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Billet de blog 22 janvier 2010

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Justice, économie et politique.

(rien que ça… !)(ce billet est beaucoup trop long et pas très rigolo… si vous n’avez que 2 minutes, c’est trop court ; si vous êtes dépressif, changez de crèmerie)

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(rien que ça… !)
(ce billet est beaucoup trop long et pas très rigolo… si vous n’avez que 2 minutes, c’est trop court ; si vous êtes dépressif, changez de crèmerie)


Ce sont les échanges suscitées à partir du 7 janvier par les billets de blog de Philippe Riès : « Protectionnisme : vous en rependez bien une petite dose ? » et de Samuel Baillaud : « En réaction à un billet défavorable au protectionnisme », qui m’ont suggéré ces quelques réflexions, comme suite à quelques uns de mes billets précédents ainsi qu’aux échanges suscités par les billets de Vincent Verschoore « Sur Copenhague », et de Frédérick Stambach « Vous avez dit anticapitaliste ? le terme en débat »… parmi bien d’autres évidemment.
Sur le blog de Philippe Riès, l’un de ces échanges a servi de conclusion provisoire au fil de discussion à travers ces trois interventions successives de Pierre Baraduc, moi-même puis Faunus (extraits) :
- « S'il y en a de meilleures (solutions) qui n'aient pas les défauts des politiques protectionnistes soulignés par ailleurs (ralentissement de l'innovation, perte de graduelle de compétitivité etc), que les détracteurs du protectionnisme les explicitent et les défendent !! Je me borne à souligner que ce qui est rationnel sur le plan économique n'est pas toujours socialement acceptable, et que la validité des solutions proposées (quand elles ne se limitent pas à une inaction résignée et fataliste) doit se jauger aussi bien à leurs effets sociaux qu'économiques. »
- « …Peut-être faudrait-il rajouter que la validité des solutions doit aussi s'apprécier pour leurs effets politiques. Et du socialement inacceptable au politiquement inacceptable, il n'y a je crois qu'un tout petit pas… ».
- « mais la solution retenue, vous venez de la formuler ! Elle consiste, pour nos gouvernements, à une inaction non pas "résigné et fataliste" mais volontaire et bavarde. Le risque encouru, qui résulte de ce choix, c'est la révolte populaire dans nos pays économiquement développés et les dérives extrémistes qui pourraient en résulter et conduire à des solutions politiques qui feraient alors apparaître, rétrospectivement, comme une erreur historique le fait de ne pas avoir choisi, il y a une trentaine d'années, la solution du "protectionnisme raisonné" cher à Maurice Allais. »

Etant pour ma part plus que réticent à l’hypothèse protectionniste, mais d’avantage par préjugé culturel, que par maîtrise et connaissance théorique du sujet, je suis allé d’une part me documenter sur Maurice Allais (wiki.) et je pari sur le « défrichage coopératif » de cette question en publiant ce billet.
L’objet n’est bien évidemment pas d’ouvrir ici un débat d’économistes.
Il s’agirait plutôt de rester entre citoyens, interpelés par la question, es qualité. C'est-à-dire au droit de ces tenants et aboutissants politiques, appelant donc à délibération du souverain. (Il se peut qu’il y ait parmi ces citoyens des économistes ou autres spécialistes dont les avis seraient utiles à l’instruction du débat, qu’ils soient les bienvenus, pourvu qu’ils sachent rester pédagogues.)
La teneur des propos échangés « chez » Philippe Riès ne prête d’ailleurs pas à confusion, ce sont bien des considérations de politiques générale qui les motivent.
Et c’est dans cette direction que je souhaite donc prolonger.

