Seulement voilà, l'affaire est complexe et je m'y casse un peu les dents dessus. En fait depuis la "question de principe" du 28 mars dernier et "de la liberté de croyance" du 25 février précédent.
Et depuis je ne compte pas les brouillons de billets engagés au gré des évènements et des commentaires qu'ils suscitent au sein du club, puis abandonnés en chemin faute de parvenir à rassembler de façon cohérente toutes les réflexions que m'inspirent sur quantité de registres les derniers épisodes accumulés de cette tragédie que l'on pourrait intituler "La France et les arabes", dont les ressorts dramatiques puisent si loin dans le passé. (Ceux de la génération Plenel [dont je suis] ont dans la mémoire de leur enfance le souvenir des prémices gaulliens du dernier(?) acte).
Dans l'un de ces derniers brouillons je disais : comment penser et faire accepter cette complexité selon laquelle Plenel par exemple a simultanément tord et raison à propos du burkini. Ou plutôt, qu'il ne peut avoir raison qu'à la condition d'avoir tord. S'il veut avoir raison au nom de la liberté et de l'égalité en droits, ce qui est parfaitement légitime et à quoi pour ma part je souscrits, alors il faut qu'il accepte d'avoir tord au nom de la laïcité. Et un paquet de gens avec lui.
A contrario, s'il veut avoir raison au nom de la laïcité, alors il ne peut qu'avoir tord au nom de la liberté et de l'égalité en droits.
Le problème est qu'il veut avoir raison simultanément au nom des deux.
Ou pourrait-on dire sur les deux tableaux.
Et j'ai donc décidé de repartir de là, de cette idée de contradictions sous-jacente, à la racine, et qui fracturent... pour une tentative de critique radicale donc, au sens littéral.
J'avais entrouvert la piste dans un commentaire récent sur le billet de Virgil Brill "Burkini : la réponse de Fatiha Daoudi à Edwy Plenel" en disant "Sans doute faudrait-il essayer de démêler le tissus de contradictions sous-jacentes qui dans le billet de Plenel sous-tend une articulation liberté-laïcité pour le moins hasardeuse.
(Sauf à se contenter d'un procès d'intention sommaire, et en fait assez vain.)"
Au moment d'entrer dans le vif, je corrige en précisant "...une articulation liberté-égalité-laïcite selon une version pour le moins hasardeuse" (quoiqu'implicite).
Dans un essai précédent j'avais imaginé titrer : "Laïcité, la France perdue au fond de son nombril."
Deux partis paraissent inconciliables, s'accusant réciproquement de dérive régressive et droitière... voire extrême, celui de la laïcité-liberté auquel j'avais souscrit dès "la loi sur le voile à l'école" de 2004, en opposition à cette loi et celui auquel je ne peux que souscrire également, du combat pour l'émancipation universelle des femmes, se saisissant comme d'une arme de la république-égalité, laïque, une et indivisible.
Et me voilà ainsi désemparé quand les deux s'affrontent, laïques orthodoxes contre laïques authentiques, sans qu'il soit à l'évidence raisonnable de donner toujours tord à leurs excommunications réciproques.
Flûte et crottes !
Outre celui de Plenel j'ai lu des billets bien intéressants :
- "Arrêté du maire de Cannes et ses suites : ce que je ne comprends pas" de Marielle Billy
- "Peut-on être Arabe et Français? De Pascal Blanchard" publié par Walda Bey
- "A ceux qu'on foule aux pieds" de Gavroche
- "Burkini : la réponse de Fatiha Daoudi à Edwy Plenel" publié par Virgil Brill
- et aussi le magnifique "Dévoilée" de Marie Cosnay
- puis dernièrement "De l'odalisque à la femme de chambre" d'Annie Lasorne
(Je retiens en particulier la citation de Pascal Blanchard "Lorsque quelqu’un dit -"on a un problème avec l'Islam"-, il n'y a pas de problème avec l'Islam, il a un problème avec les Arabes. Personne ne pense à un comorien à ce moment là, ni à un Sénégalais ou un pakistanais." C'est tellement vrai.)
Bon... revenons à mes moutons, "déconcilier les inconciliables" ou la chasse aux contradictions souterraines.
On rentre dans le dur, je voulais faire court... je n'y suis pas arrivé😕.
"...une articulation liberté-égalité-laïcite selon une version pour le moins hasardeuse"
Hasardeuse mais cependant très largement dominante.
Sous les auspices de ses grands penseurs arc-boutés sur la lettre et l'esprit de la fameuse loi de 1905, c'est en fait la doxa qui s'est imposée au mépris des contorsions et distorsions originelles que le changement de contexte et l'historiographie critique auraient du progressivement révéler. Il y a là me semble-t-il comme un syndrome national ancré dans les fureurs de nos anciennes guerres de religions. Un désir d'enfouissement des déchets honteux de notre vieille histoire qu'il conviendrait d'effacer d'une mémoire collective mal cicatrisée de ces blessures et cacher à l'imprudente curiosité des générations montantes dont l'édification est confiée aux soins d'une instruction républicaine toute dévouée à la "construction patriotique" et soigneusement inféodée par ses pères à la dite doxa.
Et un désir qui vient en ce début de XXIème siècle, par un étrange télescopage, à la rencontre d'autres déchets honteux, plus récents, ceux de notre colonialisme national-républicain, et plus précisément de son ultime soubresaut algérien.
La "nation française", mythique à souhaits, joue sans doute un grand rôle dans cette affaire, de même, par dessus les siècles et les révolutions, que le "bon roi Henri IV". Un enjeu identitaire probablement très fort. Il conviendrait de le questionner...
