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Billet de blog 6 avril 2024

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Manipulation : comment faire exploser le nombre de Val d'Oisiens travaillant à Roissy

Une fois de plus, la presse colporte la fable de 15% d’actifs du Val d’Oise travaillant à Roissy. C’est aussi le chiffre repris dans les documents du Conseil Départemental 95 et de la Région. Or, en me basant sur le dernier recensement Insee (2019) domicile-emploi, je trouve des chiffres jusqu'à 7 fois inférieurs à ce score, selon le territoire de référence. Explications ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

N.B. Sauf indication express, les statistiques indiquées ici sont issues du recensement Insee de 2019.

De 2008 à 2019, le nombre d’emplois comptabilisés par l’Insee dans la commune de Roissy, après avoir connu en 2008 un substantiel pic avec 93 765 postes de travail, a enregistré une perte notoire de 20 450 postes en 11 ans. Je remets ici (Figure 1) les courbes respectives de l’emploi de la commune de Roissy et du trafic aérien, où l’on observe qu’à partir de 2008, le pôle aéroportuaire n’est plus le « moteur du développement économique du Val d’Oise » que l’on se plaît toujours à vanter. Alors pourquoi cette débauche de projets de transports pour accéder à un pôle qui supprime des postes de travail ?

Illustration 1
Figure 1 -Evolution comparée Emploi / Trafic © J. Lorthiois

      1. DES PRÉCAUTIONS STATISTIQUES PRÉALABLES

Certes, on me rétorque que les emplois localisés sur le pôle ne concernent pas seulement la commune de Roissy. Car la plateforme aéroportuaire s’étend sur 6 localités : principalement Roissy (95) et Tremblay-en-France (93) et plus accessoirement - par ordre alphabétique – Compans, Le Mesnil-Amelot, Mauregard et Mitry-Mory (toutes quatre dans le 77). Mais le recensement Insee - effectué à l’échelle communale - ne permet pas de distinguer la part des populations et des emplois qui est localisée dans le tissu urbain de ces municipalités, donc hors de l’emprise aéroportuaire. Déterminer la part réelle relevant du pôle au sein de ces 6 communes s’avère un exercice délicat. Si Roissy reste une modeste bourgade sans vie propre notable (2900 habitants, soit une population active totale[1] de 1800 personnes), il n’en est pas de même des villes de Tremblay (36 600 habitants) ou encore de Mitry-Mory (20 000) qui, en raison de leur poids démographique, génèrent un nombre appréciable d’activités de services aux habitants, sans rapport avec celles de l’aéroport. Il n’y a en effet aucune raison de considérer que des métiers induits par la population et localisés en centre-ville, comme artisan, petit commerçant, instituteur, assistante sociale, infirmière, personnel de mairie, etc. …auraient connu un développement imputable à la croissance du trafic aérien de Roissy-CDG. Il faut se méfier des modes de comptabilisation simplistes, indiqués aveuglément par un certain nombre de responsables politiques et administratifs.

Par ailleurs, je reprécise l’explication que j’ai déjà fournie dans d’autres articles contestant le mode de calcul des emplois de Roissy, lié aux conditions du recensement, qui s’effectue au lieu de domicile des personnes enquêtées. Pour un agent recenseur – ayant collecté la réponse « Je travaille à Roissy » - il lui est impossible (et le plus souvent pour l’interviewé aussi) d’établir une distinction entre « Roissy », le lieu géographique d’exercice de l’activité (la commune) et « Roissy », le nom (l’aéroport, qui s’étend sur 6 localités). En conséquence, par commodité statistique, l’Insee affecte toutes les réponses « Roissy » à cette commune, quel que soit le lieu géographique du travail de la personne interrogée, bien que la majorité des entreprises de la plateforme soient positionnées aujourd'hui à Tremblay-en-France, notamment depuis la relocalisation d’Air France à l’Est de la plateforme et du déménagement du siège social de Paris-Aéroports (ADP) de Paris à Tremblay.

 En 2019, l’entreprise ADP estimait à 90 000 le nombre d’emplois implantés sur la plateforme : un chiffre probablement surestimé et qui n'a pas été réactualisé. On ne peut que regretter le décompte annuel des emplois publié chaque année par l'entreprise, désormais abandonné. Je suis parvenue par mes propres calculs à une évaluation de 85 000 postes de travail - en 2016, comme en 2019 -, auxquels il convient d’ajouter environ 10 % hors commune de Roissy. Voir le détail de mon estimation, analysée activités par activités, dans l’article « Le mirage des emplois directs de Roissy : croissance en panne et trafic en hausse. Il faudrait bien entendu réactualiser tous ces chiffres, mais nous ne disposons pas de données récentes.