*****


De nombreux spécialistes, plus particulièrement « de gauche » (les guillemets ne sont pas de suspicion) sont donc intervenus depuis quelques mois, pour réhabiliter face aux conséquences sociales dramatiques de la crise, l’hypothèse protectionniste, ou défendre en tout cas sa pertinence conjoncturelle. Parmi eux Emmanuel Todd (dont j’ai lu « Après la démocratie ») vient apporter la caution d’un esprit peu soupçonnable d’enferment dans une logique économiste, il en existe certainement d’autres.
Je reste malgré tout très sceptique et je persiste à penser que les risques de l’hypothèse protectionnistes sont plus certains que ses avantages.
Le débat de « technique économique et fiscale » est peut-être déterminant, ou du moins est-il peut-être en capacité de révéler quelque argument qui m’échappe, je suis disposé à l’entendre.
Mais pour l’immédiat, je ne peux me départir des quelques considérations qui suivent.
1. La symbolique protectionniste héritée de l’histoire est beaucoup trop puissante pour être manipulée impunément.
2. La conjoncture sociale française est une poudrière (cocktail emploi+banlieue+identité), la conjoncture et le débat de politique nationale sont une mèche à retardement.
3. Enfin, le contexte international et le poids relatif de l’Europe en chute libre n’autoriseront pas la demi-mesure raisonnable qui semble être appelée de leurs vœux par ces nouveaux tenants du protectionnisme. La soumission protectionniste au diktat économique provoquera immanquablement une mise à feu incontrôlable de la poudrière vers les pires excès.
En conclusion l’hypothèse protectionniste reste me semble-t-il tributaire d’une lecture par trop économiste de la conjoncture, probablement forte de cohérences « comptables », fiscales et financières… mais toujours fragmentaire, insuffisamment globale et synthétique à la fois, vraisemblablement myope au droit de considérants culturels ou idéologiques et plus simplement, sourde au principe d’incertitude et aux affects collectifs qui déjouent nous le savons bien la rationalité de notre pensée occidental-centrée (cf. la modélisation qu’a pu en faire par exemple Max Weber dans « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme »).
Il reste que ces reproches ne peuvent être adressés qu’avec infiniment de doutes à un Emmanuel Todd et je ne peux donc en l’état et à défaut d’un inventaire plus approfondi qu’émettre également des doutes sur ma propre opinion.
En attendant, qu’elle alternative au protectionnisme économique ?
Et sur quelle autre hypothèse conviendrait-il donc de construire une alternative à gauche ?
L’exercice est, et sera encore plus dans les mois et années à venir, de toute façon délicat socialement, et pour le moins périlleux politiquement. C’est une donnée qu’il faut je crois ne pas perdre de vue, et la question doit alors peut-être se résumer à une évaluation comparative des risques ? Et surtout ne pas prétendre à une quelconque vérité indiscutable.
C’est bien pourquoi il me semble qu’il faut tout d’abord réinjecter dans la réflexion ce principe d’incertitude que j’évoquais un peu plus haut. C'est-à-dire la nécessaire actualisation permanente des projections au droit des contingences, une réelle capacité d’appropriation réflexive des aléas, peu compatible par définition avec les modélisations logicomathématiques construites sur l’expérience (c'est-à-dire sur le passé), l’intégration stratégique spontanée d’externalités positives ou négatives indéterminables donc imprévisibles, ou encore et pour synthétiser : intégrer l’idée que la science économique, aussi sophistiquée soit-elle, ne peut avoir pour aptitude de rendre compte dans sa totalité de la complexité des comportements humains. Or la projection politique, elle, doit avoir cette ambition de prendre en compte cette totalité. Comment faire du pragmatisme sans tomber dans le fatalisme ?
Aussi déterminant puissent-être, aujourd’hui, les facteurs économiques, il y a donc peut-être lieu, dans un premier temps, voire prioritairement, de nous prémunir justement contre leur impact sur nos modes de pensée, contre leur éclat aveuglant, en définitive contre leur surévaluation. Et ce, en dépit de ce qui nous paraît être des évidences mais ne sont peut-être, probablement, que des représentations autoréalisatrices. Faire bouger les lignes en déplaçant notre regard, modifier la mise en perspective, changer de point de vue.
Ce ne devrait pourtant pas être si difficile, voilà des années, des décennies que nous répétons sans cesse, qu’il faut en finir avec l’assujettissement du politique à l’économie. Et au moment où l’économie « baisse la garde », connaît un puissant « coup de pompe », ne voilà t-il pas qu’il faudrait que nous nous portions à son secours, au motif que ce ne serait que l’un des modèles économiques possibles qui serait en cause et que nous même serions capables d’en faire advenir un nouveau.
Il y a je crois bien des raisons à cela que j’ai déjà essayé d’exprimer dans un billet : « Pour le socialisme hors les murs », et à de nombreuses reprises sur plusieurs fils de discussion, et qui pour l’essentiel tiennent probablement à une mésinterprétation de Marx ou une interprétation marxienne réductrice du réel, parce que dogmatiquement matérialiste, c’est à dire mutilée.
L’économie n’est pas un choix, le marché non plus. Il n’y a pas à être me semble-t-il pour ou contre.
Certains on dit que le commerce est une alternative à la guerre, à l’échelle d’un temps qui n’est pas le notre, cela me semble assez pertinent et plutôt positif, une expression du progrès humain. Et selon cette mise en perspective, économisme et anti économisme sont peut-être à regarder comme les deux visages d’une même perversion temporelle et temporaire de notre lecture de l’aventure humaine.

