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On ne compte plus les spectacles de théâtre qui s’inspirent d’œuvres venues du cinéma. Juste retour des choses puisque le cinéma avait appris à marcher en faisant du théâtre filmé. Plusieurs spectacles récents s’inspiraient librement du Mépris de Jean-Luc Godard, lui-même s’inspirant librement d’un roman d’Alberto Moravia. Prochainement, Mathieu Bauer nous emmènera du côté de Samuel Fuller avec Shock Corridor, on murmure qu’un metteur en scène en pointe songe à une adaptation de La Règle du jeu de Jean Renoir (l’un des plus beaux films du monde).
De Dostoïevski à Bergman
Présentement, Gina Calinoiu et Lionel González de la compagnie Le Balagan retrouvé proposent – et ils ne sont pas les premiers (lire ici) – un spectacle « librement inspiré » de Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman. Cela s’appelle Demain tout sera fini II.
Pourquoi II ? Parce que Demain tout sera fini I était « librement inspiré » du roman de Dostoïevski Le Joueur. Il mettait en présence Lionel González et Gina Calinoiu rejoints dans un second temps du travail par Damien Mongin et un autre acteur. C’est cette dernière version que nous avions vu et apprécié en septembre dernier au festival de Villerville (lire ici).
Gina Calinoiu est une jeune et talentueuse comédienne roumaine parlant peu le français. On a souvent vu Lionel González chez Sylvain Creuzevault au temps de la compagnie D’ores et déjà (c’est là qu’il a connu Damien Mongin avant que ce dernier n’aille fonder la compagnie Pôle Nord avec Lise Maussion) et, plus récemment, dans les spectacles de Jeanne Candel. González et Calinoiu se sont rencontrés en Pologne lors d’un stage dirigé par Anatoli Vassiliev. Depuis ils ne se sont pas quittés et codirigent Demain tout sera fini II.
La méthode de travail n’a pas varié entre le I et le II : les acteurs sautent devant nous dans le vide de la création-improvisation. Bien sûr, il y a eu du travail préparatoire, bien sûr le scénario de Bergman constitue une toile de fond, une base, au mieux un canevas mais guère plus. On devine qu’il y a des repères, des rendez-vous narratifs, mais tout s’écrit oralement et corporellement à vue, au soir le soir. A ce jeu-là Lionel González et Gina Calinoiu sont experts, ils forment un couple d’acteurs exquis, complices, complémentaires. Car tout les oppose pour mieux les réunir. Il est aussi volubile qu’elle est taiseuse. Elle parle assise avec ses yeux et toute une gamme de sourires crispées. Il tournicote debout et orchestre le vide avec ses bras. Il tchatche comme pas deux la langue de Molière, elle balbutie quelques phrases en français et quand elle ne trouve pas ses mots elle passe à l’anglais, elle est craquante dans les moments, trop rares, où elle mélange les deux langues.
D’un couple l’autre
Tous deux se retrouvent à l’unisson, lui dans le débordement du dire, elle dans les errements du corps. Et ce qu’ils racontent les prolonge (il me semble qu’un vers de Paul Eluard parle de cela) : l’histoire d’un couple qui s’aime, qui s’aime à en perdre la raison comme dit la chanson de Ferrat et puis qui se déchire. Il a le béguin pour Paula, une jeunette, l’aimée est stoïquement effondrée. Il partira, il se lassera de Paula, les années passeront, il reviendra. Entre-temps elle aura grandi, l’enfant entre eux aussi, etc. L’histoire est vieille comme le monde depuis que les hommes n’aiment pas vieillir et voir leur virilité et leur pouvoir de séduction s’étioler. Ce que font les deux acteurs de cette vieille histoire est tout vibrant d’invention instantanée, de secousses imprévisibles. Du théâtre à combustion immédiate.
En face, un autre couple formé par Damien Mongin et Alexandra Flandrin. Un miroir inversé : dès le début, l’homme et la femme se foutent sur la gueule, se castagnent dur et ne trouvent des moments d’accalmie qu’en chantant. Mais cela s’arrête là : la scène se répète. Il n’y a pas d’histoire évolutive et d’ailleurs le couple finit par s’effacer. Les acteurs ne sont pas en cause, mais c’est le parti pris du spectacle, semble-t-il, d’avoir disposé ce couple ravagé en éclairage du premier, en contrepoint fixe et en arrière plan. Un écho et non une confrontation parallèle. C’est une faiblesse dramaturgique. Si bien que le travail d’improvisation entre eux tourne court, le spectacle s’en trouve déséquilibré. On ressentait déjà cela, mais de façon beaucoup plus ténue, dans Demain tout sera fini I.
On peut se demander si le passionnant travail que mènent en commun Gina Calinoiu et Lionel González n’est pas au milieu du gué : soit les deux acteurs s’en tiennent à leur formidable duo, soit ils optent pour le quatuor mais dans ce cas ce qui est mis en place doit être mieux accordé. Pas simple la vie à deux. Alors à quatre, je ne vous dis pas.
Théâtre-Studio d’Alfortville, 20h30, jusqu’au 17 décembre.