble des emplois du pôle de Roissy. Nous n’avons aucun moyen de vérifier l’exactitude des données de la DRIEA, d’autant plus qu’elle indique aussi des doubles comptes pour les deux gares.
Nous retenons l'indication de 35 000 emplois - chiffre sans doute surestimé - pour Roissy 2 et zéro habitant - par définition dans une zone aéroportuaire -. Il n’y a pas lieu ici de réactualiser le nombre de postes de travail, car le pôle de Roissy enregistre une réduction de ses effectifs depuis 2008 et nous ignorons les pertes générées avec la crise sanitaire sur les effectifs de la plateforme. En l’absence d’informations, nous ne comptabilisons aucun emploi pour la gare de Roissy 4 et zéro habitant.
- Gare du Mesnil-Amelot
Sa pertinence apparaît très problématique : implanter une station de métro dans un village d’un millier d'habitants semble totalement incompatible avec la volonté de ne plus artificialiser les zones agricoles et rurales. On se trouve face à un cas typique d'étalement urbain, avec une gare qui générerait un immense parking, qui accueillerait les véhicules des riverains du nord-ouest seine-et-marnais, mais surtout des actifs venant de l’Oise et de l'Aisne pour rejoindre Paris. Ce qui constitue une énorme menace pour le bijou de biodiversité de la Vallée de la Goëlle (lotissements ?) contrairement à ce que prétend la tribune de Valérie Pécresse : « la ligne 17 est profondément écologique ». Un tel scénario de l’horreur ne devrait pas être du ressort du maire, mais ratifié à un niveau territorial supérieur (malheureusement le SCOT valide un schéma d’aménagement entièrement centré sur un scénario du « monde d’avant », basé sur le développement du pôle de Roissy). Nous recopions - avec un avis très réservé - les chiffres de la DRIEA que nous n’avons aucun moyen de vérifier : 3039 emplois salariés et zéro habitant.
Nous résumons notre analyse par la carte de la figure 7.

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EN SYNTHÈSE DE LA LIGNE 17 Nord
Ainsi, l'analyse détaillée de ces 6 gares fait apparaître au total un bilan catastrophique de la ligne 17 Nord, en termes d’utilité pour les habitants du territoire, comme on le peut constater sur la carte de la figure 7. Mais aussi vouloir prioriser une telle offre de transports n'est pas sans conséquences lourdes à l’échelle de toute l’Ile-de-France, compte-tenu du caractère presque exclusivement «métropolitain » des pôles de Roissy, Parc des Expositions et Le Bourget. Ce qui vient totalement contredire la tribune de Valérie Pécresse et de ses cosignataires justifiant la ligne 17 (sans précision, donc considérée dans son entier). Reprenons leurs arguments un par un.
- Utilité sociale
Selon la tribune précitée, « La ligne 17 a une vocation résolument sociale en permettant aux habitants du Val d’Oise d’accéder aux emplois le long du RER B et en particulier au bassin de Roissy ». Justement, ce n’est pas le moment d’accéder aux emplois du pôle (et non du bassin = confusion) au moment où celui-ci supprime des emplois. La réduction des embauches existe depuis 2008 [15], elle s'est à l’évidence aggravée avec la pandémie, sans qu’on puisse en mesurer les exactes conséquences.
«…le taux de chômage des jeunes dépasse les 35% dans l’est du département du Val d’Oise ». Ce chiffre de 35%, brandi comme signe de misère appelant des « mesures réparatrices », est issu d’une manipulation statistique qui a été largement détaillée dans un Bêtisier consacré spécifiquement au thème [7]. La proportion qu’il convient de retenir est : 16% de la population jeune au chômage, soit une différence de moins d’un point par rapport aux adultes. Ainsi, il n’y a aucune spécificité du chômage des jeunes dans l’Est du Val d’Oise.
→ Au total, ni l’argument d’accéder aux emplois du pôle de Roissy en pleine récession, ni celui d’un chômage des jeunes particulièrement préoccupant ne justifient la ligne 17 N.
- Utilité écologique
Citation de la tribune : « La Ligne 17 est profondément écologique et en dédoublant une large portion du RER B entre Roissy et Saint-Denis, elle offrira une vraie alternative à la voiture, notamment depuis l'autoroute A1. »
Avec la construction d’une gare sur le Triangle de Gonesse, on justifie une ZAC quelle que soit sa taille initiale (280 ha ou réduite à une centaine d’ha) qui sacrifie un patrimoine de terres agricoles d’une qualité exceptionnelle et qui entraînerait fatalement à terme l’urbanisation de la totalité du site. Par ailleurs, la gare du Mesnil-Amelot met la Vallée de la Goëlle en risque majeur d'étalement urbain et de perte de biodiversité.