Il peut par contre y avoir des règles. Nous revoici donc au pied de la question politique.
Faut-il des règles ? Lesquelles ?
Pourquoi ?
Pourquoi ?
La situation est-elle propice à se poser cette question ?
A la faire circuler, à la partager, à la relancer sans cesse.
La situation est-elle propice à exprimer nos réponses ?
En avons-nous le désir ?
En ressentons-nous le besoin ?
En percevons-nous l’urgence ?
La situation est-elle propice à dire, à prendre la parole pour dire et mettre des mots, pour nommer et ce faisant faire advenir la réponse ?
La situation est-elle en résumé, propice à faire de la politique ?
Je crois que oui et il me semble que c’est en cela qu’il s’agit bien aujourd’hui et en urgence de modifier la perspective, de changer nos regard, de faire bouger les lignes. Refaire de la politique. Ressaisir le premier et le plus évident de nos biens communs, notre futur, par et pour sa maîtrise solidaire.
Je crois que tout le monde a compris que nous vivons désormais (enfin, devrions-nous dire) dans une réalité mondialisée. C’est probablement la grande avancée à mettre au crédit du néolibéralisme, avoir fait lui-même la démonstration par la preuve, de l’aberration de ses motifs. Etre allé au bout de ses contradictions essentielles en éliminant lui-même cette ressource vitale qu’a toujours été pour lui l’ailleurs, l’au delà de son monde, cet au-delà spoliable et corvéable à merci. Il n’y a plus d’altérité.
Nous ne sommes plus qu’un et c’est tant mieux.
Alors se pose bien le problème des recompositions régionales ou de la recomposition planétaire que va pouvoir enfanter ce système pour se survivre. Car il ne faut, je crois, pas en douter, les privilégiés ne vont pas lâcher leurs privilèges. Déjà, les discours sont aiguisés, et les girouettes aux avants postes se gargarisent de mots qui hier les faisaient vomir (il n’est que de voir notre ventilateur national en chef et tous les prétendants à sa succession). Renversement des valeurs, holdups, reniements, conversions, tous les artifices rhétoriques sont au rendez-vous contre l’effondrement du décor et pour que le spectacle continu. Les poches pleines doivent le rester, « The show must go on ».
Mais un spectacle peut en cacher un autre, ou disons plutôt que celui qui se croit spectateur n’est bien souvent que l’acteur du spectacle qui met en scène ce spectacle qu’il croit contempler.
Mise en abyme…
…vertige.
Les analyses les plus élémentaires, et les projections les plus sommaires démontrent sans peine je crois que la loi du nombre est sans pitié.
Face à la somme planétaire des modestes besoins utiles à l’exercice par tous et chacun, sans exception, des droits fondamentaux inscrits dans la déclaration universelle, la somme des « abus de biens communs » qui autorisent les privilèges, ne pèse rien. Ou très peu.
Sauf à élargir le périmètre de définition des « privilèges ». C’est un exercice en fait assez courant, illustré par cette image aujourd’hui banale : si tous les habitants de la terre vivaient sur le même pied que nous, il nous faudrait disposer de 3, 4, 5 ou 6… planètes.
Tout dépend du « nous ».
Alors parlons de nous.
L’hypothèse de la décroissance est une construction intellectuellement en vogue, probablement non dénuée de cohérence, mais elle reste une construction intellectuelle… économiste elle aussi. Le principe de frugalité volontaire ne me déplaît pas, à certains égards je pense même pouvoir dire que je le mets en pratique avec plaisir et je crois que nous sommes assez nombreux dans ce cas. Mais à « certains égards » seulement.
De là à dire que nous puissions collectivement passer de ces « certains égards », à une norme acceptée par tous, et de la construction intellectuelle séduisante à un projet politique efficace, il y a je crois toute la distance qui peut séparer la rêverie du projet. Et rien ne dit surtout que nous soyons en capacité de définir nous même cette norme qui pourrait prétendre à l’universalité.
Or c’est bien pourtant ce que la situation devrait commander.
