
Les forces en présence
Pour comprendre comment fonctionne le monde dans lequel nous vivons, il est important de comprendre le plus précisément possible ce qui s’est passé. Comme toujours, nous sommes confrontés à des interprétations très diverses de ces évènements. Le plus souvent, des clans politiques plaquent une idéologie sur les faits. Ceux qui veulent que le centre du mal soit éternellement les USA voient des interventions sournoises des services secrets américains dans toutes les mobilisations populaires qui sec secouent les pays de l'ex-URSS. Les réactionnaires, qui rêvaient depuis des décennies d’envahir ces territoires pour y restaurer le capitalisme étaient enthousiastes à l’idée qu’ils allaient arriver à leurs fins sans avoir à intervenir directement. Souvent le résultat global fut perçu soit comme une délivrance soit comme une catastrophe.
Je veux essayer ici d’expliquer la chute de l’URSS en matérialiste c’est-à-dire sans aucunement plaquer une quelconque idéologie sur les faits. Au contraire, chaque fait doit être pris comme une donnée brute qui doit être placé dans une analyse mettant tous les faits en cohérence. Si des services secrets peuvent assurément jouer un rôle, en aucun cas ils ne peuvent être le moteur de l’histoire. Ce sont les hommes qui font leur propre histoire. Si quelques-uns d’entre eux jouent un rôle particulièrement important, il n’en reste pas moins que c’est la grande masse des hommes qui agit même quand, par moment, des millions d’hommes sont sous la coupe de dictateurs que d’autres, ou les mêmes, ont contribué à mettre en place. L’histoire de l’humanité reste l’histoire de la lutte des classes. Tout le temps que la production des biens matériels était assurée par des esclaves, inévitablement des esclaves se sont révoltés. Il en fut de même avec les serfs. Toujours les exploités s’opposent aux exploiteurs. Il faut assurément voir quelles étaient les forces sociales en présence lors de la chute de l’URSS. Schématiquement, dans les pays des blocs de l’Est, je considère trois forces sociales distinctes.
- Dans la couche sociale privilégiée couramment appelée la bureaucratie ou nomenklatura, une large marge cherche depuis longtemps à asseoir ses privilèges sur la propriété privée. Les bureaucrates regardent avec envie les pays capitalistes. Dans ces pays, la richesse se transmet de génération en génération. Le privilégié n’est pas éternellement contraint de faire plaisir à des supérieurs hiérarchiques. Alors que dans le bloc de l’Est, les privilèges d’un bureaucrate sont fragiles. Il ne doit surtout pas déplaire à ses chefs. Cette règle assure la cohésion d'un systéme qui est pourtant détesté mais que tous les bureaucrates, à chaque niveau de la hiérarchie, contribuent à faire vivre. Il suffit de bien peu de chose pour que les privilèges d'un bureacrate disparaissent du jour au lendemain. De plus, les privilèges ne se transmettent pas automatiquement aux enfants. Depuis l’arrivée de Gorbatchev, cette couche sociale voit, avec les réformes de Gorbatchev la possibilité de réformes qui leur permettront d'asseoir leurs privilèges. .
- Dans cette même couche sociale de la bureaucratie ou nomenklatura, d’autres craignent que tout le système s’écroule. Ils savent que la révolution russe qui avait sonné le glas du capitalisme est maintenant loin derrière eux. Ils appartiennent à une caste qui s’est dressée au long de l’histoire de l’URSS contre les masses populaires. Ils savent que leurs privilèges sont liés à un pouvoir qui s’est établi contre la masse des producteurs et qui a dû maintes fois s’imposer par la force. En particulier, les pays d’Europe de l’Est sont considérés comme des colonies qui doivent rester sous la coupe impériale de la Russie. Ils savent qu’il a fallu plusieurs fois envoyer les chars soviétiques pour rétablir l’ordre dans ces pays. Plus récemment, ils ont longuement guerroyé en Afghanistan. Ils voient, d’un mauvais œil ce qui se passe depuis l’arrivée de Gorbatchev en Pologne, en Hongrie, en Tchécoslovaquie. N’aurait-il pas fallu depuis longtemps rétablir l’ordre par la force ? Il serait temps, de leur point de vue, de mettre un terme à la politique de la Glasnost et de la Pérestroïka prônée par Gorbatchev.
