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Billet de blog 8 juin 2016

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Mélancolique fin d’occupation du Théâtre de la Bastille

Depuis le 11 avril, un commando d’acteurs, de spectateurs et tout le personnel du théâtre occupent le Théâtre de la Bastille. Cela avait bien commencé, cela s’est formidablement poursuivi, cela s’achève en eau de boudin.

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Il fautsavoir terminer une occupation après avoir eu satisfaction, il faut aussi savoir présenter un spectacle au public après en être un tantinet satisfait. C’est à cette double confrontation qu’ont dû faire face les initiateurs de l’occupation du Théâtre de la Bastille.

L’idée initiale en revient à la directrice adjointe Géraldine Chaillou, bénie par son directeur Jean-Marie Hordé : que le théâtre soit occupé d’avril à juin (fin de la saison) par une soixantaine de spectateurs volontaires, complices d’une équipe de six d’acteurs avec à leur tête un meneur, à la fois acteur, auteur, metteur en scène et agitateur d’idées et de projets, le Portugais Tiago Rodrigues.

68 jours d’occupation

Le dit Portugais (parlant français) avait fait son entrée dans ce théâtre la saison dernière par la salle du haut avec By heart, un spectacle où  il parlait de sa grand-mère et, chemin faisant, entouré de spectateurs volontaires, partageait avec eux le pain d’un sonnet de Shakespeare, lequel sonnet, à la fin du spectacle, était collectivement récité. Une merveille de douceur. On  allait retrouver Tiago Rodrigues quelques mois plus tard au Festival d’Avignon avec une autre proposition autour de Shakespeare tout aussi merveilleuse (lire ici). C’est là qu’on apprenait  conjointement sa nomination à la direction du Théâtre national de Lisbonne et le projet d’occupation du Théâtre de la Bastille.

Avec jubilation, j’ai raconté les deux premiers épisodes : le début de l’occupation avec Bovary (lire ici), puis le savoureux épisode acteurs-spectateurs que fut Ce soir ne se répétera jamais (lire ici). On attendait en ce début juin la fin programmée de l’occupation avec ce qui aurait pu être son apothéose ou sa sortie de crise (de rire) : Je t’ai vu pour la première fois au théâtre de la Bastille. Seul le titre fut joli. Ce fut une soirée souvent maussade, assez vide, une soirée de trop.  Faux rythmes, fausses bonnes idées, ravages de l’entre-soi. Au mieux un vague bout-à-bout d’une première étape d’un spectacle futur où l’on se dirait : ça on garde, ça on jette, ça c’est pas mal mais il faut le faire à l’envers, etc.

Capitaine Tiago

Dans la salle, le soir de la première de Je t’ai vu pour la première fois au théâtre de la Bastille, on reconnaissait parmi les spectateurs bon nombre d’occupants qui, dans le précédent spectacle, étaient sur scène et chacun d'entre eux pouvait s’approprier le titre du spectacle. Un paquet de « gags » (les guillemets sont de rigueur) qui adviennent sur scène leur sont destinés, comme il est fait aussi plusieurs fois référence à Bovary, à By heartet à certains spectacles donnés à la Bastille. Mieux vaut avoir suivi le feuilleton.

L’idée, pas sotte, consiste à imaginer ce que serait le théâtre dans vingt ans, toujours occupé. Mais la proposition tourne vite en rond, patine. Faute de temps ? D’écriture ? Les deux, mon capitaine. Et d’ailleurs, il est où le capitaine Tiago ? Reparti à Lisbonne ? Non, à la fin, il vient saluer.

La fin, justement, il en est question dans le programme qui contient implicitement la critique du spectacle. « Le théâtre s’est toujours confronté à un problème de fin », écrit Tiago Rodrigues avec un sens aigu de la prémonition. Il tire humblement et honnêtement le bilan de cette occupation nullement contestataire mais assurément salutaire : « Nous avons vécu des moments d’incroyables activité et participation. Nous avons vécu des moments de crise et de paralysie quasi totale. Nous nous sommes tantôt attendris, tantôt ennuyés. (…) Aujourd’hui, nous pouvons dire sans l’ombre d’un doute que nous avons travaillé ensemble au théâtre. Nous avons essayé ensemble. »

Un manifeste de  l’« essayé ensemble »

C’estbeau, cet « essayé ensemble ». Dans ce spectacle de fin (d’année), il y avait bien l’essai (quel beau mot qui dit à la fois le processus et ce qui en résulte ; que cela soit dans le rugby ou en littérature) mais il manquait un « ensemble » plus conséquent. Comme si le spectacle portait en lui ce qui résulte de sa disparition le soir de la dernière : on se sépare et chacun retourne chez soi.L’occupation de la Bastille avait rendez-vous avec sa mélancolie.

Tiago Rodrigues : « Je ne sais même pas si elle [l’occupation] a donné du courage ou rassuré quelqu’un. Par contre, je sais que nous avons essayé.  Et que peut-on espérer de plus du théâtre que la tentative ? ». C’est cela qui nous restera. Ce « théâtre des tentatives », ce théâtre qui retrouve le goût de l’essai et nous invite à le partager.  

Théâtre de la Bastille, jusqu’au 12 juin, 20h, dim 17h,  sf jeudi, entrée gratuite.

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