      2. DEUX MODES DE CALCUL DIFFÉRENTS

Il y a deux façons diamétralement opposées d’évaluer le nombre de travailleurs œuvrant sur la plateforme de Roissy. Soit on adopte le point de vue de l’entreprise ADP, soit celui des actifs habitant un territoire de référence, ce qui aboutit à d’importants écarts. Normalement, on attendrait des élus et de leurs services administratifs qu’ils prennent en compte - de préférence - le point de vue des populations dont ils ont la charge… On verra qu’il n’en est rien !

Rappelons quelques faits antérieurs à la pandémie, qu’il convient d’avoir en mémoire.

       2.1.Le point de vue de l’entreprise

Depuis toujours, ADP tente de démontrer son utilité pour la population locale, quitte à prendre les sources statistiques les plus favorables.

            - Nous n’avons pas de chiffres récents post-pandémie. On se trouve dans une boîte noire, gommant l’énorme crise qui a affecté le trafic aérien (voir plongée de la courbe, Figure 1) et les nécessaires impacts sur l’emploi d’une telle récession. Sur le site ADP, est encore indiqué le chiffre ancien de 90 000 emplois directs, qui date de 2019. Mais quel est le score actuel ? On sait qu’il y a eu en 2020-2021 suppression de tous les postes intérimaires ou saisonniers et suspension d’activité dans beaucoup d’entreprises, avec parfois jusqu’à un an d’interruption. Ensuite, on a assisté à une reprise progressive du trafic aérien qui serait désormais revenu « au niveau de 2019 ». Par ailleurs, on a vu plus haut que depuis 2008, on enregistre un découplage entre la hausse du trafic aérien et celle des effectifs qui a fortement décru en une décennie, en raison d’importants gains de productivité liés à la mécanisation des tâches. On ignore dans quelles proportions la pandémie a affecté durablement les activités de la plateforme et leur impact sur le nombre d’emplois correspondant.

            - le périmètre pris en compte par ADP est plus vaste que celui de la plateforme, englobant non seulement celui-ci, mais ses adjacences. Si on veut mesurer des évolutions, il est indispensable que toutes les instances de décision adoptent le même périmètre géographique et le conservent. C'est pourquoi je m'en tiens au strict périmètre de la plateforme.

- certains travailleurs comptabilisés ne sont pas localisés sur la plateforme de Roissy (exemple de personnels navigants - travaillant à bord des avions - rattachés tous à Roissy, mais décollant tantôt d’Orly, tantôt de Roissy.)

            - certains emplois comptabilisés n’ont rien à voir avec l’activité aéroportuaire et sont abusivement pris en compte (exemple du centre commercial Aéroville, mais aussi de certains hôtels accueillant une clientèle d’affaires venue par voiture ou TGV et/ou fréquentant le parc d’expositions de Villepinte, ou encore d’entreprises logistiques tout camion sans rapport avec du fret aérien, etc.) La croissance du trafic aérien ne saurait entraîner leur développement.

- Le fameux taux « MPPA » (nombre d’emplois par million de passagers ou tonne de fret) est élevé à Roissy, non pas en raison de retombées maximisées, mais de la taille de sa plateforme. En effet, l’énorme emprise de l’aéroport (3200 ha, contre 1200 ha à Heathrow, n°1 européen) est une originalité française. ADP dispose ainsi d’un patrimoine foncier considérable et se comporte comme un promoteur immobilier, en accueillant beaucoup d’entreprises sans rapport avec l’activité aéroportuaire, afin d'optimiser son patrimoine.  Il est d’ailleurs assez choquant qu’une entreprise publique chargée de l’intérêt général fasse ainsi de la spéculation foncière, de plus dans un domaine qui n’est nullement son cœur de métier. En tout cas, dans la perspective du développement du pôle de Roissy, il n’est pas pertinent d’affecter aux activités non aéroportuaires une augmentation du nombre d’emplois proportionnelle à la croissance du trafic aérien. A Heathrow, les entreprises sans lien direct avec le transport aérien sont interdites sur la plateforme. D’où un taux MPPA beaucoup plus faible, pour un trafic supérieur à celui de Roissy. Il faut bien comprendre que le choix de concentrer les implantations sur le site de l’aéroport est discutable : il se traduit par autant d’emplois qui échappent aux villes du pourtour, génèrent des villes dissociées et un accroissement des déplacements, nécessitant à leur tour des besoins de transports.