- La grande masse de la population aspire à plus de liberté. De ce point de vue, elle est favorable à la politique de Gorbatchev. En particulier, les russes veulent que la découverte, petit à petit, de ce que fut effectivement leur histoire, longtemps cachée par la dictature stalinienne, continue. La catastrophe de Tchernobyl vient de mettre au grand jour l’échec de la politique du mensonge. Ils veulent maintenant connaître toute la vérité. L’apport de l’association Mémorial à cette connaissance de la vérité est considérable et ne doit pas s’arrêter. La population est attachée à ses traditions mais elle veut aussi être ouverte à toute la culture mondiale. Elle ne veut plus subir une chappe de plomb qui l’isole du reste du monde. En plus, dans tous les vastes territoires considérés quasiment comme des colonies par l’Empire russe, les populations veulent leur indépendance et la mobilisation populaire ne cesse de prendre de l’ampleur dans ces pays. Les divers nationalismes ont été brimés et veulent maintenant s’exprimer. Bien évidemment, les Etats-Baltes qui ont été intégrés de force à l’URSS, par la volonté des deux dictateurs Hitler et Staline, veulent leur indépendance et ils le disent maintenant haut et fort dans de puissantes manifestations. Ces mobilisations populaires vont aussi dans le sens de détruire le systéme mais elles ne cherchent pas à restaurer le capitalisme. Elles tendent à renouer le fil avec la révolution d'octobre 1917.
Nous ne reviendrons pas sur les années précédentes mais la chute du bloc de l’Est ne peut se comprendre que comme la suite de toutes ces mobilisations de la période précédente. Il faut donc avoir suivi ce qui s’est passé pendant les premières années de la politique de Gorbatchev.
Nous allons maintenant examiner les faits en nous basant sur quelques documents.
L'évolution de la situation

Signature de l’accord sur les armes chimiques entre Gorbatchev et Georges H. W. Bush. En juin 1990, c’était encore le désarmement qui était l’enjeu des négociations entre les deux blocs.
Dans les années 1990/91, très rapidement, l’équilibre des forces à l’échelle internationale s'est trouvé modifié. Les évènements qui se sont succédés étaient souvent inimaginables un an plus tôt et, assurément, personne ne les avait prévus. Coup sur coup on voit la réunification de l’Allemagne, l’effondrement du pacte de Varsovie et ensuite des pays d’Europe de l’Est demandent leur adhésion à l’OTAN. Cette dernière commence par refuser afin de ne pas paraître intervenir dans le processus en cours. Il faut suivre cette évolution de près pour comprendre ce qui était réellement réalisable ou simplement envisageable à chaque moment et ce qui ne l'était pas.
A la suite de toutes les mobilisations populaires dans les pays de l’Est, les régimes communistes d'Europe orientale tombent un à un, à l’automne 1989, et Moscou n'intervient toujours pas. Le 9 novembre, le Mur de Berlin s'effondre, puis la Tchécoslovaquie fait sa Révolution de velours et la Roumanie exécute son dirigeant stalinien, Nicolae Ceausescu. Le bloc socialiste n'est plus.
Le 12 septembre 1990 se tient à Moscou la réunion finale des discussions 2+4 et l’accord de Moscou est signé. Le traité de Moscou de septembre 1990 règle enfin le statut international de l'Allemagne tout en instituant son unification. Rappelons en effet que le sort de l'Allemagne à l'issue de la deuxième guerre mondiale n'avait pas été codifié dans un traité de paix. Le traité est signé entre les quatre puissances victorieuses de la deuxième guerre mondiale et les représentants des deux Allemagnes. Ce traité est d'ailleurs fréquemment appelé "traité 2+4 ou traité 4+2". Son nom officiel est "traité portant règlement définitif concernant l'Allemagne".