Et selon cette doxa, les religions sont intouchables, comme objets ou témoins de la liberté individuelle et collective soustraite aux inquisitions de l'état en héritage du libéralisme version "lumières".
C'est le résultat de cet étrange mais à l'époque salutaire et opportun compromis pour la République que fut la "loi de séparation", selon laquelle, exclues des affaires publiques mais non de l'espace public, les religions ont pu trouver refuge dans une sorte d'abscence de droit, la tolérance.
L'église catholique a mis quelques années à comprendre, mais elle s'est très vite ressaisie pour tirer parti de ce nouveau régime au bénéfice de sa position dominante acquise.
Et il faut ici "penser religion".
La temporalité religieuse n'a rien à voir avec celle des hommes et leur(s) histoire(s), nos monothéismes inscrivent leur action dans l'éternité, en toute logique avec eux-mêmes. Ils n'ont quasi que faire des aléas du politique si ce n'est, à n'importe quel prix (l'histoire est prolixe), préserver toujours quoiqu'il advienne les conditions de possibilité de leur propre avenir.
Le politique pour sa part et à bien des égards, est lui soumis à la temporalité dérisoire de ses acteurs et à toutes les viscissitudes qui s'en suivent.
Le combat n'est pas égal. Il y a comme on dit, dyssimétrie.
Mais, pourquoi faudrait-il qu'il y ait combat ? Me dira-t-on.
C'est ici que se dévoile me semble-t-il la version hasardeuse de l'articulation, ou de l'intrication, laïcité-liberté-égalité.
S'agissant de soustraire la conduite de la cité à l'hégémonie du religieux il ne peut suffire d'exclure les préceptes religieux de la loi commune, encore faut-il lui soustraire également la vie des esprits.
Et ça, ce n'est pas de la tarte !
Sauf à s'asseoir sur la liberté de conscience, ce ne peut bien évidemment pas être l'objet d'une quelconque aventure en légifération.
Alors quoi ?
Alors il faut en finir une bonne fois pour toute avec l'intouchabilité de principe du religieux.
Certes chacun doit rester entièrement libre de ses affiliations, mais les engagements religieux n'ont pas à être soustraits du débat public et de la critique.
Pas plus que les engagements dits spécifiquement politique. A bien réfléchir, s'agissant dans les deux cas de régler nos comportements sociaux la disctinction est fallacieuse, il n'y a qu'une seule et même catégorie. Et on pourrait dire, pour faire un pied de nez aux mots, qu'en la matière l'Islam joue à visage découvert quand le catholicisme, en particulier, fait le jésuite.
L'ambition démocratique et progressiste ne peut se concevoir qu'en revendication pleine et entière de responsabilité, individuelle et collective.
Or s'il y a quelque chose qui est bien incompatible avec la responsabilité c'est la croyance religieuse ; la soumission au dogme, à l'autorité du dogme et aux autorités temporelles qui s'en autorisent. Et bien que le modèle soit là, il n'y a pas de religion que déiste. On en connaît bien d'autres formes.
C'est au fond le pari de l'émancipation qui est aussi posé.
Responsabilité-Liberté, il ne suffit pas de se payer de mots, il faut aller au bout.
Si non, à quoi ça sert que les philosophes se décarcassent ?
La démocratie ce n'est pas le consensus, surtout s'il est mou.
C'est l'expression du dissensus et la régulation de cette expression.
Alors pour finir et en revenir au burkini, et à mon "à côté de la plaque" un peu irrévérencieusement désinvolte, ce que j'estime être à côté de la plaque, ce n'est certes pas le plaidoyer pour la liberté de se vêtir ou de s'affilier à sa guise, pas plus qu'à l'inverse le plaidoyer contre l'assujettissement à la fois terriblement symbolique et tellement concret des femmes ; les deux s'affrontant dans un combat fratricide, faute d'être aller chacun pour sa part au bout des enjeux, à leurs racines. C'est le déploiement, dans les deux cas d'un discours finalement "hémiplégique", réducteur et qui se condamne de lui-même par le fait d'un évident manque de radicalité à alimenter le brouhaha d'un débat public national représentatif à souhait de la déchéance politique, démocratique de notre Vème et nationale république.
Il y a des inconciliables, il est peut-être temps de les déconcilier.
Peut-être conviendrait-il donc (je l'ai évoqué un peu plus haut) de sortir notre débat public de son enfermement national, qui ne permet désormai d'appréhender correctement aucune réalité. Ce n'est plus qu'un petit bout de lorgnette étriquet. Et quel peut-être honnêtement l'intérêt de débattre avec ou de s'opposer à un Sarkozy, un Wauquiez ou un Valls ou même un Ciotti ? A part leur servir la soupe, rabattre la délibération publique dans le jardin de leurs manoeuvres électorales mesquines, les autoriser à rebondir avec toute la démagogie à laquelle les autorisent leurs ambitions égotiques indécentes et démesurées, et finalement contribuer à la déliquescence nationale du politique.
Et sans doute conviendrait-il aussi de sortir de cette tradition laïque-nationale-de-gauche à la double et trouble généalogie, à la fois républicaine bourgeoise et marxisante selon laquelle la politique n'a pas à s'occuper des religions. Les religions elles, ne s'occupent tout bien réfléchi que de politique. La laïcité ce n'est pas un champ opératoire stérilisé, ni sa délimitation. Ce n'est qu'une éthique du respect de l'autre, mais c'est tout cela ; qui n'impose en rien ni sur aucun sujet l'interdit de la confrontation et de la délibération bien au contraire.