Illustration 2
Emplois de Roissy - ADP © J. Lorthiois

    2.2. Le point de vue du territoire

Comme à mon habitude, je m’intéresse au premier chef aux BESOINS des populations résidant sur le territoire de référence et notamment à la population active (actifs dits « totaux ») composée de travailleurs ayant un emploi - qu’on appelle « occupés » - sans oublier d'additionner les chômeurs. Ceux-ci le plus souvent non comptabilisés, alors que c’est soi-disant en priorité pour eux qu’on met en place ces politiques d’emplois et de transports.

Plusieurs territoires sont intéressants à prendre en considération.

 a/ La totalité du département

Si je m’en tiens à la phrase « brute de décoffrage » indiquée partout : « 15% des actifs du Val d’Oise travaillent à Roissy… », il conviendrait de rapporter le chiffre des 13 500 actifs calculé plus haut, non pas aux 90 000 emplois du pôle aéroportuaire, mais à l’ensemble des travailleurs habitant le département 95, puisqu’on raisonne à l’échelle du Val d’Oise…

Illustration 3
Emplois de Roissy - Département du Val d'Oise © J. Lorthiois

. Soit une division par 7 des chiffres brandis par le Comité d’Expansion Économique, la CCI 95, et bien sûr, le Conseil Départemental du Val d’Oise.

Question qui fâche : est-ce que l’effort budgétaire consenti pour desservir l’aéroport de Roissy correspond à 2,2% des affectations « Transports » du département du Val d’Oise ?

b/ Le Bassin de proximité du « Grand Roissy »

C’est le territoire que je prends en compte depuis une dizaine d'années, parce qu’il est souhaitable de conserver toujours le même périmètre, afin de mesurer les évolutions dans le temps. Cet espace a été déterminé en 2012, dans le cadre de l’étude « Estimation quantitative et qualitative des nouveaux emplois sur le territoire du Grand Roissy », effectuée par le cabinet-conseil ECODEV commanditée par l’EPA Plaine de France. A l'époque, le territoire du "Grand Roissy" regroupait 22 communes situées dans 3 départements, comprenant les 6 localités impactées par la plateforme aéroportuaire et 4 communes adjacentes faisant partie du « Cœur de pôle » (dont Gonesse), ainsi que les douze principales villes de ce qui a été appelé « l’Aire directe » du pôle de Roissy dans l'étude ECODEV - les communes les plus directement impactées par l'aéroport - . Elles sont 7 du Val d’Oise et 5 de l’intercommunalité Paris-Terres d’envol en Seine-Saint-Denis - (listées dans le tableau de la Figure 2). Soit un ensemble de 600 000 habitants, 280 000 actifs « totaux », dont 228 000 travailleurs occupés. A ne pas confondre avec le périmètre dit du « Grand Roissy – Le Bourget » (GRLB), instance administrative validée par la Région composée de 50 communes, soit l'addition depuis janvier 2016 de deux intercommunalités rivales qui ne travaillent jamais ensemble (les agglomérations de Roissy-Pays de France et de Paris-Terres d'envol). Un espace institutionnel beaucoup trop vaste pour correspondre à un "territoire vécu" par les habitants. Et pourtant promu comme "bassin de vie" dans le nouveau SDRIF, le schéma d'urbanisme et d'aménagement régional.

Illustration 4
Figure 2. Le Bassin de proximité du Grand Roissy © J. Lorthiois

---> Au total, le nombre d’actifs résidant dans ce « Bassin de proximité » et travaillant à Roissy (la commune) correspond à un effectif Insee de 13 400 personnes. Pour être tout à fait exhaustif, il faut rajouter ici les 10% couvrant les actifs « hors commune de Roissy » : on obtient alors 14 900 travailleurs œuvrant sur la plateforme aéroportuaire.

Illustration 5
Emplois de Roissy - Bassin de proximité © J. Lorthiois

On voit qu’en élargissant le champ géographique à l’ensemble des travailleurs de ce territoire pertinent, le poids de Roissy est à diviser par trois. C’est évidemment ce point de vue qui doit prévaloir dans les décisions prises par les élus à l'échelle du Bassin de proximité, en fonction de l’utilité socio-économique du pôle de Roissy pour les populations dont ils ont la charge, notamment pour les projets à prévoir pour le territoire interdépartemental.

c/ L’Est du Val d’Oise

Cette fois-ci, le territoire pris en compte comprend uniquement la partie val d’oisienne de l’agglomération de Roissy-Pays de France (CARPF), soit 25 communes de l’Est-95.  Les localités concernées sont les suivantes : bien sûr Roissy et Gonesse, les 7 communes urbaines du Bassin de proximité du Grand Roissy, appartenant à « l’Aire directe », et 16 communes du Pays de France rural, appelé « l’Aire diffuse » dans l'étude ECODEV (Figure 3) comprenant notamment les villes de Fosses et Louvres. Soit un ensemble de 260 000 habitants, 119 000 actifs totaux, dont 98 300 ayant un emploi.