Trois semaines plus tard, le 3 octobre 1990, la réunification de l’Allemagne est proclamée. L’ancienne Allemagne de l’Est devient ainsi partie intégrante de l’OTAN. Dans le contexte d’opposition entre la Russie et bien des pays d’Europe de l’Est, notamment la Pologne, la Hongrie et la République Tchèque ainsi que les pays Baltes, le désir d’adhérer eux-aussi à l’OTAN se fait sentir. Pour saisir à quel point ces pays s'opposaient à l'ancienne Russie, il faut suivre toute l'évolution de la période précédente. J'ai publié une chronologie de la période 1985/86/87. Je la complèterai prochainement. Nous ne pouvons pas revenir ici sur tout le déroulement des évènements depuis l'arrivée de Gorbatchev à la tête de la Russie. Je rappelle seulement qu’en 1990, d’après Gorbatchev et Chevardnadze, personne n’envisageait qu’il sera mis fin au Pacte de Varsovie. En conséquence personne ne pouvait envisager qu’il y aurait des demandes d’adhésion à l’OTAN des pays d’Europe de l’Est.
L’alliance militaire du pacte de Varsovie est officiellement dissoute le 25 février 1991 (4 mois et demi après la réunification de l’Allemagne). Dès lors les demandes d’adhésion à l’OTAN arrivent. Cependant, Gorbatchev précise : « Pas un seul pays d’Europe de l’Est n’a soulevé la question (extension de l’OTAN) même après la fin du pacte de Varsovie en 1991. Les dirigeants occidentaux ne l’ont pas non plus soulevée »
Il faudra donc encore attendre avant que la question de l’extension de l’OTAN soit soulevée. Cependant Gorbatchev a tendance à prendre ses désirs pour des réalités. Il veut que le bloc de l'Est reste intact. Il ne le sait pas mais, dès le début de 1991, par conséquent avant la fin du pacte de Varsovie, trois pays du bloc de l'Est avaient déjà demandé leur adhésion à l'OTAN (La Tchéquie, La Pologne et la Hongrie). L'OTAN a décidé de rejeter leur demande lors de la réunion secrète tenue à Bonn le 6 mars 1991. J’en ai parlé ci-dessus.
Le Pacte de Varsovie, alliance militaire soviétique, a été dissous quatre mois plus tard, le 1er juillet 1991.
Le coup d'État manqué d'août 1991 contre Gorbatchev scella le sort de l'Union soviétique. Planifié par l'aile conservatrice de la bureaucratie (nomenklatura), il a affaibli le pouvoir de Gorbatchev et propulsé Eltsine et les partisans de la restauration du capitalisme au premier plan de la politique de la Russie et de l'URSS. Avant ce coup d’Etat, les USA-OTAN prenaient des précautions pour éviter de provoquer cette force qui voulait mettre un point d’arrêt à la politique instaurée par Gorbatchev (Glasnosk et Prérestroïka). Après ce coup d’Etat, le risque était nettement moindre. Cette aile des purs et durs du stalinisme ne pourrait plus tenter un deuxième putsch. Les USA-OTAN n’avaient plus de raison majeure pour refuser l’adhésion des trois pays : Hongrie, Pologne, Tchéquie.
D'août à décembre 1991, les quinze républiques soviétiques, Russie comprise, ont quitté l’URSS comme la Constitution soviétique l'autorisait. Le 25 décembre 1991, Gorbatchev a annoncé sa démission.
Boris Eltsine est désormais le maître de la Russie. Il s'est chargé rapidement de dissoudre l'Union soviétique. Cette dislocation de l'URSS a marqué la fin de la guerre froide. Elle s'est produite le 26 décembre 1991, avec la reconnaissance par le Soviet suprême de l'URSS de l'indépendance des 15 républiques constitutives de l'URSS.
A ce moment-là et dans les années suivantes, l'entente était parfaite entre l'OTAN et la Russie.
