Le samedi après-midi Francis Wurtz, ancien député européen, représente le PCF à l’Agora, le lieu central, lors d’un des deux seuls débats « officiels » consacrés à cette guerre. Débat qui est loin de faire le plein. La position de Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et homme central de la fête ? « nous soutenons les peuples russes et ukrainiens ». Certes… mais un peu court. A quand « l’analyse concrète d’une situation concrète » ? La guerre est absente des stands comme des discours, à l’exception de la diffusion par l’éditeur Syllepse de quelques textes sur les tables de la nébuleuse Gauche sociale, républicaine, socialiste, écologiste, Ensemble ! etc. Ce dernier diffuse, mais à petite dose, un excellent 4 pages « Ukraine le choc décisif ! ».
Un stand semble aborder la question de la guerre de front : celui de Lutte Ouvrière (LO). Cependant en s’approchant on constate que l’Ukraine est à peine mentionnée. Il s’agit de la dénonciation de la guerre en général. Ce stand présente une curiosité : des panneaux font une chronologie de l’histoire. La première guerre mondiale a droit à son panneau ( panneau 4). Mais la seconde non. On passe directement de la crise de 1929 (panneau 6), à l’après-guerre (panneau 7). Visiblement pour LO la seconde guerre mondiale ne s’est pas déroulée comme elle aurait dû. Cet escamotage révèle assez bien l’une des raisons pour lesquelles la guerre d’Ukraine est elle aussi escamotée par l’ensemble de la gauche.
La 2ème guerre mondiale est constituée au fond d’une succession de luttes de libération nationale, la lutte antifasciste contre les oppressions et invasions nazies. Elle a nécessité l’alliance des prolétaires et de la bourgeoisie, de l’URSS et des Etats Unis, déclinée en France par celle entre le PCF et De Gaulle. Ce ne fut pas l’occasion de révolutions prolétariennes contrairement à la première guerre mondiale et cela fâche LO. C’est pourquoi la 2ème guerre mondiale passe à la trappe. Visiblement l’agression de Poutine contre l’ Ukraine non plus ne déclenche pas une révolution prolétarienne. Et, circonstance aggravante pour l’Ukraine, sa lutte de libération ne se fait pas contre un impérialisme occidental mais contre l’impérialisme russe. Or apparemment pour une partie de la gauche seule une lutte contre un impérialisme occidental est légitime. Dans un autre débat le représentant du Mouvement de la paix pointait, pour la regretter, la grande différence entre la mobilisation contre l’invasion de l’Irak par les américains et l’indifférence contre l’invasion de l’Ukraine par Poutine.
La seule brochure de LO sur l’Ukraine s’intitule « L’Ukraine, terrain d’affrontement entre l’impérialisme et la Russie ». Le titre reflète bien les vues d’une partie de la gauche : D’une part seul l’occident apparemment est impérialiste et, surtout, la société et la résistance ukrainienne ne comptent pas. Dans ces conditions il faut en effet se tenir loin de l’Ukraine! Autre exemple ce tract commun du comité des chômeurs CGT et de La libre pensée diffusé sur leur stand: « Les gouvernements russe et ukrainien profitent de la guerre pour attaquer les droits sociaux de leurs peuples respectifs, comme le régime de Zelensky, qui a cassé les droits des travailleurs après avoir mené une politique discriminatoire envers les citoyens russophones ». Position typique de secteurs de la gauche qui se veulent « balancés », … entre agresseur et agressé !… mais qui finissent par flinguer uniquement les représentants de la résistance ukrainienne. On est pas très loin de thèses complotistes affirmées lors d’un débat non « officiel » où un intervenant affirme, sans être contredit par la tribune, que les industries d’armement ont inventé la guerre pour faire leurs affaires, comme les industries pharmaceutiques ont inventé le Covid pour faire les leurs.