Illustration 6
Figure 3 -Aire diffuse et total Est-95 © J. Lorthiois

--> Cette fois, on relève un total de 7793 actifs occupant un emploi dans la commune de Roissy. En rajoutant 10% de flux vers le pôle, hors commune de Roissy, on atteint 8600 personnes travaillant sur la plateforme, 

Illustration 7
Emplois de Roissy - Est-Val d'Oise © J. Lorthiois

Le score en pourcentage est deux fois plus faible que prétendu par ADP. Mais surtout le chiffre recalculé de 8600 travailleurs de l'Est-95 exerçant leur activité à Roissy doit être comparé à l'effectif d'actifs du département du Val d'Oise : SOIT 1,42% DES TRAVAILLEURS DU VAL D'OISE.

Question qui fâche : Est-il raisonnable de consacrer l'essentiel des budgets "Transports" à l'Est du Val d'Oise, c'est-à-dire à une si petite minorité de Val d'Oisiens ?

Débat sur la pertinence du périmètre Est-95

Nous indiquons ce périmètre par acquit de conscience, mais nous tenons à faire remarquer qu’il ne s’agit pas d’un territoire pertinent en matière d’aménagement du territoire. Le schéma d’aménagement initial du Pays de France en 2012 a été conduit par l’EPA Plaine de France à une échelle interdépartementale. Et le nouveau SDRIF identifie un « Bassin de vie » qui correspond au périmètre du Grand Roissy-Le Bourget à 50 communes, dont 25 communes du Val d’Oise, 8 de la Seine-Saint-Denis et 17 de la Seine-et-Marne. L’aéroport de Roissy est sur 3 départements et l’essentiel de ses emplois est localisé sur Tremblay-en-France. Le schéma d’aménagement « Transports » qui est conduit actuellement par le CD 95 à la seule échelle du Val d’Oise semble nier la notion même de « Bassin de Roissy » ou de « Grand Roissy ». Il est difficile d’imaginer un projet de développement territorial coupé en deux par une frontière départementale, qui repose sur des rivalités institutionnelles et politiques 95/93, mais rappelons-le qui ne correspond aucunement à une réalité vécue pour les populations. Prendre en compte le seul territoire du Val d’Oise pour un plan transport aboutit à considérer le Triangle de Gonesse comme un lieu de destination. Ce qui est totalement absurde, puisque le site est interdit à l’habitat.  Compte tenu de l’absence de coopération entre les deux départements, les choix conduits de part et d’autre de la frontière administrative risquent d’être incohérents ou redondants, alors qu’il existe une très grande unité entre le bassin de Sarcelles et celui d’Aulnay-sous-Bois. On y trouve les mêmes populations de classes populaires, les mêmes quartiers d’habitat social, la même pénurie d’emplois et des taux élevés de pauvreté et de chômage.

     2.3. EN SYNTHÈSE

 L’erreur statistique signalée en début d’article provient de deux points de vue opposés. Soit on adopte le point de vue de l’entreprise et on examine l’ORIGINE DES TRAVAILLEURS par rapport au nombre d’EMPLOIS localisés sur la plateforme aéroportuaire. Telle est l’explication de la phrase inexacte : « 15% d’actifs du Val d’Oise travaillent à Roissy ». En réalité, il faudrait dire « 15% des 90 000 actifs travaillant sur la plateforme aéroportuaire habitent le Val d’Oise ».

Soit on adopte le point de vue du territoire et on examine la DESTINATION DES TRAVAILLEURS résidents. La destination « commune de Roissy » doit être mesurée au regard de son utilité pour la MAIN-D’ŒUVRE LOCALE, c’est-à-dire l’ensemble des actifs habitant le territoire de référence. Et bien sûr une offre de transport doit être pensée en fonction des BESOINS de MOBILITÉ des populations actives locales, effectuant des DÉPLACEMENTS. Et non basée sur l’analyse statique des emplois localisés sur un site. Ce ne sont pas les emplois qui se déplacent, ce sont les humains !