L'OTAN n'ayant plus de raison de refuser l'adhésion aux trois pays qui en avaient fait la demande (Hongrie, Pologne et République Tchèque), elle fut acceptée le 10 janvier 1994. Ce n'est que le 12 mars 1999 que l'adhésion est devenue effective. Les conditions d'admission étant devenues difficiles le processus d'intégration est en effet long. Poutine n'a nullement protesté contre cet élargissement de l'OTAN. Il n'a pas davantage protesté contre l'élargissement du 29 mars 2004 (Adhésion de la Bulgarie, de l'Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Roumanie, de la Slovaquie et de la Slovénie).
L’élargissement de l’OTAN, a été fait à l’initiative des pays d’Europe de l’Est qui voulaient des garanties qu’il n’y ait jamais de retour en arrière. Ils ne voulaient pas voir les chars russes arriver chez eux comme en 1953 en Allemagne de l’Est, en 1956 en Hongrie, en 1968 en Tchécoslovaquie… et en 2022 en Ukraine. Le mythe introduit depuis par Poutine et les poutinistes qui veulent faire croire que ce seraient les américains qui seraient à l’origine de cette volonté d’adhésion à l’OTAN et à l’UE des pays de l’Europe de l’Est s’effondre. Ils affirment notamment que ce seraient les USA qui, par des manipulations diverses, seraient à l’origine des « révolutions de couleur ».
Une couche de plus
Il s'agit assurément d'une fable, cependant l'enjeu est trop important pour que les poutinolâtres en restent là. Il s'agit pour eux d'inverser les rôles. Ils veulent montrer que, pour eux, quand Poutine a envahi l'Ukraine, il n'était pas l'agresseur. Il aurait été en situation de défense face à l'OTAN. C'est évidemment faux. Cependant, le grand spécialiste de la falsification vole au secours des poutinolâtres de tout poil pour mettre encore une conche supplémentaire. C'est donc le site web "Les Crises" qui se charge une fois de plus de la besogne. Je rappelle que Berruyer, qui dirige ce site, c’était déjà signalé avec une grossière falsification que tous les poutinolâtres avaient avalé. J’ai expliqué cela dans un article intitulé : « Les poutinolâtres français en remettent une couche ».

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Cependant, il n'ose plus sortir des titres tapageurs sur "des promesses non-tenues". La page web est intitulée "Expansion de l’OTAN : ce que Gorbatchev a entendu" et le contenu est annoncé ainsi : "Des documents déclassifiés montrent des garanties de sécurité contre l’expansion de l’OTAN aux dirigeants soviétiques de Baker, Bush, Genscher, Kohl, Gates, Mitterrand, Thatcher, Hurd, Major et Woerner". En fait, le site « Les Crises » reprend ce qui a été fait par d’autres en Amérique. L’internationale du poutiniste mène un dur labeur.
Nous avons vu que les "complotistes" adorent les documents classés secrets. Au lieu d'analyser les faits, ils plaquent leurs présupposés idéologiques sur les faits. Rien de tel pour eux que d'exhiber des documents classés secrets en clamant haut et fort que ce sont des preuves. Ils le font surtout quand ces documents ne prouvent rien du tout, voire même, quand ils prouvent le contraire de ce qu'ils affirment. Nous avons vu que c'était le cas pour le compte-rendu de la réunion du 6 mars 1991 qui s'est tenue à Bonn.
La plupart des documents américains classés secrets sont déclassifiés après 25 ans. Les mémorandums des discussions de 1990 sur l'unification de l'Allemagne ont donc été déclassifiés en 2015. Les poutinolâtres se sont précipités sur ceux qui contenaient le sigle "OTAN" ou l'expression "vers l'Est" et ils ont immédiatement clamé que chacun d'eux était une preuve de la prétendue promesse. Ils se sont ébahis en constatant qu'ils avaient ainsi, de leur point de vue, une quantité faramineuse de preuves. Bien évidemment, dans la plupart de ces documents, il n'est question que de la non-extension de l'OTAN sur le territoire de l'Allemagne de l'est.
