(2ème publication)
Au delà de la bataille de l'impôt abordée précédemment, la bataille du rail version 2018 met également en jeu ce que l'on peut appeler "la bataille de l'Europe".
On le sait, la réforme de la SNCF voulue par le gouvernement et sa majorité, et appuyée par notre droite nationale, est adossée à un ensemble de dispositions européennes initié par une directive de 1991, suivie de plusieurs "paquets ferroviaire" dont le 4ème n'est pas encore bouclé.
Cet ensemble vise à harmoniser les politiques de transport ferroviaire et les modes de gestion des services marchandises (fret) comme voyageurs, dans la perspective d'ouvrir tous les réseaux nationaux dans un marché unique et concurrentiel européen. Soit la suppression des monopoles historiques et le partage des trafics entre tous les opérateurs sous la seule loi de la concurrence.
Le principe de service public n'est pas à priori mis en cause, au lieu d'être directement mis en œuvre par des entreprises publiques, il pourra être délégué à des entreprises à capitaux privés selon la méthode des délégation de service public (DSP) largement éprouvée et depuis longtemps dans bien d'autres secteurs, à travers le dispositif des appels d'offres.
On sait aussi les perversions potentielles si ce n'est prévisibles dont est porteuse une telle perspective, avec l'abandon des lignes rentables au secteur privé, la constitution progressive de nouveaux monopoles, mais cette fois de statuts privés, et à terme pour les usagers, des évolutions tarifaires incontrôlables. Tandis que pour les personnels de ces compagnies privées, les effets de la concurrence se traduirons immanquablement par un nivellement vers le bas, de leurs conditions de travail et de rémunération.
Quant à l'avenir des lignes non rentables, c'est à dire la quasi totalité du réseau français... retour à l'étape précédente : bataille du rail - bataille de l'impôt.. ou fin et démantèlement.
Mais au delà de ces considérations prosaïques quoique tout à fait essentielles relatives au rail, on voit bien qu'en fait c'est le modèle de société que nous voulons qui est en jeu.
Il n'est pas illégitime alors d'interpeller l'ambition réformatrice affichée d'Emmanuel Macron à propos des institutions européennes, une ambition réaffirmée face à Plenel et Bourdin, une ambition doublée d'un activisme encore à la manœuvre hier, devant le parlement de Strasbourg comme il s'était précédemment affirmé à la Sorbonne.
Mais il s'agit bien de l'interpeller tant elle est ambiguë dans les voies qu'au delà des grands discours elle emprunte concrètement, par exemple à travers les attendus et les aboutissants de cette réforme de la SNCF ; ambiguë et à bien des égards contradictoire, maniant d'un côté le verbe de la sécurisation et du progrès social "et en même temps" projetant usagers et salariés du service public dans la compétition et la concurrence des seuls intérêts pécuniaires.
Je fais partie de cette toute petite minorité qui ose s'affirmer et même se revendiquer européiste, et tant qu'à faire plus forcené que béat, ici même dans ces pages du "club de Mediapart".
Et je n'hésite pas à dire que je partage les convictions exprimées par Macron lorsqu'il affirme que les défis environnementaux, migratoires, et sécuritaires, face à tous les extrémismes comme dans nos assiettes ou sur la toile mondiale numérique -la liste de ces défis ne saurait être évidemment exhaustive- ne peuvent être pour l'immédiat relevés qu'à l'échelle du continent. Et ce n'est bien sûr qu'une nouvelle étape, comme fut celle en son temps, de l'affirmation des souverainetés nationales sur le chemin si difficile de l'affirmation et du respects des droits universels, vers une paix civile universelle.
Je dois même constater que oui, il a parfaitement raison d'affirmer que l'enjeu immédiat est bien l'émergence, enfin, d'une souveraineté européenne. Soit, pour les européens "de faire peuple", de s'instituer enfin en tant que peuple.
Mais sans doute entrave-t-il lui même cette émergence en n'offrant à l'opinion publique française, et européenne, à travers sa réforme de la SNCF que l'image d'une Europe contraignante, toute dévouée à la concurrence des capitaux, de leurs salariés assujettis et de citoyens réduits à leur fonction de consommateurs.
Quelle crédibilité quand on substitue ainsi, implicitement mais très symboliquement, le client au citoyen ?
Et quelle crédibilité peut lui donner par ailleurs sa gestion brutalement répressive des mouvements de contestation qui s'accumulent sur tout les fronts ?
L'article de Ludovic Lamant et son fil de commentaires sont explicites, l'apostrophe du député européen Lambers ne l'est pas moins. .
La bataille pour l'Europe se joue aussi sur tous les fronts et je ne doute pas que la prochaine échéance électorale sera l'occasion d'empoignades vives sur le sujet.
Déjà s'allument les lampions du protectionnisme, dont une lampée nous a été récemment servie ici même par notre cher Ruffin.
Sans doute pourrait-on utilement traiter de la problématique du protectionnisme à partir d'une question :
peut-on réellement envisager un usage vertueux d'un outil pervers ?
Encore faudrait-il expliquer préalablement en quoi le protectionnisme serait pas essence pervers.(J'ai mis Félix le vertueux sur le coup, ça ne saurait tarder.)
Tome III🙂 : "De la perversité du protectionnisme."