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Billet de blog 19 mai 2023

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Allez morfler de plaisir en allant voir « Morphé »

La nouvelle pièce de Simon Falguières raconte une multitude de vies en une, avec des guerres, des théâtres, des continents et même une baleine bleu, le tout joué par un seul acteur, Falguières lui-même, en tête à tête avec un décor retors. On ne naît pas comme lui dans le théâtre, impunément. On s’y love.

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Illustration 1
Scène de "Morphé" © Christophe Renaud de Lage

Les temps étant durs, la déesse du rêve Morphée a du vendre une lettre de son nom, et non la moindre. Quand elle accoucha, l’enfant, un garçon, fut donc appelé Morphé.

« Pas de tout », argua la préposée aux nés sous cloche, interrompant son tricot (un tour de cou pour son petit-fils), « c’est au service de la mairie, tous des incapables, le plumitif de service, en recopiant le nom, a oublié le e final ».

« Vous n’y êtes pas », surenchérit le collègue de la lingerie qui fumait une cigarette devant la fenêtre ouverte malgré l’orage, un collègue réputé pour son errante érudition , « depuis la plus haute antiquité les fils doivent porter le prénom de leur .. » Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase, la foudre venait d’un coup de le fendre en deux.

« N’importe quoi », supputa une troisième avant de se poudrer et de décamper.

Bref, même si ce qui précède relève d’une invraisemblable extrapolation, « on ne s’ennuie pas un instant » comme disent les éminents critiques, en allant voir Morphé  la dernière pièce en date de l’écrivain, acteur et metteur en scène Simon Falguières, lui même fils d’un ancien directeur de théâtre. Pire, on jubile de plaisir. Poussant la filiation dans ses derniers retranchements, c’est à Évreux, dans le beau théâtre que dirigea son papa (Jacques Falguières), que le petit Simon devenu grand a créé Morphé au printemps 2023. Une histoire de filiation, d’amour, d’errance et de théâtre comme toutes les pièces du dénommé Falguières, souvenez-vous Les étoiles (lire ici), Le nid de cendres (lire ici)....

Cependant, cette fois, les reines, les rois, les fous, les troupes ambulantes restent en coulisses ou plutôt ces figures se glissent, masquées, en la personne du seul comédien en scène, Simon Falguières en personne, lequel joue tous les rôles de la pièce à commencer par celui de Morphé, dans un décor qui ne reste jamais en place et nous gratifie de mille et une surprises comme disent les contes, et bien sûr, c’en est un.

Il était donc une fois une actrice nommée Masha dont le grand père était un acteur et même un directeur de théâtre et son théâtre était tout petit ce qui ne m’empêchait pas de porter un nom grandiose : La baleine bleue. Pourquoi ? demande l’enfant qui gît en chaque spectateur. Simon Falguières nous ayant supplié à genoux et même à plat ventre (qu’est-ce qu’ils ne vont pas inventer ces zartistes!) de ne rien dire aux futurs spectateurs, j’en resterai là.

De toute façon, cela raconte ce que racontent les autres pièces de Simon Falguières qui est l’un des rares hommes de théâtre à dire tout le temps la même chose sans pour autant se répéter. Oui, oui, il a beau faire et refaire, il raconte toujours des naissances de monde, des morts d’homme, des vies avec des guerres, des amours, des abandons, des retrouvailles, des voyages aux confins, des troupes de théâtre ambulants comme au temps de Molière et comme au temps des balagans de la Russie d’avant les Soviets. D’ailleurs la grand-mère de Morphé s’appelait Masha, c’ était une actrice et… Non, je n’en dirai pas plus.

Parlons plutôt du décor qui ne reste jamais en place. Falguières et ses potes nous régalent. Les murs sont truffés de surprises, les tiroirs et le sol aussi, les coffres et les chapeaux sont empruntés au magicien du coin, les cordelettes ne sont pas des cordes car ces dernières portent malheur, ça tombe de partout, ça se croise, ça s’ouvre, se ferme tout seul….Bref, c’est un décor vivant, un vrai partenaire pour l’acteur seul en scène qui saute d’une génération à l’autre avec pour boussole la fameuse baleine bleue. Il sera même question d’une pièce appelée Morphé, les zartistes du genre Falguières sont des chiens de garde de l’imaginaire, comme les chiens et les étoiles filantes ils aiment à se mordre la queue pour mieux aboyer. A la fin, on se frotte les yeux comme au réveil et on applaudit à tout rompre comme au théâtre quand les comédiens viennent saluer après nous avoir grand ouvert les portes de plaisir...

Morphé a été créé au Tangram d’Évreux le 3 mai 2023 (où nous l’avons vu), le spectacle sera aux Tréteaux de France du 22 au 27 juillet, puis le 2 septembre au festival du Moulin de l’Hydre, puis à Vire CDN de Normandie début octobre, puis au Théâtre Paris-Villette du 19 oct au 5 nov. La tournée se poursuivra au printemps 2024.

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