Nous avons vu qu'il était impossible qu'il en soit autrement. Pendant les discussions sur la réunification de l'Allemagne personne n'envisageait la suppression du pacte de Varsovie. Personne n'envisageait qu'il puisse y avoir une extension de l'OTAN vers l'Est. Personne ne pensait nécessaire qu'il y ait des promesses à ce sujet. Par contre le fait de savoir si l'OTAN serait ou non présente sur le territoire de l'Allemagne de l'est a en effet été maintes fois soulevé dans ces discussions de 1990. Après que des intervenants, à l'instar de James Baker, aient déclaré que l'OTAN ne s'étendrait pas d'un pouce vers l'Est, la décision finale, acceptée par tous, fut plus nuancée. Le traité stipule : « Les forces de l’OTAN pourront ensuite stationner à l’est de l’Allemagne, mais s’engagent à ne pas faire stationner d’armes nucléaires après l’évacuation de l’ex-RDA par les troupes soviétique ». Cette clause, comme toutes les autres, a été respectée et, finalement, l'OTAN s'est étendue sur l'ancienne Allemagne de l'Est mais sans y amener des têtes nucléaires.
Je vais tout de même citer deux de ces prétendues preuves avancées par les poutinolâtres. Je commence par ce qu'a dit Baker puisque les poutinolâtres nous affirment que c'est lui qui a le plus clairement fait des promesses de non-extension vers l'est de l'OTAN.
Voici un document dont il faut lire le deuxième paragraphe de la page 3. Baker s'adresse à Chevardnadze. Je donne directement ma traduction :
"Concernant la question de la neutralité soulevée par Modrow, nous pensons que ce serait une erreur. Je pense qu'un simple examen de l'histoire suffit à le démontrer. Une Allemagne neutre se doterait sans aucun doute de sa propre capacité nucléaire indépendante. Cependant, une Allemagne fermement ancrée dans une OTAN transformée, j'entends par là une OTAN beaucoup moins militaire et davantage politique, n'aurait nul besoin de capacités indépendantes. Il faudrait, bien sûr, des garanties absolues que la juridiction ou les forces de l'OTAN ne se déplaceraient pas vers l'est. Et cela devrait se faire d'une manière qui satisfasse les voisins de l'Allemagne à l'est."
En quoi ce que dit Baker ici devrait-il être compris comme une promesse de non-extension de l'OTAN ? Surtout qu'il conjugue au conditionnel "Il faudrait", "cela devrait". Là encore, il dit l'inverse de ce qu'affirment les poutinolâtres. Il veut éviter qu'une "Allemagne unifiée neutre" se dote de l'arme nucléaire. Il préfère qu'elle soit intégrée à l'OTAN et sans arme nucléaire. La décision finale sur l'unification de l'Allemagne sera conforme à ce que veut Baker.
Voici une autre prétendue preuve. Je vous donne d’emblée la traduction de Google du texte dans son entier (image suivante). C’est le mémorandum d’une rencontre au siège de l’OTAN à Bruxelles entre les plus éminents responsables de l’OTAN et une délégation du soviet suprême de l’URSS.

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Cliquez sur l'image pour lire le texte
Pour les poutinolâtres, une preuve de « je ne sais quoi » se trouverait dans ce passage :
"Le 1er juillet, la délégation a rencontré M. Woerner, secrétaire général de l'OTAN. Ce haut responsable de l'OTAN a évoqué la nécessité d'un contact direct entre les représentants des forces armées de l'URSS, les parlementaires russes et les structures administratives. Dans sa déclaration, il a réagi d'une certaine manière à nos propositions. Il a notamment indiqué avoir reçu une déclaration écrite de Bush concernant une réduction prochaine de 80 000 hommes des troupes américaines en Europe. M. Woerner a souligné que le Conseil de l'OTAN et lui-même étaient opposés à l'élargissement de l'OTAN (13 des 16 membres de l'OTAN soutiennent ce point de vue). Lors de sa prochaine rencontre avec L. Walesa et le dirigeant roumain A. Iliescu, il s'opposera à l'adhésion de la Pologne et de la Roumanie à l'OTAN, comme il l'avait déjà fait à la Hongrie et à la Tchécoslovaquie. « Nous ne devons pas permettre, a déclaré M. Woerner, l'isolement de l'URSS de la communauté européenne. »
Ils ont l’habitude de considérer n’importe quel texte hors de son contexte. Ainsi la phrase « M. Woerner a souligné que le Conseil de l'OTAN et lui-même étaient opposés à l'élargissement de l'OTAN » serait, de leur point de vue, une promesse. Eh bien non ! D’ailleurs, même si on considère la phrase hors contexte, ce M. Woerner dit qu’au moment où il parle, le conseil de l’OTAN et lui-même sont opposés à l’élargissement de l’OTAN. Il ne dit nullement que ce sera encore la position de l’OTAN à l’avenir.