En ce qui concerne une alternative à la voiture, cela se révèle impossible dans le cas du pôle de Roissy, car 80% de ses emplois sont postés, c'est-à-dire fonctionnant en horaires continus (7 jours sur 7 et 24 h sur 24), faute de couvre-feu réclamé depuis des années par les populations riveraines qui perdent 28 mois de vie en bonne santé en raison de la pollution sonore [16]. Ainsi, les prises de postes s’effectuent tantôt aux heures ouvrables, tantôt en dehors, ce qui nécessite de posséder un véhicule. Ce critère est encore renforcé par ADP qui pratique un double discours : en même temps revendiquer la ligne 17 et développer une politique lucrative de gestion de parkings qui incite au transport automobile. Sans oublier les entreprises qui défendent la ligne 17 dans un sondage, mais financent des frais de déplacements kilométriques pour leurs salariés, fournissent le stationnement gratuit et publient des offres d'emploi réclamant un permis de conduire voire un véhicule, comme critère d'embauche sur la plateforme aéroportuaire.
→ Au total, le bilan écologique de la ligne 17 N est particulièrement négatif.
- Utilité économique
Citation de la tribune : « Les habitants des territoires traversés par la ligne 17 auront, grâce à elle, accès à 2,5 fois plus d'emplois et pourront se connecter directement aux lignes 13 et 14 vers Paris. » En quoi bénéficier d’une excellente liaison avec des pôles d’emplois est-elle une garantie d’embauche ? En témoigne le cas de Saint-Denis (Figure 8), disposant dès à présent d’une très bonne desserte de transports en commun, bénéficiant sur sa commune de 2 fois plus d’emplois que d’actifs occupés, qui souffre pourtant d’un taux record de chômage (23%). Chaque jour en effet, la ville enregistre deux flux croisés : 31 000 actifs résidents partent travailler ailleurs, tandis que 75 000 autres arrivent de l’extérieur occuper un poste [17].
→ Ainsi, il ne suffit pas d’être reliés à un grand nombre d’emplois, encore faut-il que les entreprises embauchent et que l’offre et la demande correspondent. Bien plus que l’accès à une « quantité d’emplois » quels qu’ils soient, il est nécessaire que les postes proposés soient en adéquation avec les qualifications et compétences de la main-d’œuvre locale.

Figure 8 © J. Lorthiois
Par ailleurs, le pôle de Roissy a déjà perdu 20.000 emplois entre 2008 et 2016. La situation s’est fortement aggravée avec la crise sanitaire. On estime que la moitié des emplois de la plateforme aéroportuaire sont à l'arrêt et les syndicats parlent d'une suppression de 30 000 postes. Avec un tel contexte, on peut difficilement prétendre que la main d'œuvre locale du Bassin a besoin de transport pour accéder aux emplois d’un pôle en pleine récession.
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En conclusion, on constate que la ligne 17 N est entièrement pensée au service de l'activité économique et des entreprises : elle ne dessert que des pôles d'emplois et un petit quartier de Blanc-Mesnil. Elle ne traverse aucun pôle de main-d’œuvre significatif (comme pourraient l'être une desserte de Sarcelles, Garges-lès-Gonesse, Villiers-le-Bel, Goussainville...) En effet, les besoins essentiels réclament de relier des pôles d'habitat (donc de main-d’œuvre) à des pôles d'emplois. Or, l’Enquête Globale des Transports d'Ile de France (EGT IDF) a démontré que les liaisons entre pôles d’emplois ne représentaient que 3% des besoins [18]. C’est exactement le cas d’une ligne comme la 17 Nord, dont 5 gares sur 6 ne desservent aucun habitant. A l'inverse, accélérer le bouclage de la tangentielle T11 express (ancienne tangentielle Nord) permettrait d'avoir une liaison banlieue/banlieue desservant 620 000 habitants et offrant un remarquable éventail de connexions avec les rocades du nord et de l'est d'Ile-de-France. Le tableau joint (Figure 9) établit un comparatif entre les deux offres de transports en commun. S'entêter à défendre à tout prix la première solution, alors que la deuxième est à l'évidence bien meilleure, relève de l'entêtement irresponsable et de la négation de l'intérêt général.

