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Billet de blog 31 juillet 2014

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L'amende de BNP Paribas [Partie III]

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

BNP Paribas vient de publier le 31 juillet ses comptes du 2ème trimestre 2014, où suite à la sanction américaine, son bilan est déficitaire de plus de 4 milliards d'euros.

Cette publication, reprise par tous les médias, nous donne l’occasion de revenir à tête reposée sur les tenants et les aboutissants de cette fameuse pénalité de 9 milliards de dollars (6,5 milliards d'euros).

[NB : dans le texte, l'abréviation M€ (ou M$) signifie "million(s) d'euros" (ou de dollars), et Md€ (ou Md$) signifie "milliard(s) d'euros" (ou de dollars)].

 [SUITE DE LA PARTIE II]
 [Sommaire des 6 parties]

Illustration 1

    3-3-3. DE COMBIEN EST L'IS (IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS) ACQUITTÉ PAR BNP PARIBAS ?

     3-3-3-1. Impôt théorique et impôt effectif

        3-3-3-1-1. Position du problème

En France, le taux d'impôt sur les sociétés "nominal" ou "facial", c'est-à-dire théorique, est de 33,33 % du bénéfice. Il est de 34,43 % en tenant compte de la contribution sociale de solidarité de 3,3 % sur l'IS, et de 38 % si on inclut la contribution exceptionnelle de 10,7% sur l’IS prévu pour les années 2012-2015.

Mais l'impôt acquitté est souvent loin de cet impôt théorique, notamment pour les grandes entreprises.
Parmi les opérations visant à réduire l’assiette fiscale des entreprises, certaines sont couramment utilisées et conformes aux règles fiscales, d'autres relèvent de montages fiscaux visant à créer artificiellement un déficit, à la limite de la légalité fiscale.

On trouvera notamment des analyses de ces opérations dans les rapports suivants :
• rapports du Conseil des Prélèvements Obligatoires, organe de la Cour des comptes :
            * chapitre "Des dispositifs en faveur du développement des entreprises attractifs pour les grands groupes" (p270 & sq) du rapport 2010 sur "Entreprises et niches fiscales et sociales" ;
            * chapitre "Des mécanismes atténuant la charge fiscale" (p 125 & sq) du rapport 2013 sur "Prélèvements obligatoires et les entreprises du secteur financier" ;
• rapports parlementaires :
            * chapitre "Les facteurs expliquant le niveau de l'impôt" (p 58 & sq) du rapport Carrez 2011 (Commission des finances de l'Assemblée nationale) sur"L'application des mesures fiscales" ;
            * chapitre "L'imposition du secteur financier, une opacité à surmonter" (p 125 & sq) du rapport Bocquet 2013 (Commission d'enquête du Sénat sur le rôle des banques) ;
• travaux de l'OCDE sur la "planification fiscale agressive".

        3-3-3-1-2. En ce qui concerne les établissements financiers, citons les opérations suivantes :

* Dispositifs courants :
- les reports de déficits "en avant" ou "en arrière", chaque mécanisme présentant ses avantages,
- le crédit d'impôt pour les banques accordant des prêts à taux zéro (comme la BNP),
- la déductibilité des intérêts d'emprunt,
- les restitutions d’excédents d’impôt (si par exemple les acomptes s’avèrent trop élevés),
- l'amortissement lié à la dépréciation avec le temps des actifs corporels (bâtiments, mobilier, matériel…),
- les provisionnements pour dépréciation visant à réduire la charge fiscale en gonflant le déficit…

* Dispositifs concernant les groupes, c'est-à-dire les sociétés avec filiales :
Un groupe peut opter sur le plan fiscal, soit pour le régime d'intégration, soit pour le régime des sociétés mères et filiales. Le groupe BNP a choisi depuis des années le régime d'intégration fiscale.
Avec ce régime, la  société mère (en l'occurrence BNP Paribas SA) est soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) au titre du résultat global calculé à partir des résultats de ses filiales (et filiales de filiales) soumises à l'impôt sur les sociétés en France.
L'intérêt essentiel de ce régime est de pouvoir imputer les déficits et les moins-values réalisés par certaines filiales aux bénéfices et aux plus-values générés par d’autres, pour déterminer le résultat global consolidé du groupe, et, plus généralement, de neutraliser fiscalement des opérations intragroupe, notamment les distributions. D'où la diminution de l'IS que doit acquitter le groupe.

* Dispositifs concernant les groupes internationaux (qui peuvent, particulièrement à ce niveau, mettre en jeu la légalité fiscale) :
- restitutions fiscales au titre des crédits d’impôt étrangers,
- imputation de charges financières afférentes à des opérations étrangères dont le bénéfice ne sera pas rapatrié ou le sera sous le régime des plus-values sur titres de participation,
- mise en place de dispositifs "hybrides" (combinant les avantages respectifs de deux pays) tels que définis par l'OCDE, donnant lieu à une double déduction, une déduction avec absence d’inclusion, ou un majoration des crédits d’impôt étrangers…

Selon les propos attribués à "un spécialiste" dans un article des Échos en 2013 : "Une société peut par exemple avoir intérêt à transférer ses dettes, ou à créer des dettes intragroupe pour déduire des charges financières, où elle réalise des profits fortement taxés, et réduire ainsi son assiette imposable. A l’inverse, elle pourra chercher à localiser la perception de ses produits financiers dans des lieux où l’impôt est plus faible."