Cependant, il est indispensable pour comprendre pleinement l’intérêt de ce texte de le placer dans son contexte. Cela m’oblige à me répéter. Nous n’apprenons rien de fondamentalement nouveau. La rencontre s’est déroulée du 29 juin au 2 juillet 1991. Nous savons très bien que l’OTAN à ce moment ne veut pas qu’il y ait de nouvelle adhésion venant des pays de l’Est. Ils craignent, à juste titre, une intervention de l’aile dure des apparatchiks staliniens. Et, en effet, nous le savons, sept semaines plus tard, les conservateurs ont envoyé les chars dans les rues de Moscou. Le putsch raté de Moscou s’est déroulé du 19 au 21 août 1991.
Il faut aussi regarder en arrière. Quatre mois auparavant, le 6 mars 1991, les occidentaux réunis à Bonn dans une réunion secrète préparatoire à une réunion du CAN ont décidé de refuser toute demande d’adhésion à l’OTAN.
Mais au moment que nous évoquons maintenant (fin juin/début juillet), la délégation russe a des raisons supplémentaires d’être inquiète car, ils savent qu’il y a une demande de quelques pays pour adhérer à l’OTAN. Cela n’a plus rien de secret. Dans sa réponse M. Woerner dit :
« Prochainement, lors de sa rencontre avec L. Walesa et le dirigeant roumain A. Iliescu, il s'opposera à l'adhésion de la Pologne et de la Roumanie à l'OTAN, et il l'avait déjà fait à la Hongrie et à la Tchécoslovaquie. »
Quatre mois auparavant, les demandes d’adhésion n’étaient pas ouvertement affichées. Ils parlent, dans le texte, « des forces conservatrices de notre pays » et ils disent : « L’élargissement de l’OTAN à de nouveaux membres, comme nous l’avons souligné, serait perçu négativement en URSS et en RSFSR ».
Il faut sans doute être « complotiste » pour voir des promesses dans ce texte.
Les poutinolâtres proposent une trentaine de textes de ce genre. Les prétendues preuves sont toutes de cet acabit. Je ne peux évidemment pas examiner ici les trente textes comme je viens de le faire pour deux d’entre-eux.
Les années noires
Les « années noires » qui suivent la chute de l'URSS (de 1991 à 2000) ont été assurément des années d’incertitude. Elles ont été vécues péniblement par la grande masse de la population russe alors que, notamment dans l’armée, la solution d’un retour à la situation antérieure semblait une bien meilleure solution que le maintien de l’espèce de chaos dans lequel se trouvait la Russie. C’est pourquoi tous les pays qui venaient de se séparer de la Russie craignaient encore un retour en arrière.