Alors au vertige, succède la frayeur.
La frayeur de ces cohortes aveuglées par l’injustice,
de leurs colères légitimes,
de leurs idoles enivrées de gloire,
de leurs certitudes en slogans,
de leurs coupables désignés,
de leurs mobilisations vengeresses
et de leurs fureurs armées.
Puis doit venir l’espoir.
Mais, comment retrouver le fil ténu, ce fil si précieux, d’humanité promise et toujours en devenir ?
Comment poursuivre ?
Notre situation française, avec ce gouvernement, cette majorité parlementaire, ce président, ces oppositions, son mouvement social, a ceci de très excitant, qu’elle est peut-être un résumé, une synthèse, le cas d’école qui peut nous permettre d’y voir clair.
De renifler les simplifications, de débusquer les chausses trappes, de prévenir les coups fourrés, d’anticiper les retournements à venir les plus inattendus, et de cultiver l’espoir, de tenir le fil, pour « l’après ».
L’actualité prochaine des régionales sera par exemple une belle occasion pour aller fouiller dans l’arrière cour de la territorialité claironnante et exhumer quelques dévoiements essentiels du politique.
Et, d’ores et déjà repointe le débat sur les retraites qui sera à n’en pas douter propice au débatteur attentif pour éviter de s’engager dans l’impasse économiste. Pour un avant goût il n’est d’ailleurs pas inutile de relire le « Bal des faux culs autour de la retraite à 60 ans » de Mathieu Magnaudeix (de ce 11 janvier).
Les lectures des « Cinq bulles qui menacent l’économie mondiale » de Ludovic Lamant et de « La social-démocratie après le tournant néolibéral » ne sont pas mal non plus en complément.
Alors pour renouer le fil, l’exigence de justice et le principe de réciprocité seront peut-être ces bouées qui permettront dans la tempête de refaire un peu de politique et de dépasser ces débats d’intendance qui en tiennent désespérément lieu et nous fourvoient depuis si longtemps. Certes ce monsieur Proglio dont on parle tant aujourd’hui est un margoulin parmi les margoulins dont il faudrait se débarrasser, mais nous sommes tous un peu les margoulins de quelqu’un. Et il ne suffira pas de désigner le coupable qu’il est, pour évacuer une réalité bien plus complexe qui nécessiterait un peu plus d’exigence et de discernement. Une réalité qui nous reviendra rapidement en pleine figure pour avoir ainsi été dissimulée. La justice suppose la fin des privilèges mais exige me semble-t-il un retour indispensable vers l’universalisme. Les préalables ne pourront pas nous en dispenser, ils n’en sont que la condition.
Pour conclure provisoirement, je me permets de reprendre l’un de mes commentaires lors d’un échange précédent :
« Pour autant, il n'en demeure pas moins vrai qu'il y a toujours lieu de nous mobiliser d'abord sur nos propres réalités. ("Ne compter que sur ses propres forces.")
Mais peut-on encore sincèrement penser que notre réalité est essentiellement nationale ?
Et n'est-ce pas (entre autre) par le dépassement de cet enfermement que passe justement le réarmement idéologique dont nous avons besoin ?
C'est en tout cas ce que je pense à plusieurs titres.
D'une part au droit du principe de réalité.
D'autre part au regard de la part honorable de notre héritage (justement national), autrement dit d'une certaine fidélité à l'ambition universaliste qui fut aux fondements du socialisme.
Enfin au plan stratégique, tant il me semble évident que l'enracinement territorial est d'essence fondamentalement conservatrice. (D'où les difficultés « théoriques » du P.S. entre autre.)
J'ajoute (pour le fun, mais ce pourrait ne pas être neutre) que c'est aussi sur cette ligne que nous pouvons être entendus au delà de nos frontières, car nous y sommes encore attendus, en dépit de toutes nos trahisons. »

Toutes ces réflexions ont déjà fait l’objet de quelques échanges inaboutis à l’occasion des billets et fils de discussion déjà cités.
Merci d’être venu jusque là (c’était un peu long mais vous étiez prévenus) et si le cœur vous en dit, continuons.

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