Le totalitarisme numérique n’est plus une hypothèse de science-fiction : il est déjà là, partiellement déployé, et il s’étend à une vitesse que peu de gens comprennent réellement.
Comme pour le néolibéralisme de mon précédent billet, nous n’aurons plus le choix ; soit aller vivre avec les tribus indigènes dans des forêts primaires, soit se soumettre au totalitarisme numérique avec votre identité numérique et votre portemonnaie virtuel d’euro numérique sur vous. Tout sera tracé et derrière chaque individu, il y aura une IA spécifique vous espionnant, vous dénonçant personnellement à tout instant.
Le totalitarisme numérique ne ressemble pas au totalitarisme du XXe siècle avec ses uniformes et ses bruits de bottes, ses camps et ses discours hurlés au balcon, sa violence physique. Il est propre, silencieux, décentralisé en apparence, et pourtant plus profond que tous les précédents, car il pénètre jusqu’à l’intérieur de l’esprit et du corps. Bientôt gérés entièrement par l’IA, c’est une architecture de divers contrôles invisibles, permanentes et automatisées. Il repose sur la promesse de sécurité et d'efficacité, de lutte contre le narcotrafic, la pédocriminalité et trafics en tous genres pour instaurer une surveillance dont il est impossible de s'extraire.
« Quand le produit est gratuit, c’est que vous êtes vous-même le produit exploitable. » Les moteurs de recherche gratuits vendent la liste de vos recherches soi-disant anonymement. Le compteur Linky obligatoire sait quand vous allumez votre bouilloire ou votre sèche-cheveux. L’euro numérique épluchera tous vos achats. Il suffit de quelques procédés informatiques comme votre adresse IP ou votre position GPS ou 5G pour savoir qui vous êtes et vous affecter ces « DATAs » soi-disant anonymisées.
Ces divers contrôles invisibles portent en eux des risques profonds pour les libertés individuelles, la vie privée et l’égalité. Ils facilitent une surveillance généralisée, une notation comportementale et des prédictions préemptives qui rappellent les dystopies comme « 1984 » d’Orwell ou « Minority Report » de Philip K. Dick.
En 2025, certains terriens sont filmés plus de 300 fois par jour par des caméras équipées de reconnaissance faciale, les mêmes que celles des jeux olympiques en France. Leur visage est croisé en temps réel avec sa note de crédit social.
Pire que le permis à point en temps réel sur les péages autoroutiers !
« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux » ( Benjamin Franklin )
Si ces terriens ont traversé hors des clous la semaine dernière, s’ils ont acheté trop d’alcool, s’ils ont été vu près d’un manifestant ou si son cousin a critiqué le régime, leur score baisse. Le lendemain, ils ne peuvent plus acheter un billet de TGV, leurs enfants sont refusés dans les meilleures écoles, et leur débit internet tombe à 1 Mb/s. Ils n’ont reçu aucun coup de fil, aucun policier n’est venu frapper à leur porte. Le système s’est simplement refermé sur eux comme une coquille invisible. C’est cela, le totalitarisme numérique : la punition sans bourreau visible, la faute sans procès, la norme imposée sans même qu’on ait besoin de la formuler. Et qu’on se le dise, cette norme imposée ne sera jamais démocratique.
Cette architecture de divers contrôles invisibles s’exporte, parfois avec enthousiasme. En Arabie saoudite, l’application Absher permet à un homme de suivre les déplacements de « ses » femmes en temps réel et de leur interdire de quitter le pays d’un clic. Au Venezuela, la carte Carnet de la Patria décide si vous avez droit à la nourriture subventionnée ou non selon votre loyauté au régime. En Équateur, en Ouganda, au Zimbabwe, des gouvernements achètent ces kits de surveillance : caméras de suivi, logiciel de reconnaissance émotionnelle, serveurs pour stocker la vie entière de la population. En France, des officines ont un droit de vie ou de mort sociale sur les intervenants passant sur les « médias mainstream » (voir mes billets précédents) [²] [²²]. On comprend pourquoi Macron se bat comme un diable pour contrôler les réseaux sociaux qui, selon lui, propagent des fakes news, des infox comme les Russes ont conquis 20% de l’Ukraine (1% selon lui). Cela l’empêche de faire sa petite guerre, de tuer indirectement vos enfants et de défendre le système qui le gratifie.
En Occident, on se rassure en disant « chez nous, c’est différent ». Et pourtant les briques sont déjà posées. L’identité numérique unique devient obligatoire ou quasi-obligatoire presque partout. En Europe, le portefeuille numérique européen (European Digital Identity Wallet) sera déployé à partir de 2026 et contiendra permis de conduire, diplômes, dossier médical, historique bancaire, et bientôt probablement le futur certificat de CO2 personnel. Refuser ce portefeuille vous exclura progressivement de la vie normale : plus de banque en ligne, plus de billet de train sans vérification d’identité, plus d’accès aux services publics sans QR code. En Inde, 1,4 milliard de personnes sont déjà dans le système Aadhaar ; ceux qui ont perdu leur numéro ou dont l’empreinte digitale est abîmée par le travail manuel sont morts de faim en 2017-2018, littéralement, car ils n’avaient plus accès aux rations alimentaires.
