Agrandissement : Illustration 1
Au printemps 2019, à la Comédie de Reims, le metteur en scène Ludovic Lagarde, l’acteur Laurent Poitrenaux et l’auteur Olivier Cadiot fêtaient leur longue collaboration en présentant d’un coup trois spectacles mis en scène par le premier, interprétés par le second et écrits par le troisième : Le colonel des Zouaves créé vingt ans plus tôt, Providence, créé huit ans auparavant et Un mage en été nouvellement créé. Une magnifique trilogie (lire ici) . Avec laquelle Ludovic Lagarde fêtait également la fin de ses trois mandats passés à la direction de la Comédie de Reims. Depuis, ne voulant pas candidater ailleurs, il est redevenu un metteur en scène itinérant, signant par exemple cet inoubliable spectacle qu’était Sur la voie royale avec une phénoménale Christèle Tual d’après le texte d’Elfriede Jelinek au Théâtre 14 (lire ici).
Aujourd’hui, à la MC93, les routes d’Olivier Cadiot et de Ludovic Lagarde se croisent pour la huitième fois. Et une nouvelle fois avec l’acteur Laurent Poitrenaux pour une « transposition théâtrale » d’un roman de Cadiot publié chez POL en 2021 Médecine Générale, roman favorablement accueilli par la critique littéraire (En attendant Nadeau, Le Monde, etc).
Cette fois, Poitrenaux n’est plus seul en scène mais excellemment accompagné par l’actrice Valérie Dashwood et l’acteur-pianiste Alvise Sinivia (qui signe la conception sonore et musicale du spectacle). A chacun son personnages. Le premier, Closure, par ailleurs narrateur du roman, est artiste-écrivain comme Cadiot, Mathilde est, elle, une anthropologue qui retrouve le sol français après des années d’absence, quant au jeune Pierre, il est comme adopté par les deux autres, et a l’avantage d’être pianiste. Un trio parfait pour refaire le monde où tout commence par un deuil, celui du demi-frère du narrateur.
Premier paragraphe du texte et premiers mots du spectacle dits par Poitrenaux :
« Pendant que je roulais avec le corps de mon frère, en train de ses décomposer légèrement, tous deux brimbalés sur l’autoroute, j'écoutais l'Incarnatus est de la plus belle des messes de Haydn. Ce petit bout de musique chante prétendait opérer en quelques minutes un miracle : Et homo factus est. Un homme ? Une femme ? Un être humain prend corps devant nous. Et par paliers, ça s’incarne, c’est fait. Ça n’arrête pas de naître , des fleurs s’ouvrent en accéléré, la peau se construit et les yeux s’ouvrent. Ça se fabrique sous nos yeux ». Effectivement.
Plus tard, les trois se retrouveront das une maison du sud-Ouest.
C’est là le mouvement du roman. C’est sans doute aussi celui qui aurait dû être celui du spectacle conçu par Ludovic Lagarde. Mais très vite, cela s’effiloche, s’embrouille, on perd le fil et la scénographie d’Antoine Levasseur n‘arrange rien. Docteur Théâtre, pourquoi cela passe mal cette adaptation de Médecine générale ? Trop comprimée peut-être ? Ou bien un manque de suc, de sel ?
En feuilletant le roman de Cadiot, dans le métro du retour, je tombe sur un des derniers chapitres au titre emprunté à celui d’une pièce de Shakespeare, Peines d’amour perdues. Page 300, je lis :
« -On s’emmerde énormément.
-On va monter le Roi Lear, c’est mieux.
-Ouhlà, mais c’est l’Antiquité, ça.
-En anglais, c’est top, en français, c’est moche, ça sent le placard de vieux. Avec toujours des acteurs chevrotants avec des têtes de loup. Souvent en toges avec de super mauvaises mines. Du Corneille prétentieux combiné à un effet Ivanhoé. »
Olivier Cadiot a traduit La nuit des rois et récemment Le roi Lear. Laurent Poitrenaux a -t-il une « tête de loup » ? A moins que cela ne soit Lagarde ? Ou Cadiot ? On se perd, on est au fond du trou, « ça sent le placard de vieux ». Et, oui,"on s'emmerde énormément".
MC93 de Bobigny, 19h30, jusqu’au 6 oct. Le roman « Médecine générale » est paru aux Editions P.O.L, 398p.