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On avait découvert le metteur en scène Alexander Zeldin avec Love (lire ici) il y a quelques années, on l’avait retrouvé avec Faith, hope and Charity (lire ici) et le voici, désormais artiste associé au théâtre de l’Odéon, avec Une mort dans la famille, travaillant pour la première fois avec des acteurs français, mêlant comme à son habitude, professionnels et amateurs. A chaque fois, Zeldin explore un lieu de vie et les rapports humains qui s’y nouent : successivement la salle commune d’un hébergement d’urgence, une cantine participative pour démunis et aujourd’hui la vie dans un EHPAD succédant à la fin de la vie familiale et, au bout, la mort. Avec cette conviction, remontant aux balbutiement de cet art, que « finalement, le théâtre est là pour faire vivre les morts »
Le travail préparatoire avec les acteurs est important chez lui et présentement l’a conduit en compagnie de ses acteurs a visiter différents EHPAD, à discuter avec le personnel, les infirmières, les auxiliaires de vie, les résidents, etc. Une forte imprégnation. Après quoi Zeldin écrit seul le texte qui peut avoir l’air d’être improvisé ici et là mais qui ne l’est absolument pas : le metteur en scène arrive au premier jour de répétitions avec le texte écrit.
Ce texte est au carrefour de ce travail collectif, de lectures personnelles -Zeldin comme Elsa Grant (dont la dernière pièce se passe dans un EHPAD, lire ici) s’être inspiré de Shakespeare et singulièrement du Roi Lear, le plus attachant personnage en fin de vie du répertoire occidental -, mais aussi de Simone de Beauvoir (La vieillesse), Annie Ernaux, mais encore de sa vie personnelle,( Zeldin a perdu son père à l’âge de quinze ans et, un an plus tard, sa grand-mère qui vivait avec eux a été mise en EHPAD).
On peut penser que le premier acte qui se passe dans la maison où la mère (Catherine Vinatier) veille sur sa propre mère (Mare-Christine Barrault) entourée de ses deux enfants est celui qui est, pour Zeldin le plus intime. Il est, pour nous. le plus convenu Le spectacle prend ses aises et son ampleur dès lors que la grand-mère (après une chute) entre dans un l’EHPAD (où elle pensait ne jamais aller) et y restera jusqu’à sa mort au dernier acte, entourée de sa famille des pensionnaires qui lui ressemblent plus ou moins, et d’un personnel plus jeune comme l’aide soignante ( Nicole Dogué) ou l’auxiliaire de vie (Karidja Tourré) dévoués. Ici pas de maltraitances et de mépris comme un livre récent les dénonce dans les EHPAD luxueux ou pas du groupe Orpea.
La mort rôde partout dans l’établissement, elle est comme un fantôme, un non-dit, voire une dénégation ce que montre Zeldin avec tact. Quand quelqu’un meurt, il ne peut plus jouer littéralement et, belle idée commune à certaines traditions théâtrales que reprend le metteur en scène : sortir de la scène, c’est sortir de la vie, mourir donc ,et on voit donc quelques pensionnaires aller s’asseoir, morts, dans l’un des fauteuils laissés libres parmi les spectateurs assis juste à côté d’eux, au même niveau. Saluons la a subtile scénographie (Natascha Jenkins) laissant mourir pour ainsi dire l’espace de la salle, au bord la scène, sur le même plan.
Pour les spectateurs français quelque chose se produit de particulier : nous voyons sur scène des acteurs et des actrices que nous connaissons bien, qui sont âgées, certes, mais cependant en pleine forme. Ils jouent des personnages au bout du rouleau, des rôles de composition. Ils ne sont pas en fin de vie mais interprètent des personnages qui le sont. Nous spectateurs savons que l’on pourra voir Annie Mercier prochainement dans la création de Berlin mon garçon et dans la reprise d’ Eden cinéma (lire ici), , que Marie-Christine Barrault va reprendre ses concerts, que Thierry Bosc, etc . Tous moulent leur jeu sur celui des acteurs amateurs (une dizaine en alternance), cela donne au spectacle une force supplémentaire. Zeldin crée une sorte de subtile équilibre : entre le réel qui ne sombre jamais sans un réalisme plat et voyeur et ce couperet de la mort qui les attends, et nous attend, matérialisé par l’impact visuel de nombreux noirs du spectacle et de la musique qui les accompagne, donnant au théâtre le final cut. Morts et vivants , main dans la main, reviennent saluer.
Une mort dans la famille, Théâtre de l’Odéon Berthier, du 11 au 21 janvier 2023