L’université de Nantes mène une étude longitudinale sur le bien-être perçu par les élèves à l’école élémentaire et au collège. Elle a publié en mars dernier un rapport d’étape pour la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP)[1] qui livre quelques indications utiles sur le sujet après deux ans d’enquête. Et ce au moment même où, pour des raisons portant strictement sur le respect du cadre légal, le conseil d’Etat vient de censurer deux mesures prévues par le décret portant réforme du collège : celles selon lesquelles les élèves de sixième ne devaient, en principe, pas suivre plus de six heures d’enseignement quotidien et bénéficier d’une pause méridienne d’au moins 1h30 en collège.
Dans une perception globalement positive, « on note cependant que plus de la moitié des élèves trouvent que leur établissement n’est pas beau et qu’il n’y a pas assez d’espaces verts. De même 50% des élèves estiment qu’on ne leur laisse pas prendre assez d’initiatives ou qu’on ne leur demande pas assez leur avis. Leur appréciation de la restauration scolaire apparaît plus négative avec par exemple près de 90% des élèves qui trouvent que leur restaurant scolaire est un endroit bruyant ». On observera à ce propos que la généralisation en cours des conseils de la vie collégienne apporte une réponse partielle à ce besoin d’être mieux écouté, mais que la censure du conseil d’Etat ne va pas dans le sens de l’amélioration des conditions de restauration scolaire.
L’examen de l’évolution du bien-être perçu chez les 115 élèves suivis du CM2 à la 6e se traduit par une « diminution de la satisfaction scolaire globale et à l’égard des relations avec les enseignants, des évaluations et des activités scolaires. Seule la dimension « satisfaction à l’égard de la classe » progresse entre le CM2 et la 6e ». On observe que « les filles ont un niveau plus élevé de satisfaction scolaire globale, comparativement aux garçons, et sont plus satisfaites de leurs relations avec les enseignants et des activités scolaires. Par contre, elles sont moins satisfaites que les garçons des évaluations scolaires et elles se sentent moins en sécurité que ces derniers ».
Si on examine les enseignements de cette étude, on note des éléments facteurs de dégradation du bien–être dans le passage de l’école au collège. Ainsi, « les écoliers ont, comparativement aux collégiens, une appréciation plus positive de leur qualité de vie globale ainsi que de leur sentiment d’efficacité personnelle. Ils ont un sentiment d’appartenance plus élevé à leur établissement et se sentent davantage respectés que les collégiens. Par ailleurs, ils éprouvent une plus grande satisfaction à l’égard de la restauration scolaire et des toilettes que ces derniers ». On observera à ce propos la pertinence de la circulaire de rentrée 2016 qui rappelle que « la question des sanitaires mérite d'être appréhendée par les équipes éducatives dans une approche globale de l'hygiène, de la santé individuelle et collective, mais aussi éducative [2]».
L’étude indique que « pour les différents indicateurs de bien-être à l’école, l’effet établissement se traduit par une diminution du score global de satisfaction scolaire (entre deux enquêtes, T1 et T2, à une année d’écart) pour le collège, alors qu’il se maintient pour l’école primaire. Par ailleurs, la satisfaction des écoliers à l’égard des relations avec leurs enseignants s’accroit entre les deux années alors que chez les collégiens elle diminue. La satisfaction à l’égard des activités scolaires se maintient chez les écoliers alors qu’elle diminue chez les collégiens ». Toutefois, « la progression du sentiment de sécurité est plus forte chez les collégiens que chez les écoliers. Pour le rapport des élèves à l’évaluation, la diminution est plus forte chez les écoliers que chez les collégiens, les deux groupes obtenant en T2 des niveaux de satisfaction équivalents ».
L’étude observe également que « les élèves du privé ont un sentiment d’appartenance et une satisfaction à l’égard de la restauration scolaire et des toilettes plus faibles que les élèves du public -ZEP et hors ZEP- ». « Les élèves en établissement privé sont globalement plus satisfaits et éprouvent une plus grande satisfaction scolaire globale et de leurs relations avec les enseignants que les 2 autres groupes (public ZEP et hors ZEP). En revanche, leur satisfaction à l’égard des évaluations est plus faible. Les élèves de ZEP se sentent moins en sécurité que les autres élèves et leur satisfaction à l’égard des activités décroit entre les deux sessions, alors que pour les deux autres groupes la satisfaction dans ce domaine a tendance à augmenter ».
Certaines variables semblent peu affecter les réponses des élèves : il en va ainsi du nombre d’années d’études des parents, de la taille de la fratrie, du nombre d’années passées à l’école maternelle, du niveau cognitif des élèves. D’autres jouent un rôle :
« - les enfants vivant avec leurs deux parents ont, comparativement aux autres enfants, une
appréciation plus positive de leur qualité de vie globale et de la restauration scolaire ; leur sentiment d’efficacité personnelle (SEP) est également plus élevé que celui des autres enfants ;
- les non redoublants (collégiens et écoliers) ont un SEP et une satisfaction à l’égard de la
restauration scolaire et des toilettes plus élevés que ceux des non redoublants ;
- le sentiment d’efficacité personnelle est lié au niveau d’étude des parents (mère et père) et au niveau cognitif des élèves évalué en T1 ».
L’étude n’étant pas terminée, on doit donc rester prudent sur les données recueillies. Mais elle confirme hélas des observations déjà faites dans d’autres enquêtes : selon la dernière enquête PISA[3], la France est, des pays de l’OCDE, celui « où le bien-être des élèves compte le moins » comme l’écrivait en mai 2015 Le Café pédagogique[4] : « A la question "l'épanouissement social et affectif de l'élève est aussi important que son acquisition des compétences et savoir faire mathématiques", les directeurs français sont les moins nombreux à répondre favorablement ». On n’en sera pas trop surpris, en constatant combien parler d’école hospitalière, d’évaluation bienveillante est facilement considéré comme démagogique et contraire à l’exigence nécessaire pour parvenir à l’excellence. Et il est donc malheureusement prévisible que le sentiment de bien-être, qui décline de l’école élémentaire à la classe de 6e, continue de décliner au cours du cycle 4, de la 5e à la 3e, ce que la thèse de Marianne Lenoir[5], médecin scolaire, a montré en 2012. Pour elle, « l'essentiel c'est de mettre vraiment l'élève au centre du collège. Qu'il puisse agir sur sa vie au collège, y compris sur la pédagogie (…) Ne rien faire ici ne me paraît pas une bonne idée.» Après le rapport annuel du médiateur de l’éducation nationale[6], l’enquête du CREN de l’université de Nantes montre que le chemin est encore long.
[1] http://www.cren.univ-nantes.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?CODE_FICHIER=1464184823140&ID_FICHE=564673
L’équipe de recherche est composée de Philippe GUIMARD, Fabien BACRO, Séverine FERRIERE, Agnès FLORIN, Tiphaine GAUDONVILLE, CREN (EA 2661), Université de Nantes.
[2] http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=100720
Voir aussi à ce sujet le billet consacré à cette circulaire
[3] http://www.oecd-ilibrary.org/education/pisa-a-la-loupe_22260927
[4] http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2015/05/18052015Article635675266865860624.aspx
[5] Résumé consultable sur http://www.theses.fr/s22447
[6] Ce rapport a été présenté dans un récent billet :