Il est évident que les banques internationales (comme la BNP) ont accès :
- à l'ensemble des mécanismes cités ;
- et au conseil des professionnels de l'"optimisation fiscale" (qui sont à disposition des clients, mais aussi, charité bien ordonnée, à disposition de la banque elle-même).

La loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, qui n'a guère été commentée dans les médias, permettra-t-elle un meilleur contrôle ?

Illustration 2

     3-3-3-2. Les données statistiques

Le rapport Carrez 2011 sur l’application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances, établi par la Commission des finances de l'Assemblée nationale, évalue dans sa partie intitulée "Les éléments complémentaires résultant de l'exploitation des données  fiscales" (p 53 & sq) l'IS moyen acquitté par les sociétés du CAC 40.
En estimant le montant des crédits impôt recherche (CIR) à défalquer, et en mettant à part les quatre groupes au sein desquels l’État détient une participation, l'impôt sur les sociétés net annuel moyen acquitté par un groupe est inférieur à 55 millions d'euros, pour les années 2007 à 2009 (incluant il est vrai l'annus horribilis 2008 pour les établissements financiers). A l'évidence une misère par rapport aux montants des résultats !

      3-3-3-3. De la difficulté de trouver des sources fiables

Il est particulièrement difficile d'obtenir des chiffres, y compris pour les journalistes, mais aussi pour les agences publiques ou pour les parlementaires, pour des motifs de secret commercial (les banques arguent que plus elles donnent de renseignements sur elles, plus leurs rivales peuvent les exploiter) et de secret fiscal (le fisc est tenu au secret).

En juillet 2013, un article des Échos présentant une enquête sur les impôts sur les sociétés acquittés par les sociétés du CAC 40 constatait "La lecture des comptes ­consolidés des entreprises françaises ne permet pas de savoir combien d’impôt est dû ou payé dans chaque pays. Par ailleurs, Bercy ne communique pas le détail des impôts collectés auprès de chaque société." Un éditorial confirmait le lendemain : "le détail des impôts payés par chaque groupe dans chacun des pays est inconnu."

Le rapport Carrez de 2011 sur l’application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances, établi par la Commission des finances de l'Assemblée nationale, notait "le Rapporteur général a également demandé communication des données fiscales afférentes aux entreprises et groupes appartenant à l’indice CAC 40. Les données qui lui ont été transmises sont partielles : l’impôt sur les sociétés net acquitté par ces entreprises ne lui a pas été communiqué".
Ce rapport note aussi des limites dues à l'exploitabilité des données : "L’administration n’a pas été en mesure de fournir une ventilation de l’impôt sur les sociétés dû, les données de l’imprimé correspondant n’étant 'pas exploitées à des fins statistiques' ".

Le Conseil des Prélèvements Obligatoires (organe de la Cour des comptes, note dans son rapport de 2013 sur Les prélèvements obligatoires et les entreprises du secteur financier : "Les données individuelles sont protégées par trois niveaux : le secret professionnel, le secret statistique et le secret fiscal."

Ce secret est évidemment défendu par les grandes entreprises sous de multiples prétextes. Si tout le monde connait le Medef, le lobby du patronat, moins connue est l'Afep (Association française des entreprises privées), lobby du grand patronat. Il regroupe plus de 100 grandes entreprises, dont presque tout le CAC 40, et dont évidemment la BNP). L'Afep annonce "Présente à Paris et à Bruxelles, compte tenu de l’importance de la législation européenne dans les droits nationaux, son premier objectif est de porter la voix de ses adhérents auprès des Institutions européennes, des organisations internationales et des pouvoirs publics français."
Ainsi, dans son rapport 2013, l'Afep se félicite "l’introduction d’une obligation pour les entreprises de publier des données stratégiques telles que le résultat net réalisé dans chacun des pays d’implantation ainsi que le montant d’impôt sur les sociétés pays par pays doit être écartée. (…) Suite aux votes intervenus en décembre 2013, ces arguments ont été entendus et une clause de revue repoussant à cinq ans l’examen du sujet a été votée au Parlement européen."

Notons cependant que les députés sont parvenus à obtenir, lors de la discussion de la loi de juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires, la publication par pays non seulement du produit net bancaire et de l'effectif en personnel, mais aussi des résultats et des impôts acquittés.

Illustration 3

Trois sources sont possibles pour estimer l'impôt sur les sociétés de la BNP :
* Les bilans comptables qu'elle publie
* Les communications qu'elle fait
* Les données émises par les médias

  [SUITE : PARTIE IV]

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