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Il y a dix ans, au théâtre des Amandiers de Nanterre, Joël Pommerat nous éblouissait avec Ça Ira (1) Fin de Louis, un spectacle fleuve d’une continuelle densité et d’une vivacité telle qu’elle semblait parfois comme improvisée (lire ici). Dix ans après, c’est un nouveau théâtre des Amandiers, qui après bien des aventures, s’ouvre enfin, en lieu et place de l’ancien, au grand soulagement de son obstiné directeur Christophe Rauck. Et c’est Les petites filles modernes (titre provisoire), le nouveau spectacle de Joël Pommerat qui a l’honneur de l’inaugurer. Un spectacle hypnotique qui semble ramassé dans un souffle comme une virgule entre deux points. Entre temps, Pommerat aura écrit et créé d’autres spectacles dans d’autres registres comme Amours (2) venu aussi à Nanterre ou, ailleurs, Marius (lire ici) sans parler de Pinocchio ou du Petit chaperon rouge ou de Cendrillon.
Les petites filles modernes (titre provisoire) est un spectacle qui ouvre et fouille une nouvelle piste, celle du conte d’aujourd’hui. Du conte de fées d’hier au présent conte de filles comme rêvé au bord du virtuel avec comme creuset et agent de liaison la figure renouvelée du prince charmant au seuil du fantasme, et comme cadre un espace-temps qui ne cesse de se dérober en se réinventant dans les mains de sorciers complices que sont Eric Soyer (scénographie et lumière) et Renaud Rubiano (création vidéo). Un espace -temps dilaté qui déréalise les corps, les espaces, les mots comme sortis d’un songe et/ou d’un cauchemar.
Tout se dérobe, des certitudes aux promesses, des faits aux fakes. L’hologramme, ce programmateur d’indicibles, donne le ton. Le temps plonge dans l’infini et l’indéfini à l’image des corps et des voix dont la présence se dérobe comme filtrée par un songe.
Beau paradoxe : le plateau est le plus souvent nu, or il déborde de stries visuelles, de renversement de lumières, là où le théâtre chercherait à intensifier la présence des actrices (Coralie Kerléo et Marie Malaquias qui travaillent pour la première fois avec Pommerat) et de l’acteur ( Eric Feldman que l’on avait pu voir dans Ça ira (1) Fin de Louis), Pommerat les accompagnent au fil de ses mots et de leur présence en creux, des paroles repliées sur elles-mêmes, jamais adressées mais plutôt comme caressées par l’alliance entre le songe et le cauchemar.
Incipit inoubliable (voir photo) que celle de ces deux êtres apparaissant au centre et au lointain d’un vaste espace vide, pour l’heure, de toute aspérité. Il y aura bien des adultes (CPE, parents,vieux), mais, de chambre en errance, on ne quittera pas Marjorie et Jade, la rebelle et la bonne élève, la première disant vouloir tuer l’autre, posture pour dire l’innommable amour.
Le conte va se faufiler dans le lit de Jade où les deux jeunes filles se retrouvent. « A part les conversations qu’elles ont sur leurs vies compliquées, étonnamment, le jeu dont Marjorie ne se lasse jamais c’est ce qu’elle appelle le jeu des secrets et de la vérité. Chacune face au miroir doit répondre à l’autre sans mentir quitte à s’avouer des choses qu’elles n’ont jamais dites..même à elles-mêmes » dit la Narration. Et c’est ainsi que le chanteur Shawn Mendes passe par là. Marjorie et Jade jurent plus d’une fois ne jamais vouloir se séparer et faire face au « pouvoir » des adultes à commencer par les intrusifs et fantasmatiques parents de Jade.
Il sera question d’un trou spatio-temporel, d’une boite qu’il ne faut jamais ouvrir, d’un intriguant voisin. Un conte comme veiné d’aujourd’hui, oui, et conjuguant la dense éternité des contraires sous l’œil expert de la foire à l’imaginaire. Avec, à tout instant, son lot d’amour, d’effroi et de jeu..
Créé à Bonlieu (Annecy), venu au TNP, le spectacle est aujourd’hui à l’affiche du Théâtre Nanterre-Amandiers dans le cadre du Festival d’Automne à Paris jusqu’au 24 janvier.
Suite de la tournée : L’Azimut, Théâtre La Piscine, Antony et Châtenay-Malabry du 11 au 15 fév; L’Agora, Évry-Courcouronnes les 19 et 20 fév; les Espaces Pluriels de Pau les 4 et 5 mars; MC de Bourges, les 24 et 25 mars ; Le Canal, Théâtre du Pays de Redon les 8 et 9 avril ; Comédie de Genève en co-accueil avec le Théâtre Am Stram Gram du 14 au 18 avril; Palais des Beaux-Arts de Charleroi les 23 et 24 avril; Maison de la Culture d’Amiens, les 29 et 30 avril; Les Salins, Martigues les 5 et 6 mai; Le Bateau Feu, Dunkerque
du 20 au 22 mai; Théâtre national de Strasbourg du 3 au 18 juin