La Russie est sortie de ce chaos quand Poutine est arrivé au pouvoir mais à partir de ce moment la situation fut pire. La politique mise en place par Poutine répondait aux injonctions du FMI avec l'appui total des USA. Ce qu’on a appelé les années noires n’a pas été un effondrement de la production en Russie. En fait, c’était un effondrement des garanties sociales. Des fonctionnaires, qui avaient un vrai salaire, se sont retrouvés sans emploi. Par exemple, toutes les familles avaient les moyens et la garantie qu’elles pouvaient élever leurs enfants. Tous les moscovites (russes blancs privilégiés) avaient des maternités, des crèches, des écoles, des garderies, des centres de vacances... Tout cela s’est effondré brutalement quand tout l’appareil d’Etat a été démantelé. L’économie russe a continué à produire de la même manière grâce essentiellement au gaz, au pétrole et aussi grâce aux productions agricoles des « colonies » russes (notamment de l’Ukraine). J’appelle ainsi les vastes régions de l’actuelle « Fédération de Russie » ainsi que les républiques prétendument autonomes de l’Asie Centrale. Dans ces « colonies russes » la situation ne s’est ni dégradée ni améliorée. Ce sont certains des moscovites qui ont connu une réelle dégradation au moment où quelques-uns d’entre eux amassaient une colossale fortune en dilapidant les biens de l’état. Si les quantités produites étaient les mêmes par contre les prix ont chuté sur le marché mondial. En particulier, le prix du pétrole a diminué considérablement à partir de 1981 pour atteindre son niveau le plus bas précisément pendant les années noires. La crise économique vient principalement de là et non pas d'une baisse de la production.

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Le prix du pétrole est remonté en flèche précisément au moment où Poutine est arrivé au pouvoir (2000) avec un pic en 2008 et des valeurs hautes jusqu'en 2014.
En affichant une baisse puis une remontée du PNB les interprétations des faits concernant les années noires en Russie sont souvent fausses que ce soit intentionnel ou non. La valeur du PNB russe sur le marché mondial a effectivement baissé pendant les années noires puis il a remonté ensuite mais cela n'est nullement dû à une baisse de l'activité économique qui aurait repris son ampleur grace à Poutine. Cela est seulement venu de la chute du cours du pétrole puis de sa remontée. Ces variations sont dues à des facteurs extérieurs aux pays du bloc de l'Est. La page de Wikipédia sur le troisième choc pétrolier indique comme cause principale l'invasion de l'Irak. Je retiens les deux citations suivantes :
- "(...) une augmentation des records, qui dépasse tous les records historiques au premier semestre 2008, et qui a commencé entre 2003 et 2005 selon les observateurs, à la suite chronologique du début en 2003 de l'invasion de l'Irak, évènement historique désormais majeur du tournant du siècle".
- "le troisième choc se caractérise par une hausse forte mais progressive de 2003 à 2007, puis une hausse d'une ampleur et d'un niveau sans précédent au premier semestre 2008".
Bref, la production a toujours été la même, mais d'une part le prix du pétrole, principale source de richesse de la Russie, a augmenté et, d'autre part, la distribution a été différente selon le schéma classique du capitalisme. Les pauvres sont de plus en plus nombreux et de plus en plus pauvres tandis que les nouveaux riches ne cessent de s'enrichir. Certains ont parlé d'un effondrement de l'économie mais en fait, il s'agissait plutôt d'un effondrement socio-économique selon une formule également connue. Une grande masse de russes ont sombré brutalement dans la pauvreté tandis que les clés de l'économie sont passées dans les mains d'oligarques d'une manière anarchique. Eltsine a pris des mesures pour redresser cette situation à la fin des années 1990 en suivant les injonctions du FMI. Quand Poutine est arrivé, il a mis fin au caractère anarchique de la restauration du capitalisme. Il a d’abord mis de l’ordre dans la voyoucratie des oligarques. Pour cela, il est devenu le chef des grands voyous. Ensuite, il a flatté le nationalisme russe en se faisant le champion du maintien des « colonies » de l’Empire Russe. Les guerres de Tchétchénie ont été pour lui une opportunité. Il s'y est distingué dès son accès à la fonction de premier ministre sous la direction de Eltsine. Ces guerres, avec leurs abominables massacres, lui ont amené une triste popularité auprès de tous les russes fascisants et racistes. Ce sont ceux-là qui ont été pleinement satisfaits de la politique de Poutine avec, aussi, l’infime minorité de ceux qui ont profité du démantèlement de l’Etat. En plus de tout cela, la hausse du prix du pétrole, dans ce contexte, a assuré une forte augmentation des revenus pour la plupart des Russes blancs de la Moscovie ce qui a grandement contribué à asseoir la popularité de Poutine qui a été vu comme l'acteur de ce "miracle économique".