Dans le premier cas, on raisonne sur une base statistique de 90 000 travailleurs dont 15 300 habitent le Val d’Oise ; dans le deuxième cas basée sur le "Bassin de proximité du Grand Roissy", on prend en compte une main-d’œuvre composée de 280 000 actifs, dont 95 000 habitent le département. Au sein de cet ensemble de travailleurs, 14 900 occupent un emploi sur la plateforme de Roissy. Et seulement 8600 personnes habitent l'Est-95. Ce qui n’est pas du TOUT la même chose, comme on peut l'observer sur le graphique ci-dessous (Figure 4).

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Figure 4 -Deux points de vue différents © J. Lorthiois

3. TROIS REMARQUES

A la lumière de cette analyse, nous pointons trois choses.

3.1. / Première remarque

C'est pour la partie la plus dense de l’Est-95 que le pôle aéroportuaire est le moins utile : 4,1% de la population occupée de Sarcelles y travaille, 4,8% pour Garges-lès-Gonesse, 4,5% pour Villiers-le-Bel. En proportion, le Bassin de Sarcelles est celui qui aurait le moins besoin de transports vers le pôle de Roissy.

A l’inverse, la zone rurale bénéficie proportionnellement d’un impact de Roissy plus fort (Louvres, Vemars..). Mais s’agissant de communes peu peuplées (sauf Louvres et Fosses), le nombre de personnes concernées et la dispersion des lieux d’habitat ne justifient pas un transport lourd linéaire vers Roissy. Le graphique suivant montre pour les 22 communes du Bassin de proximité le faible impact de Roissy (en rouge), en tant que lieu de destination, comparé à l'ensemble de la main-d'oeuvre en activité (en bleu).

Illustration 9
Figure 4 - Impact du pôle d'emploi de Roissy © J. Lorthiois

3.2. Deuxième remarque

La destination la plus fréquente des actifs de l’Est-95, c’est la commune de résidence (Voir tableau Figure 2).

Ainsi, les 14 900 actifs travaillant sur la plateforme de Roissy sont à comparer aux 51 200 actifs qui travaillent dans leur commune de résidence. On voit qu’il serait bien plus pertinent de développer les transports de proximité, plutôt que des transports dits « structurants » qui traversent les territoires sans les desservir, à destination d'un pôle métropolitain de faible impact local, ne correspondant pas à un réel besoin. Il serait également bien plus pertinent de financer un programme de développement d’emplois de proximité, qui supprimerait les besoins de transports A LA SOURCE, permettant aux actifs de travailler sur place et d'aller rejoindre leur lieu d'activité en mode de "transport doux": à pied, en vélo ou en bus.

3.3. Troisième remarque

Autre observation que nous avons déjà formulée : une meilleure offre de transport ne permet pas d'améliorer le nombre de personnes qui travaillent à Roissy, contrairement à la fable qui est généralement diffusée par des élus et des administratifs qui s'entêtent dans leur erreur d'analyse. Niant les évidences, le Conseil Départemental du Val d’Oise, soutenu par la Région, défend sur l’Est-95 un projet censé résoudre la pauvreté et le chômage du territoire : 3 lignes de Bus à Haut Niveau de Service (BHNS) pour les habitants ! Nous lisons dans le dossier de concertation : « Le faible nombre d’actifs qui travaillent à Roissy « s’explique notamment par le déficit de liaisons performantes en transport en commun entre pôles d’habitat et zones d’emplois. ». Une affirmation totalement démentie par les faits.

Pour en avoir le cœur net, on prend deux échantillons de populations à peu près semblables :

  • 5 communes de l’Est 95 (Sarcelles, Garges-lès-Gonesse, Gonesse, Goussainville, Villiers-le-Bel), représentant 190 000 habitants et 65 000 actifs ayant un emploi.

--> Nous trouvons 6,1% d’actifs de l’Est 95 travaillant à Roissy (commune)  en 2019.

  • Nous choisissons cette fois 3 communes de Paris-Terres d’Envol en Seine-Saint-Denis : Aulnay-sous-Bois, Blanc-Mesnil, Sevran, soit un échantillon similaire de 196 000 habitants, 69 000 actifs ayant un emploi. Des villes très bien desservies par le RER B, directement reliées à Roissy, en plus dans  le « bon sens » (Paris-Banlieue). Voilà qui invalide la croyance du CD 95 : le chiffre est encore plus bas !

