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Tiago Rodrigues, après avoir dirigé le théâtre national de Lisbonne, dirige aujourd’hui le festival d’Avignon. Milo Rau, après avoir dirigé le NT Gent en Belgique côté Flandres, dirige aujourd’hui le festival de Vienne. Les deux sont metteurs en scène et signent des spectacles hors des sentiers battus. Les années précédentes, le spectacle itinérant avait été successivement confié à à Tom Etchells (lire ici) et Mariano Pensoti (lire ici), deux bons spectacles . Voici donc La lettre de Milo Rau.
.Les contraintes du théâtre itinérant sont simples mais impérieuses ; le pièce doit être relativement courte (autour d’une heure), le nombre de comédiens réduit (en principe deux), les changements de costumes limités et le décor léger, facile à monter et démonter pour que les techniciens du festival remballent tout après la représentation afin de tout remettre en place le lendemain dans un autre village.
Ce soir-là, c’était à Aramon, à une heure d’Avignon, dans la cour du château encastré dans la roche et dans un village dont le nombre de commerces de bouche et de gosier apparaît conséquent .Le praticable tenant lieu de scène a été dressé dans la cour du château (privé) , adossé au mur d’une de ses façades couverte de fenêtres sans volets. Gardiennes du lieu, deux fières gargouilles, dressées au bord du toi , regardaient le remue-ménage. Bien que figées dans la pierre, elles étaient excitées d’être, littéralement, aux premières loges.
La municipalité avait installé des rangs de chaises où prit place un public venu nombreux après avoir franchi une porte comme dérobée du château et monté à pied le chemin. Après la canicule des derniers jours, la soirée était douce.
Avant que les spectateurs ne finissent de s’installer, le jeune acteur et la jeune actrice du spectacle sont montés sur le plateau. Ame De Tremerie, jeune acteur flamand venu du NT Gent et Olga Mouak, jeune actrice française dont la grand-mère vivait au Cameroun.
Après un mot d ‘accueil des autorités locales, l’actrice et l’acteur ont demandé des volontaires pour dire, depuis leur chaise, quelques répliques, papier en main . Il leur fallait un médecin, un professeur, une personne alcoolique et une vieille actrice. Des mains se sont levées. Les volontaires liront leu(s) réplique(s) le moment venu. Enfin une dernière volontaire est montée sur le plateau et, au fil de la représentation, a présenté au public des cartons annonçant le titre de l’épisode comme au temps du cinéma muet.
Les spectateurs qui vont au théâtre depuis l’enfance ont reconnu à travers ces personnages répartis dans le public, ceux de La Mouette de Tchekhov. « C’était la pièce préférée de ma grand mère » nous dira son petit fils dans la pièce écrite et mise en scène par Milo Rau. C'est à elle que son petit-fils doit sa vocation, Bien que morte, elle va intervenir dans le spectacle par la magie des ondes. C'est elle qui envoie une lettre à son petit fils où elle lui raconte sa passion pour le théâtre et pour le rôle de Nina en particulier. Évidemment le petit-fils va rêve de jouer Constantin, le fils de la grande actrice Arkhadina. Constantin a l’ambition d’être un auteur moderne mettant au grenier le vieux théâtre , il vient d’écrire sa première pièce et va la faire jouer par celle qu’il aime, la jeune Nina qui rêve d’être une mouette, vit de l’autre côté du lac et veut devenir actrice. Cependant la jeune actrice de la pièce de Milo Rau veut, elle, jouer Jeanne d’Arc (elle a vu le film de Dreyer et elle habite Orléans), en particulier le moment du procès où on la condamne à être brûlée vive.
Oui, mais comment raconter tout cela en une heure ? C’est évidemment impossible et la pièce se ratatine, devient bancale. De plus, l’acteur flamand avec son accent trop prononcé est volontaire mais à la peine, l’actrice, elle, n’ a pas le temps d’affirmer sa Jeanne d’Arc.
L’une des gargouilles du château n’avait d’yeux que pour le jeune qui jouait Treplev, l’autre avait le béguin pour l’actrice qui joue Nina et Jeanne. Alors, après les applaudissements, les deux gargouilles ont regardé le public partir, en maugréant : Pour une fois qu’elles voyaient autant de monde... »Et puis je ne sais ce que tu en penses, machouilla l’une des gargouilles à l’autre, pour moi, je le dis comme je le pense, "La lettre" de Milo Rau n’est pas suffisamment timbrée ». L’autre gargouille, en pouffant, opina. .
Spectacle en itinérance dans la région d’Avignon jusqu’au 26 juillet