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Pour conclure, je ne crois pas que les populations locales soient sensibles aux slogans racoleurs, répétés en boucle, qui ne reposent sur aucune réalité. Pour adapter une formule célèbre au Général de Gaulle : « On peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : ligne 17 ! ligne 17 ! ligne 17 !... mais cela n'aboutit à rien » [19]. Il faut aussi avoir des arguments, crédibles et vérifiables, appuyés non pas sur des croyances, mais sur des faits. Ici, non seulement la ligne 17 N n'a aucune utilité, mais il existe une alternative. Alors ?
N.B. Cet article a été conçu en complément de la "Lettre aux autorités" publiée sur le site de Mediapart et signée par une soixantaine de personnalités du monde de l'expertise, de la recherche, de la culture et des associations.
N.B n°2. Nous avons effleuré le sujet de l’emploi dans cet article, nous consacrerons un chapitre spécifique à l’analyse fine des emplois du pôle de Roissy et des perspectives de celui-ci, ainsi que son attraction sur le bassin du Grand Roissy.
Pour aller plus loin : deux articles de ce blog
« Les vers de terre ne prennent pas le métro », voir note n° 14
« Bêtisier d'Europacity n°7 - Transports : mobilité contrainte ou déplacements évités ?"
NOTES
[1] Site de la SGP : https://www.societedugrandparis.fr
[2] Tribune « Triangle de Gonesse : Valérie Pécresse et 45 élus franciliens défendent la ligne 17 du Grand Paris Express », Le Journal du Dimanche, 9 avril 2021.
[3] Jila Varoquier, « Grand-Paris-Express : la ligne 17 du supermétro a-t-elle encore une raison d’être ? », Le Parisien, 21 avril 2021.
[4] Je renvoie à un article de ce blog sur l’art de manipuler les chiffres : « Bêtisier d'Europacity n°6 : avec trop de zéros, on ne sait plus compter !»
[5] DRIEA : Direction Régionale et interdépartementale de l’Équipement et de l'Aménagement, ici rattachée à la Préfecture d'Ile-de-France.
[6] Nous utilisons ici les gentilés respectifs de Blanc-Mesnil, Aubervilliers et Drancy.
[7] J. Lorthiois, blog sur Mediapart : « Bêtisier du Grand Roissy n°4 - Chômage des jeunes : 1 sur 7 et non 1 sur 3 »
[8] J'ai calculé que la « galère des transports » représentait 7 années supplémentaires de travail dans une vie d’actif pour un Beauvillésois (habitant de Villiers-le-Bel).
[9] Jade Lindgaard, https://www.mediapart.fr/journal/france/140221/triangle-de-gonesse-les-transports-doivent-passer-dans-les-quartiers
[10] J. Lorthiois, « Roissy, un mirage blanc ? », Territoires, juin-juillet 2010 https://j-lorthiois.fr/wp-content/documents/pdf/509.pdf
[11] J.Lorthiois, H. Smit, « Les écueils du Grand Paris Express », Métropolitiques, 27 juin 2019.
URL : https://metropolitiques.eu/Les-ecueils-du-Grand-Paris-Express.html
[12] APUR, Observatoire des quartiers de gare du Grand Paris. Monographie des quartiers de gare du Triangle de Gonesse et Parc des Expositions - Ligne 17, avril 2017
[13] Tribune de Guillaume Riquier, syndicaliste sud culture Solidaire « la Bibliothèque de France ne doit pas détruire les terres de Gonesse », Reporterre, 23 avril 2021.
[14] J. Lorthiois, blog sur Mediapart : « Bêtisier/Triangle de Gonesse n°1 - Gare : les vers de terre ne prennent pas le métro »
[15] J. Lorthiois, blog sur Mediapart « Bêtisier du Grand Roissy n°2- La fracture territoriale est sociale, non administrative », voir la figure 3.
[16] Stéphane Mandard, « Le bruit nuit gravement à la santé des Franciliens », Le Monde, 8 février 2019
[17] J. Lorthiois « Balayer les idées reçues sur l'Emploi et le Travail », le cas de Saint-Denis est étudié pages 9 à 14.
[18] L'Enquête Globale des Transports 2010 est consultable sur le site de la DRIEAT http://www.driea.ile-de-france.developpement-durable.gouv.fr/egt-2010
[19] Charles de Gaulle, entretien télévisé avec Michel Droit, 14 décembre 1965.