--> Nous trouvons 5,1 % d’actifs de Terres d’envol travaillant à Roissy (commune) en 2019.

Résultat : Le facteur « transport » n’a pas d’incidence sur le faible nombre d’actifs travaillant à Roissy. On peut le voir sur le graphique ci-dessous qui prend en compte également l'attractivité de la commune de Tremblay-en-France (Figure 6). Les différences entre les localités du 95 et du 93 sont très minimes. Et l'attractivité du pôle de Roissy-Tremblay est un peu plus faible (6,6%) côté Seine-Saint-Denis bien desservi, en comparaison du score (7,1%) côté Est du Val d'Oise, moins bien desservi. On voit bien que le problème est mal posé, ce qui invalide la solution BHNS.

Illustration 10
Figure 6 © J. Lorthiois

4. QUELLES PERSPECTIVES ?

Là encore, il convient d’être extrêmement prudents.

On peut s’interroger tout d’abord sur la pérennité du second pôle hôtelier d’IDF localisé sur le pôle de Roissy, avec des établissements de 4-5 étoiles, dans une zone interdite à l’habitat permanent, comme si les nuisances de bruit étaient intolérables pour les populations résidentes, mais acceptables pour les touristes. (On a vu dans le cas du projet surréaliste de Cité scolaire sur le Triangle de Gonesse qu’elles seraient intolérables pour les prisonniers d’une maison d’arrêt, mais acceptables pour des enfants et des jeunes notamment en internat, sans compter des logements de fonction pour les salariés de l’établissement…)

D’où l’interrogation sur l’avenir de ce pôle hôtelier, en raison de nouveaux enjeux qui rebattent les cartes.

  • a/ La concurrence de l’hôtel de prestige « H4 Hôtel Paris-Pleyel » à Saint-Denis risque d’être rude ! Actuellement en cours d’ouverture, bien mieux placé aux portes de Paris, dans la Tour Pleyel, à 13 minutes de Saint-Lazare – en plein cœur du Quartier Central des Affaires parisien (QCA) -, avec 647 chambres et suites, un Centre de Conférences de 1175 m2, 16 salles de séminaires d’une surface totale de 4500 m2. Voilà qui ringardise définitivement le projet avorté d’International Trade Center (ITC) à Roissy…
  • b/ Quel avenir pour le tourisme d’affaires, qui a connu une chute brutale ? Les entreprises ont découvert pendant la pandémie l’intérêt des « salons virtuels » et les économies en personnel et en frais d’hébergement et de déplacement qu’ils permettent. Il est probable que la désaffection qui s’est observée s’inscrit désormais dans une tendance de fond. C’est pourquoi le projet d’extension du Parc International d’Expositions (PIEX) de Villepinte pose question. En 2019, l’Ile-de-France a accueilli 434 salons en présentiel ; en 2021, ils n’étaient plus que 212. En 2019, les salons attiraient 7,9 millions de visiteurs, mais en 2021, ils ne représentaient plus que 2,1 millions.

CONCLUSION

Les chiffres sont trompeurs et le plus souvent utilisés pour masquer une absence d’analyse et une fuite en avant irresponsable. La situation de 2019 est enjolivée et considérée comme immobile, alors que la pandémie a joué un rôle de révélateur :  c'est une nécessité de revoir la question de l’aménagement du territoire de l'Est-95, avec des localisations et des transports à prévoir, qui doivent être prioritairement au service des bassins d’habitat et de main-d’œuvre. Les projets portés par les élus sont conduits « en aveugle », sans renseignements actualisés sur la situation de l’emploi et des travailleurs, sans aucune interrogation sur l’évolution des besoins des populations, au regard de l’urgence climatique... Avant de promouvoir des études de faisabilité coûteuses pour des implantations nouvelles (gare du Triangle de Gonesse en plein champ, Cité scolaire, Boulevard Intercommunal du Parisis, lignes de Bus à Haut Niveau de Service), mieux vaudrait établir un diagnostic de la situation existante et s’interroger sur l’opportunité de poursuivre cette politique de dissociation de territoire, avec des pôles d’emplois sans habitants, et des pôles de main-d’œuvre sans emplois. Au regard du changement de contexte, une remise à plat totale des priorités à venir s’impose, dans une nécessaire concertation avec les populations qui jusqu’ici n'ont ni eu accès à des informations réactualisées leur permettant de se forger un jugement au vu d'informations neutres, ni d'exprimer un avis étayé sur des arguments irréfutables.

[1] Population active totale : comprend les actifs ayant un emploi et les chômeurs.

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