Il faut souligner que pour mener sa politique dans cette période, Poutine a eu l’appui des dirigeants américains. L'entente était parfaite entre l'OTAN et la Russie. Voici ce que dit une page de Wikipedia à ce sujet :
"Tout au long des années 1990, l'OTAN et la Russie signent plusieurs accords importants de coopération. Ceux-ci portent notamment sur la lutte contre le terrorisme, la coopération militaire (notamment le transport par la Russie de fret non militaire de la FIAS en Afghanistan), la lutte contre le narcotrafic, la coopération industrielle et la non-prolifération nucléaire".
En 1994, la Russie rejoint le PPP (partenariat pour la paix) puis, en 2002, le COR (Conseil OTAN-Russie) est créé. À cette époque, les dirigeants américains ont aidé Poutine à mener à bien ces opérations qui permettaient d’éviter la désagrégation de tout le bloc de l’Est. Ils ont fait tout le contraire de ce que les poutinistes racontent maintenant.
Les mémorandums de Budapest
Au début des années noires, tous les dirigeants, aussi bien américains que russes, étaient préoccupés par la prolifération des armes nucléaires consécutive à la chute de l'URSS. A ce moment, quatre anciennes RSS (Républiques Socialistes Soviétiques) devenues indépendantes possédaient sur leur sol des armes nucléaires : la Russie, l'Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan. L'Ukraine était alors la troisième puissance nucléaire mondiale. Elle possédait 176 missiles intercontinentaux et 1500 ogives nucléaires. Les États-Unis et la Russie voulaient éviter une extension du nombre de pays détenteurs de l'arme nucléaire et ils ont entamé pour cela des négociations. Ils ont signé, le 23 mai 1992, le protocole de Lisbonne par lequel la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Ukraine renonçaient à la possession d'armes nucléaires et s'engageaient à rejoindre le TNP ( traité sur la non-prolifération des armes nucléaires) mais ces pays demandaient des contreparties. Les 5 et 6 décembre 1994 un accord définitif a été signé à l'occasion du sommet de la CSCE qui se tenait à Budapest. C'était trois mémorandums chacun d'eux concernant un pays (Ukraine, Biélorussie, Kazakhstan).

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Eltsine et Clinton signent les mémorandums de Budapest
La Russie s'engageait alors à garantir la sécurité de l'Ukraine sur 6 points :
- Respecter l'indépendance et la souveraineté ukrainienne dans ses frontières actuelles.
- S'abstenir de toute menace ou usage de la force contre l'Ukraine, si ce n'est en défense légitime ou d'une autre manière conforme aux dispositions de la Charte des Nations unies.
- S'abstenir d'utiliser la pression économique sur l'Ukraine en vue d'influencer sa politique.
- Demander l'aval du Conseil de sécurité des Nations unies si des armes nucléaires sont utilisées contre l'Ukraine.
- S'abstenir d'utiliser des armes nucléaires contre l'Ukraine.
- Consulter les autres parties prenantes si des questions se posent au sujet de ces engagements.
En 2009, ces garanties sont renouvelées. A ce moment, après avoir été deux fois le Président de la Russie, Poutine a laissé la place, depuis mars 2008, à Medvedev. Il reste néanmoins l'homme fort du régime et il reviendra officiellement au pouvoir en 2012 pour l'éternité (sauf si…). Il est assurément engagé par la déclaration commune du 4 décembre 2009 signée entre les Etats-Unis et la Russie. Cette déclaration confirme que les garanties de sécurité figurant dans les mémorandums de Budapest signés avec l'Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan demeurent valables au-delà de cette date. En 2009 les deux grandes puissances ont donc clairement réaffirmé leur engagement « de respecter l'indépendance, la souveraineté et les frontières existantes de l'Ukraine ».
En envahissant l’Ukraine, Poutine renie la parole donnée mais il a le culot de laisser entendre que c'est lui qui a été trahi. Il fait état pour cela de ses fantasmagoriques promesses. C’est assurément Poutine qui est le parjure, l’homme sans honneur et sans parole qui se dédit et se renie sans vergogne.