Pour justifier le peu d’importance donné à cette guerre d’invasion, et l’absence de soutien à la résistance ukrainienne, différents arguments sont avancés par les uns et par les autres. Wurtz : « Bush voulait l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN ». Certes, mais Bush c’est 2009, 3 présidents américains depuis ont dit le contraire… « Les nazis du régiment Azov ». Certes … et les commandants du groupe Wagner et leurs tatouages nazis ? « Zelensky est soutenu par l’oligarque Igor Kolomoïski». Que cet oligarque soit en tôle depuis 15 jours ne compte pas ? « l’Otan était à l’offensive » … mais elle venait d’être déclarée en « mort cérébrale » par le président français etc. Chacun peut avancer l’argument qu’il souhaite en mettant les autres sous le tapis[1] pour quasiment gommer cette guerre et masquer ce fait que les soldats russes se battent contre une population ukrainienne sur le sol d’un pays indépendant l’Ukraine, et non contre des soldats de l’OTAN sur le sol russe. La pose de géo stratège international que certains prennent, vient se casser sur la réalité d’une société ukrainienne toute entière qui résiste. Au lieu de se positionner en chefs d’état faisant de la stratégie internationale il faut se placer du point de vue des travailleurs ukrainiens : quel est leur point de vue ? que font-ils ? A voir la position de leurs différents syndicats, bien que critiquant certaines des mesures anti sociales prises par le pouvoir qui dirige la lutte, les travailleurs participent à la résistance à l’invasion.
Il est certain qu’en France avec des dirigeants aussi confus sur la guerre, la gauche ne peut se mobiliser. C’est pourquoi 600 000 victimes en moins de deux ans à nos frontières ne suscitent aucune réaction de masse. Comme cette intersyndicale qui prétend soutenir la résistance ukrainienne mais ne réussit pas à remplir une petite salle de la bourse du travail car elle y envoie à peu près un représentant par syndicat ! Ou encore ces manifs avec moins de participants que d’organisations qui apposent leur signature sur le tract d’appel ! La quasi absence à la fête de l’Huma n’ est que le reflet de cette absence de mobilisation de la société française et singulièrement de la gauche depuis le début de l’agression de Poutine. Voir aussi le Monde diplomatique évite la guerre.
Sur le stand des Editions Manifeste ! Francis Combes raconte qu’il revient de Medellin en Colombie où avait lieu en Juillet dernier la constitution d’une association mondiale de poètes, le « World Poetry Movment ». Avant même de naitre le mouvement s’est scindé sur la question de la guerre en Ukraine. Cette guerre crée des fissures dans un mouvement de poètes à 10 000 kilomètres de là et la gauche pense qu’elle pourra faire l’impasse sur elle ? Cette dernière pèse et pèsera sur toutes les relations culturelles, économiques, sportives, syndicales, politiques, etc. aussi bien internationales que nationales. A l’international on voit que l’Otan en profite pour se renforcer, mais aussi que les économies émergentes, les Brics élargis, y trouvent l’occasion de « désoccidentaliser » le monde voir ici. Cette guerre crée des fissures qui s’élargiront, des regroupements qui se renforceront et qui recomposeront complètement le rapport de force des classes entre elles (et aussi du rapport de forces entre pays) et donc des organisations politiques qui les reflètent. La clarification des positions sur cette guerre, le soutien à la résistance ukrainienne (comme le soutien à l’immigration[2] que la gauche met également sous le tapis) seront nécessaires à cette union de la gauche que tous les participants à la fête plébiscitaient.
C’est pourquoi nous reviendrons plus en détail sur les raisons pour lesquelles la gauche devrait soutenir la résistance ukrainienne.
Réseau Européen Solidarité avec l’Ukraine RESU
Ukrainesolidaritéfrance@gmail.com
[1] Ainsi inversement Anne Colin Lebedev, lors du 2ème débat sur l’Ukraine au Village du monde, après avoir fait ressentir très justement l’agression russe contre la société ukrainienne, affirme que l’Ukraine n’a participé à aucune agression militaire dans le passé. Mais l’Ukraine a soutenu l’agression américaine contre l’Irak en 2003 avec un détachement de 1600 soldats.
[2] Voir Jacques Lancier « Etrangers, immigrés bienvenue ! Vous aussi êtes ici chez vous » Editions l’Harmattan, 160 pages 18 €.