L’intelligence artificielle est l’accélérateur ultime de ce totalitarisme. Elle ne se contente plus de surveiller : elle prédit, elle pré-vient, elle pré-punit. Aux États-Unis, le logiciel PredPol indique aux patrouilles de police dans quels quartiers et à quelles heures ils doivent tourner en rond jusqu’à ce que quelqu’un commette une infraction – créant ainsi la statistique qui justifie la prédiction suivante. À Chicago, la « Strategic Subject List » classait en 2016 des dizaines de milliers de personnes comme « à haut risque de violence » sur la base d’algorithmes secrets ; beaucoup n’avaient jamais été condamnés pour quoi que ce soit. En France, le fichier « Traitement d'antécédents judiciaires » (TAJ) et les expérimentations de reconnaissance faciale dans les lycées ou les stades préparent le terrain. Partout, la logique est la même : mieux vaut harceler cent innocents que laisser passer un coupable potentiel.
Le plus terrifiant n’est pas la caméra elle-même, mais le fait que nous ayons accepté de porter nous-mêmes l’outil de notre propre surveillance. Comme la carte de crédit ou l’euro numérique - seul moyen de paiement - , le smartphone est devenu le mouchard parfait : il écoute (via les assistants vocaux toujours en veille), il filme (via les applications qui activent la caméra à distance), il géolocalise en permanence, il enregistre nos rythmes cardiaques, nos cycles de sommeil, nos disputes conjugales. Comme je le disais précédemment, les données sont revendues, croisées, enrichies, puis renvoyées sous forme de score : score de crédit, score d’employabilité, score d’assurabilité, score de « bonne parentalité » (déjà testé à Pittsburgh). Bientôt, votre assurance santé augmentera parce que votre montre connectée a détecté trop de stress ou trop peu de pas pour moi ou trop d’achats de cigarettes pour d’autres.
Le futur proche est déjà écrit dans les contrats que personne ne lit. Les grandes plateformes (Google, Meta, TikTok, Amazon) ont plus de données sur vous que le Stasi n’en a jamais rêvé sur un seul citoyen est-allemand. Leurs algorithmies sont ahurissantes. Vous regardez des chaussures de montagne, vous avez des Pubs de celles-ci pendant des semaines. Elles connaissent vos désirs avant que vous les formuliez, vos peurs avant que vous les nommiez. Elles peuvent vous faire acheter, voter, haïr, ou vous taire en modifiant simplement ce qu’elles vous montrent ou vous cachent. Et quand les États s’alignent sur ces plateformes le pouvoir de censure devient absolu, instantané, et sans appel.
Dans quelques années, si rien n’est fait, la boucle sera bouclée. Toujours, pour soi-disant, le bien du Nouvel Ordre Mondial, votre identité numérique contiendra votre génome, votre historique médical complet, votre empreinte carbone, votre score social, votre casier judiciaire même effacé, vos conversations privées, vos recherches Google quand vous aviez dix-sept ans et que vous étiez un « petit con ». Une intelligence artificielle décidera seule, en un dixième de seconde, si vous avez le droit d’acheter une maison, de prendre l’avion, d’avoir des enfants via le filtrage génétique obligatoire, ou simplement de vous connecter à internet. Vous ne serez plus un citoyen : vous serez un zombi, vous serez un reste d’humain, vous serez un esclave juste bon à mettre de l’énergie musculaire dans le système et à procréer d'autres esclaves, vous serez un profil de risque ambulant, noté en permanence, corrigé en temps réel, puni avant même d’avoir pensé à mal.
Le totalitarisme numérique ne tuera probablement pas à la kalachnikov. Il tuera par exclusion douce, par ralentissement progressif de votre existence, par l’impossibilité de vivre autrement qu’en respectant la norme que personne n’a votée mais que tout le monde subit. Il ne supprimera pas la liberté d’expression : il la rendra simplement inutile, car personne n’osera plus parler quand chaque mot pourra vous coûter votre emploi, votre logement ou votre famille. Comme dans « 1984 » d’Orwell, vous aurez peur de vos enfants drogués à la console de jeux et autres substances, endoctrinés très jeunes, pouvant vous dénoncer au moindre symptôme de « manque d'orthodoxie ».
Nous y sommes déjà à moitié. Le reste dépend de notre capacité – ou de notre incapacité – à dire non avant qu’il ne soit trop tard.
Bienvenue dans Le Néo-Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1932) ! C’était à l’époque du Nazisme triomphant. On fera peut-être bien pire.